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Non, vous n’aurez pas notre drapeau

Un texte de François Charbonneau
Thèmes : Identité, Nationalisme, Québec
Numéro : Argument 2017 - Exclusivité Web 2017

C’est une anecdote que j’ai mainte fois racontée à mes étudiants pour leur expliquer la nature particulière de l’identité, ils m’excuseront de la répéter ici, mais les évènements des derniers jours et l’inquiétante montée de l’extrême-droite m’incitent à y revenir. Que les âmes sensibles soient prévenues : elles auront à souffrir un juron; mais qu’elles se rassurent : c’est dans l’intérêt de l’avancement des connaissances.

C’était lors de mon premier voyage en France, alors que, de manière bien peu originale, je faisais comme tous ceux qui débarquent à Paris en prenant dès le premier soir la direction de la tour Eiffel. Arrivé à l’observatoire du sommet vers 21h, j’ai été saisi par la beauté de la Ville lumière. Je n’étais manifestement pas le seul à être ému : juste derrière moi, j’ai entendu percer à travers le murmure babélique des touristes un retentissant: « Tabarnak que c’est beau »!

Je n’ai pas eu besoin d’un manuel sur les paramètres de l’identité, j’ai tout de suite su que ce gars-là faisait partie de ma gang. Je me suis retourné, on a échangé quelques platitudes, il m’a expliqué qu’il venait de Montréal, qu’il faisait un échange étudiant dans le sud de la France, après trois jours à Paris, je pense. « Cool! » ai-je probablement répondu. Il m’a souhaité bon voyage, j’ai sans doute fait de même après lui avoir donné une sorte de poignée de main inversée.

Deux Québécois à Paris qui se reconnaissent à leur accent. Rien de bien original, sans doute. Ce soir-là, la nation québécoise a parlé à travers cet étranger qui, à mes yeux, mais, en quelque sorte malgré moi et malgré lui, s’est instantanément distingué du reste des touristes.

J’utilise cette anecdote dans mes classes pour montrer qu’une identité, ça ne relève pas toujours d’un choix. Or, il manque un dernier paramètre pour vraiment la comprendre : le Québécois que j’ai rencontré en haut de la tour Eiffel avait la  peau noire.

Qu’est-ce que ça change? Rien, justement.

Dans un monde idéal, la couleur de la peau serait comme la couleur des yeux : insignifiante. Mais nous n’y sommes pas encore. En attendant, l’essentiel réside en ceci qu’être Québécois, ça n’a strictement rien à voir avec la couleur de la peau. Le Québec a cette particularité d’être l’un des rares endroits sur la terre où une minorité nationale réussit à intégrer des immigrants. Si le Québec était un pays, l’intégration serait mille fois plus facile, parce que les immigrants sauraient d’entrée de jeu dans quoi ils s’embarquent en arrivant ici. Ils ne seraient pas déchirés par des choix identitaires douloureux. C’est que, partout au monde, les immigrants s’intègrent logiquement aux majorités, bref, dans le cas canadien, au monde anglophone. Que le Québec y arrive tout de même a quelque chose de proprement miraculeux, et il le fait, tant bien que mal, et ce depuis toujours : pensez aux Wilhelmy qui sont les descendants d’un mercenaire prussien venu s’établir à Lachenaie après son service pendant la Révolution américaine, aux Johnson, descendants d’Irlandais qui donneront trois premiers ministres à la province, aux Foglia, Laferrière, Kavanagh, Petrovski, Verboczy, Diaz et ces dizaines de milliers d’autres qui ne sont pas moins Québécois que vous qui lisez ces lignes, parce que la nation parlait ou parle toujours en eux.

Pourquoi partager maintenant cette anecdote ? D’abord, parce que le festival des amalgames a déjà commencé. La montée en puissance d’une extrême droite québécoise décomplexée autour de groupes comme Atalante Québec ou la Meute est une très mauvaise nouvelle pour le nationalisme québécois qui, par définition et pour qu’il ait un sens, doit être identitaire. Mais encore faut-il savoir ce que ça veut dire.

Défendre l’identité québécoise, ça n’a strictement rien à voir avec la défense d’une race. La nation québécoise existe parce que des individus se sentent comme en faisant partie, se reconnaissent entre eux spontanément, partagent une culture, une histoire, une mémoire distincte, le tout s’accompagnant de signes et de symboles identitaires. Tous n’ont pas forcément à faire leur l’ensemble de ces symboles, les « identités » individuelles sont forcément multiples et, qui plus est, ces signes comme ces symboles sont appelés à changer dans le temps. Mais ce qui importe est ceci : personne ne peut nier qu’il existe une référence nationale qui, elle, perdure dans le temps, en ce sens que depuis très longtemps, des femmes et des hommes se sentent participer d’une identité nationale distincte en Amérique que l’on nomme aujourd’hui la « nation québécoise ». Que les paramètres de cette identité changent, c’est dans la nature des choses. Par le passé, pour être Québécois, il fallait presque obligatoirement être catholique. Cette condition n’existe plus, mais le sentiment de faire partie d’une nation distincte en Amérique demeure. Qui sait à quoi ressemblera l’identité québécoise dans 150 ans? Personne ne saurait le dire. Une chose est certaine : ce qui distingue la nation québécoise, c’est qu’elle fait partie d’une de ses rares petites nations nord-américaines (avec nos amis autochtones, innus et acadiens) à chercher à perdurer en tant que nation distincte dans ce vaste melting-pot nord-américain. Le vecteur de sa différence, c’est son appartenance à quelque chose de plus grand, ce que l’on pourrait nommer la civilisation française, au sein de laquelle elle représente une couleur particulière. En ce sens, si le multiculturalisme canadien doit être combattu, c’est dans la mesure où il participe d’une négation de la nation québécoise et d’une vision du Canada comme d’un pacte entre peuples, contribuant ainsi à son érosion. Seuls les imbéciles combattent le multiculturalisme parce qu’ils n’aiment pas les « ethnies ». Défendre la nation québécoise, c’est défendre une identité, certes, mais qui parle à travers des faciès aux multiples origines et couleurs. Comme le disait l’inimitable Falardeau : « ils peuvent être blanc, jaune, noir, mauve, bleu avec des pitons jaune orange. M’en câlisse. S’ils veulent se battre avec moi, c’est mes frères ».

Or voilà : dans notre monde que polarisent allègrement les algorithmes, les nuances nécessaires à la réflexion volent en éclat. Philippe Couillard a déjà parti le bal des amalgames entre nationalisme québécois et racisme et, comme deux Dupont n’attendant que l’occasion de commettre une gaffe, Lisée et Legault n’ont pas attendu une journée pour entrer dans le cadre et s’autopeluredebananiser. Il faut bien plutôt refuser cet amalgame avec la dernière énergie. Et le bal des amalgames se poursuit: Mathieu Bock Côté vient d’être vilement associé aux évènements de Charlottesville, comme si sa critique légitime du multiculturalisme (comme étant paradoxalement négatrice des particularismes) avait quelque chose à voir avec la pensée raciste de ces salauds.

Mais il faut aussi, et peut-être surtout, envoyer un message clair aux  imbéciles qui utilisent le mot clic #remigration et à tous les autres ti-counes qui font équivaloir race et identité québécoise.

Ce message est simple : nous ne vous le permettrons pas.

Nous ne vous permettrons pas de faire de notre drapeau un signe de ralliement de la haine raciale. La gauche française a commis l’erreur de laisser le magnifique drapeau de la république au Front national pendant des décennies. Nous ne commettrons pas cette erreur.

Le nationalisme québécois a sa raison d’être dans la mesure où il entend faire perdurer cette manière particulière d’être au monde, improbable nation qui perdure au cœur même de l’empire américain, et qu’il accueille, comme il l’a toujours fait, ceux qui désirent en être partie prenante. Ne laissons pas les fascistes phagocyter le nationalisme québécois, et ne laissons pas les antinationalistes réduire, pour de méprisables raisons partisanes, notre légitime mouvement à un vil esprit de meute.

 

François Charbonneau




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