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L’ État succursale

Un texte de David Leroux
Thèmes : Politique, Québec
Numéro : Argument 2016 - Exclusivité Web 2016

Simon-Pierre Savard Tremblay, étoile montante du renouveau nationaliste québécois, nous livrait le 25 octobre dernier son second opus intitulé L’État succursale : la démission politique du Québec. Paru en plein milieu de la négociation tumultueuse des termes de l’AÉCG entre le Canada et l’Union Européenne et à quelques semaines de l’élection par un peuple en colère du controversé Donald Trump à la présidence des États-Unis d’Amérique, l’essai, publié chez VLB éditeur, ne pouvait pas mieux tomber pour nous éclairer sur les enjeux qui guettent les États face à une mondialisation qui, de plus en plus, s’emballe, s’envole et emporte avec elle le politique toujours plus loin des citoyens. La réflexion que déploie Savard Tremblay dans L’État succursale apparaît donc comme nécessaire en cette époque marquée par le détachement des élites des peuples desquels elles sont issues. Avantagées par le mondialisme économique et son pendant social, l’auteur les désigne par le vocable d’overclass, terme qu’il emprunte au penseur américain Christopher Lasch. Cette overclass mondialisée est la seule à réellement profiter de la dissolution des États-nations qu’engendre l’idéologie qu’elle défend au nom de tout un arsenal de valeurs auxquelles on ne peut s’opposer sans se voir classé dans le camp quasi-criminel des réactionnaires.

La démonstration que fait Simon-Pierre Savard Tremblay pour nous amener à comprendre ce qu’est l’overclass et les enjeux socio-politiques auxquels elle nous soumet est précise, brillante et densément documentée dans le premier chapitre du livre, intitulé « La nouvelle bataille des plaines d’Abraham ». Si le titre du chapitre est sans équivoque quant à l’importance de ce qui est mis en jeu par la dynamique économique propre à l’État succursale, son contenu ne décevra donc pas le lecteur, qu’il soit convaincu d’avance des thèses avancées par l’auteur ou non. On sent bien sûr dans ce premier chapitre que Savard Tremblay a dû faire quelques choix dans les cas qui s’offraient à lui pour illustrer l’ampleur des enjeux sous-tendant cette nouvelle bataille des plaines d’Abraham. Les nombreux exemples choisis sont toutefois exploités en profondeur.

Après avoir jeté les bases théoriques et plus larges de sa thèse, SPST nous livre un second chapitre plus spécifiquement axé vers le cas québécois et les « grands moments de la mise aux enchères » d’un État du Québec devenu non plus « gouvernement des hommes », mais « administration des choses » (p. 58). Empruntée à Marx, l’image est d’une grande puissance. Les pages qui suivent dressent donc la chronologie de l’adhésion du Québec à cette idéologique de la désincarnation étatique. Le phénomène germe, selon l’auteur, dans l’incubateur que fut la déprime ayant suivi l’échec de la première tentative de réaliser l’indépendance du Québec en 1980. Comme bien des nationalistes, Savard Tremblay avance que la Révolution tranquille avait comme point de mire intrinsèque la création d’un État-nation québécois et que le Parti Québécois post-1980 a failli à son rôle de poursuivre l’émancipation nationale à travers la mise en place de politiques vigoureuses à cet égard.

SPST voit donc dans l’histoire du peuple Québécois un destin jusqu’à maintenant inachevé ; et c’est notre incapacité à le faire advenir qui a laissé la porte ouverte à une dissolution nationale par le tentacule libéral du mondialisme exacerbé. Certains lui reprocheront peut-être d’essentialiser exagérément la Révolution tranquille, on le félicitera au contraire d’être encore capable, en 2016, de saisir l’âme d’un peuple et les grandes forces qui bouillonnent sous son histoire, et plus encore d’écrire un ouvrage sérieux dévoilant une pensée basée sur cette prémisse. Encore une fois, la démonstration est d’une grande limpidité. Une série d’échecs nationaux ont conduit le Québec dans la posture qui est aujourd’hui la sienne. Enfumés par l’utilisation habile des principes de l’indirect rule par Trudeau-père et par une version modernisée de la petite loterie qui plaçait au pouvoir de bons parvenus sous l’autorité de Mulroney, les Québécois ont permis l’amorce de leur désintégration politique collective. La reconnaissance de la victoire du NON au soir du 30 octobre 1995 par les indépendantistes, la démission subséquente de Jacques Parizeau et l’arrivée au pouvoir d’un Lucien Bouchard ayant accepté de laisser les agences de notation de crédit mener les politiques économiques du Québec ont constitué la consécration de la démission politique de la nation.

La suite de l’ouvrage creuse cette analyse du processus de dénationalisation du Québec à travers le changement de vocation de l’Hydro-Québec et de la Caisse de Dépôt, l’amplification du poids des transnationales dans les affaires publiques, le despotisme libre-échangiste, la conversion de l’université en machine à formater les esprits conformément à la doxa mondialisante puis, ultimement, l’avènement d’une jeunesse non plus politisée au sens classique de ce qu’est le politique, mais parfaitement dépolitisée et obsédée par ce que l’auteur nomme des « utopies compensatoires », celles d’un gauchisme utopique ou de l’écologisme notamment. Ce déplacement d’objet libidinal sociétal dans l’esprit de la jeunesse est possiblement la plus dramatique des conséquences de la pénétration de l’idéologie de l’État-succursale dans la psychè québécoise, puisqu’elle consacre la soumission nationale et indique que nous n’en sommes qu’à quelques années de la voir devenir une réalité pérenne, réalisme démographique oblige, les anciennes générations finissant inexorablement par traverser le Styx en emmenant avec elles l’ancien monde.

On appréciera que la lecture de ce livre que certains voudront classer dans la catégorie des essais pessimistes s’achève sur quelques suggestions pour regarder l’avenir avec un peu d’espoir. D’abord, le fait même que Savard Tremblay, pas même trentenaire, en soit à son second essai sérieux sur l’état socio-politique du Québec est porteur d’une forme d’espoir, la jeunesse n’ayant vraisemblablement pas unanimement succombé aux sirènes envoûtantes de l’air du temps et de leur progressisme unanimiste. Ensuite, l’auteur, dans le dernier chapitre de L’État succursale, propose des pistes pour « renverser le Québec post-référendaire ». Ce sera peut-être la seule déception que laissera derrière lui ce livre : qu’il ne pousse pas davantage cette proposition de solution. Son propos conclusif est on ne peut plus limpide, mais un peu trop expéditif. La solution : renouer avec la souveraineté. Mais c’est avec une souveraineté beaucoup plus ferme et virile que celle à laquelle le mouvement indépendantiste québécois nous a habitué depuis 20 ans que Savard Tremblay souhaite que nous renouions collectivement, bien éloignée de l’engluement libéralo-juridique actuel et axée sur l’effectivité et le décisionnisme. Puisque l’État « devient ce qu’il fait » (p. 227), SPST nous propose de reprendre le volant et de retrouver ce goût de nous conduire nous-mêmes qui nous a jadis habités. « Un gouvernement, ça sert à gouverner » disait Jacques Parizeau. C’est dans cette exacte veine que s’inscrit l’auteur de L’État succursale.

On comprendra toutefois SPST de ne pas avoir développé davantage dans cet ouvrage son idée de repenser la souveraineté nationale du Québec par la lentille de l’effectivité plutôt que par celle de l’acceptabilité aux yeux des ennemis naturels de la cause. Il s’agissait ici de respecter le thème  qu’il s’était donné et de ne pas conclure par l’insertion d’un « livre dans le livre ». On espérera toutefois sans gêne la sortie d’un troisième opus par Savard Tremblay, pourquoi pas basé sur le développement de cette idée de la souveraineté effective comme remède à l’apolitisme triomphant de notre époque.

Quoi qu’il en soit, avec L’État succursale, Simon-Pierre Savard Tremblay se positionne clairement sur l’échiquier de la réflexion politique nationale quant à l’avenir du Québec comme un représentant clé de cette jeunesse nationaliste actuellement en ascension dans la belle province. Ses idées sont claires, sérieuses et son écriture est limpide et sans faille, quoique parfois un peu dense pour le commun des mortels. Que cela n’arrête surtout personne de se procurer une copie de L’État succursale. Il s’agit d’un incontournable pour quiconque souhaite se mettre au diapason du renouveau du discours nationaliste qui s’effectue lentement, mais sûrement au sein du mouvement indépendantiste Québécois.

DAVID LEROUX,

Université McGill

 




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