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Le bon prof ou quand le bateau coule

Un texte de Patrick Moreau
Dossier : Autour d'un livre: Le bon prof. Essais sur l'éducation. de David Solway
Thèmes : Éducation, Jeunesse, Mouvements sociaux, Société
Numéro : vol. 11 no. 2 Printemps-été 2009

Pousseront probablement des hauts cris à la lecture de ces essais de David Solway – s’ils les lisent – tous ceux qui confondent allègrement taux de diplomation et amélioration des performances du système scolaire, augmentation du nombre d’heures de cours et accroissement des connaissances dans les matières enseignées, ou encore durée de la présence en classe et véritable démocratisation de l’enseignement. Bref, tous ceux qui se fient à des chiffres pour affirmer que l’école va bien et que souffle dans les voiles du bateau scolaire qui semble pourtant prendre l’eau de toutes parts un vent de progrès. Pour les autres, qui se soucient encore d’éducation, c’est-à-dire de la transmission de connaissances et de l’élargissement subséquent de la compréhension du monde comme du domaine de la pensée, ils ne découvriront dans ces pages, à travers un constat lucide et mené sans compromis de ce qu’est devenu aujourd’hui ce système d’éducation qui est le nôtre, que toute l’étendue d’un désastre… un naufrage, dira-t-on si l’on veut à tout prix filer la métaphore.

Ce n’est pas sans une réelle amertume que le poète et essayiste montréalais constate laconiquement que ses « étudiants, pourtant de plus en plus nombreux à obtenir leur diplôme, ne savent ni lire, ni écrire, ni penser[1] » ou qu’il estime « qu’il manque à plus de la moitié des élèves qui terminent le secondaire l’outillage nécessaire pour réussir au collège et à l’université » (p. 74). Plus loin, il n’hésitera pas à parler d’« incapacité généralisée à maîtriser les complexités de la communication raffinée » (p. 140) (et par « raffinée », il convient moins d’entendre ici une allusion à une quelconque préciosité que tout simplement à l’acquisition d’un langage permettant de transmettre à un tiers des idées, des jugements relevant d’une certaine complexité). Bref, l’école actuelle, celle des réformes et des pédagogies prétendument libertaires, celle qui, centrée sur l’apprenant et ses désirs, néglige l’enseignement de la matière, a sur les élèves un « effet de décervelage » (p. 45) et se ressent, conclut-il, des effets d’une « démission généralisée » (p. 95).

Si tous ces points constituent aujourd’hui une évidence pour bien des gens dans le milieu de l’enseignement, on ne jugera pourtant pas mauvais que des livres comme celui de David Solway viennent périodiquement rappeler ces faits au grand public et aux décideurs politiques auprès de qui ils commencent fort heureusement à faire figure de « secret de Polichinelle » (p. 74) de moins en moins bien gardé.

Mais ce n’est pas là le seul intérêt de cette traduction en français des textes de l’essayiste anglo-montréalais, et on peut aussi espérer que celle-ci contribuera à sortir le débat sur l’éducation tel qu’il se présente au Québec des ornières du misérabilisme où l’enfoncent bien souvent les défenseurs de l’école actuelle. Elle coupera en tout cas l’herbe sous les pieds de ceux qui balaient toutes ses incontestables défaillances du revers de la main en invoquant l’excuse un peu facile du rattrapage : « on vient de si loin » clament-ils à l’unisson. Face à ces fantômes de la Grande noirceur, à l’invocation presque ritualisée d’un obscurantisme et d’un élitisme passés, le système d’éducation francophone se voit alors disculpé de tout blâme au nom d’un progrès qui a tout d’une marche boitillante vers un avenir qu’on voudrait bien néanmoins croire radieux.

Il est certes toujours loisible de se consoler en se disant que c’était pire avant (ce qui reste néanmoins à prouver), ou du moins que ce n’était pas mieux (ce que quelqu’un comme Solway et bien d’autres de sa génération sans doute contesteraient). Mais si, ce faisant, on croit tout justifier, y compris l’illettrisme et l’inculture des jeunes qui sortent de nos écoles aujourd’hui, alors cette excuse vite trouvée a tout d’un argument de mauvaise foi. Il est à craindre qu’elle masque un aveuglement idéologique en matière d’enseignement. Pire, en s’évertuant à le nier, elle empêche qu’on réagisse à l’encontre d’un échec aussi patent.

Dans cette perspective, si fréquente dans les débats québécois, ce que David Solway vient opportunément nous rappeler, c’est que nous ne sommes pas en présence d’un phénomène strictement québécois ou, si on préfère, canadien-français et lié au conservatisme d’antan, ou encore à la médiocrité reconnue des écoles publiques du temps du Frère Untel et de la Commission Parent, mais d’une évolution plus générale et contemporaine des sociétés occidentales, évolution culturelle dont les faibles performances scolaires de nos élèves ne constituent que la pointe émergée.

Car David Solway ne se contente pas de constater cette médiocrité des performances scolaires de ses élèves. Il s’interroge aussi tout au long de ces essais, publiés en anglais pour certains depuis près de vingt ans, sur les raisons qui ont fait qu’on en est arrivé là. Accusant dans un premier temps les pédagogues et leurs théories qui se veulent « progressiste[s] » et « éclairée[s] », il évoque tour à tour la réduction des exigences (p. 173), la surévaluation des notes d’examens (p. 116) - quand les résultats ne sont pas tout bonnement « manipulés de façon routinière » (p. 128) et ainsi faussés – toutes choses que nous sommes de plus en plus nombreux dans le monde de l’éducation à déplorer.

Surtout, il met à jour cette croyance irrationnelle propre à notre modernité « que la technique est garante de la substance » (p. 36) ou, si vous préférez, cette promotion de la forme « au détriment du fond » (p. 35), tendance qui a, dans le domaine de l’enseignement et particulièrement de la pratique scripturaire, un effet dommageable, pour ne pas dire pis : désastreux. Nos élèves majoritairement ne savent en effet pas écrire, peinent à réfléchir, à analyser une question, un texte littéraire, ou une situation historique, n’ont rien à dire, qui plus est (parce qu’on ne leur a pas appris grand-chose), dans les textes argumentatifs qu’on s’obstine pourtant à exiger d’eux. Mais qu’à cela ne tienne ! On va leur concocter des recettes infaillibles, des procédures à suivre à la lettre qui suppléeront autant que faire se peut à leurs lacunes, surtout sensibles en ce qui concerne la maîtrise de la langue écrite, la logique de l’argumentation, la réflexion et la culture générale enfin qui doivent minimalement soutenir la production d’un texte écrit que l’on qualifiera pompeusement d’essai ou de dissertation critique.

On évaluera ensuite, plutôt généreusement, la « forme » de cet écrit, c’est-à-dire le respect plus ou moins scrupuleux de l’ensemble des techniques ou étapes enseignées, ce qui permettra en fin de compte de donner la note de passage à un texte où il n’est à peu près rien dit et dont la « production » se résumera le plus souvent à un remplissage maladroit de « cases » prédéfinies. Il a pour décrire une telle manie procédurale cette image cocasse : c’est, écrit-il, « comme si on mangeait le menu au lieu des plats » (p. 36). « Comment penser, ajoute-t-il plus sérieux, qu’il soit possible de structurer par l’application de règles […] des textes maladroits […] alors même qu’ils sont vides de substance ? » (p. 101)

Ainsi le problème fondamental qu’ont à affronter les enseignants au secondaire, au collégial, et vraisemblablement encore à l’université, souligne David Solway, n’est pas tant celui d’un manque de méthode, que l’incapacité à bâtir une argumentation sur un contenu, j’ai presque envie de dire sur un engagement de la pensée. Obnubilés par les questions rhétoriques et linguistiques, nous passons à côté de la question principale qui est celle de la signification à donner à un texte, c’est-à-dire celle du sens à donner au monde qui nous entoure. Si majoritairement nos élèves écrivent si mal et argumentent si peu quand ils prétendent le faire, cela n’est pas seulement dû aux lacunes qui sont les leurs en matière de langue (de maîtrise de la syntaxe, de connaissance du lexique approprié), c’est aussi et surtout qu’ils argumentent pour l’essentiel dans le vide.

Que pensez-vous de la façon dont est représentée la vie des paysans dans le roman du terroir ? Dans l’Antigone de Sophocle, qui d’Antigone ou de Créon a raison ? Que symbolise Don Juan dans la célèbre pièce de Molière ? Il faut bien reconnaître que la plupart du temps ils n’en pensent tout simplement rien ; ils ne se sont jamais posé la question et on ne les a guère embêtés auparavant avec de telles interrogations en apparence si éloignées de leurs préoccupations immédiates, de leur vécu ; et si tout à coup il leur prenait l’envie de se les poser réellement, ces questions, sans doute réaliseraient-ils, et leurs professeurs avec eux, qu’ils n’ont tout simplement pas les moyens d’y répondre, non pas qu’ils soient victimes d’une défaillance inexplicable de leur réflexion, mais parce que ces questions, la pensée qu’elles sont supposées stimuler, le sens qui devrait s’en dégager, ne se rattachent plus à rien de ce qui compose leur univers. On a tranché en eux le cordon ombilical qui les rattachait à un héritage culturel qu’ils ne reconnaissent plus pour leur, au point de s’y promener tels des étrangers de passage qui confondent dans le même éloignement ontologique la Vierge Marie et la Vénus de Milo, la Révolution tranquille et celle qui a eu lieu à Paris deux siècles plus tôt, Louis xiv et – pourquoi pas ? – Maurice Duplessis ou Ch’in Shih Huang-ti. La célèbre héroïne de la tragédie de Sophocle, pour ne prendre que cet exemple, n’évoquera à leurs yeux ni la liberté hautaine de l’individu en révolte contre l’État et sa tyrannie, ni la revendication des droits sacrés de la conscience, pas plus que le dévouement à un idéal qui mériterait qu’on lui sacrifie notre vie ; tout au plus, rappellera-t-elle vaguement telle ou telle héroïne découverte récemment au cinéma… Le lien vivant à cette culture (que nous avons omis collectivement de leur transmettre) est désormais forclos et il est bien difficile à un cours, aussi magistral se veuille-t-il, de venir à bout de percer cette cosse épaisse et amorphe de l’égotisme du présent pour parvenir à se faire jour dans leur esprit.

On est alors loin du compte quand on évoque à leur sujet l’ignorance, l’inculture, ou même l’immaturité intellectuelle ; il faudrait préférablement parler d’insouciance métaphysique, d’épuisement du sens qui ramène d’ailleurs à la surface un simplisme sans aucune modération. Cette inculture, cette insouciance, ce simplisme, est-il utile de mentionner qu’ils ne les ont pas inventés ? C’est ainsi qu’on découvre que se cachent en fait, derrière ces problèmes que Solway identifie, des symptômes qui l’amènent à conclure à l’existence dans nos sociétés d’une crise plus générale de la littéracie, crise du sens qui menace et la cohérence du sujet lui-même et celle du monde dans lequel il vit.

Or, cette crise qui menace ainsi deux piliers séculaires de la culture occidentale (l’autonomie du sujet et un monde rationalisé, ou au moins compréhensible) ne provient évidemment pas de l’école, ni de ces jeunes qui en occupent à l’heure actuelle les bancs et planchent avec plus ou moins de bonne volonté sur les sujets peut-être obsolescents que nous leur proposons. Ce n’est rien moins qu’une crise de civilisation dont les dérives du système scolaire offrent aujourd’hui la plus évidente illustration. Le règne de l’image dans lequel baigne la société contemporaine engendre ou accompagne celui, subjectif et irrationnel, du sentiment, de l’émotion, et accomplit ce qu’un essayiste récent (Zaki Laïdi) a appelé le « sacre » d’un « présent autarcique »[2]. La tendance de l’époque est à l’antirationalisme, au refus de la discussion et du débat au nom de la prééminence des choix de l’individu sur toute autre forme de vérité, à l’oubli de l’histoire et des déterminations qui pèsent sur nos sociétés.

C’est à partir de ces données-là qu’il faut repenser le débat sur l’éducation, et non dans une perspective québéco-centriste qui ne peut ici qu’accentuer l’illusion d’un retard à combler quand il s’agit plutôt d’un futur vain à refuser. Nous n’avons pas affaire à une émancipation qui progresse – et dont l’école serait l’un des moyens – mais à une modernisation ratée, dévoyée, et qu’il s’agit de refuser.

Un tel recentrement de la question aura en outre pour insigne avantage d’empêcher les thuriféraires de la réforme et autres partisans de cette pédagogie du vide de s’enrouler avec la complaisance qui leur est coutumière dans le drapeau du progrès afin de qualifier tous ceux qui contestent le bien-fondé de telles expériences pédagogiques de nostalgiques, quand ce n’est pas de réactionnaires. Car – répétons-le – ce qui est véritablement en jeu dans ce débat sur l’éducation, ce n’est pas une opposition caricaturale entre des réformateurs audacieux autant que modernistes et des zélateurs passéistes d’une culture classique réservée à une petite élite sociale, c’est une opposition philosophico-politique entre des pédagogues postmodernistes qui ne perçoivent plus les domaines de la pensée et de la culture qu’à travers le prisme d’un relativisme généralisé (les derniers programmes d’histoire ou d’éthique et culture religieuse sont là pour en témoigner), et ceux que je qualifierai d’humanistes, qui croient encore que la pensée rationnelle est un outil fondamental pour s’arracher à l’inconscience de la vie et de la spontanéité désirante, au subjectivisme balbutiant et presque pulsionnel du « moi, je pense que… », pour s’ouvrir sur le monde, afin de le comprendre et éventuellement de le transformer.

S’il n’est donc pas difficile d’être pleinement d’accord avec David Solway pour dénoncer ces dérives de l’éducation (post-)moderne et établir le diagnostic de ce qui ne va plus, on ne s’accordera pas aussi facilement avec les quelques solutions qu’il propose afin de remédier à cette désaffection du monde scolaire pour l’éducation, considérant que pour l’essentiel elles ne rencontrent pas leur objet.

Solway est en effet animé d’une animosité typiquement libérale à l’égard de la « bureaucratie » qui l’amène à dénoncer la pléthore de « technocrates et gratte-papiers » (p. 114) qui encombre les corridors du mels, ainsi que l’« idéologie moniste ou centralisatrice » (p. 117) qui y prévaut selon lui.

Ainsi, après avoir étrillé les membres de cette « nomenklatura » de l’éducation et avoir montré l’inanité de leurs réformes fondées sur des « doctrines rationnelles mais déraisonnables » (p. 129), il aboutit à une série de propositions concrètes qui auraient seules à son avis un impact positif sur la qualité de l’enseignement : augmentation substantielle du salaire des enseignants, réduction du nombre d’élèves par classe, « octroi de fonds » afin d’améliorer les locaux, d’acheter des livres (p. 162), mesures qui, à n’en pas douter, sont loin d’être dénuées d’un certain bon sens, mais ne suffiront pas, si l’on m’en croit, à rétablir la situation qui est présentement celle du système d’éducation. Je ne suis pas persuadé en effet qu’il suffise de « réunir intelligence et bonne volonté dans un contexte où elles peuvent s’épanouir » (p. 166) pour retrouver un système d’éducation plus efficient. Je ne crois pas non plus qu’il faille renoncer à tout dirigisme en éducation. Bien au contraire.

Un discours de ce type plaira certainement, et on lui prêtera à n’en pas douter une oreille attentive dans certaines officines politiques où l’on jongle avec l’idée de « réduire la taille de l’État » ou de « libérer l’initiative individuelle des carcans administratifs » qui l’enserrent supposément, mais je doute fort qu’il ait en éducation un impact positif et aboutisse en bout de ligne à autre chose qu’à transformer un système d’enseignement déjà fort malmené en un buffet chinois où les uns acquerraient, en fonction de l’établissement fréquenté, du milieu socioprofessionnel dominant dans leur quartier, de la qualité plus ou moins grande de leur professeur, de sa motivation et de son idéalisme aussi, telles ou telles connaissances, minimales ou plus élaborées, telles ou telles habiletés. Nous avons déjà un système scolaire à deux vitesses (public/privé) ; les choses ne s’amélioreront certainement pas en multipliant les braquets ! J’ai au contraire la conviction que c’est dans un réinvestissement politique de la question de l’éducation que gît partiellement la solution. Là réside la principale divergence qui oppose mon point de vue à celui de David Solway.

Mais peut-être cette divergence d’opinion est-elle l’effet d’une différence culturelle plus fondamentale ! Moins « libéraux » que leurs voisins anglophones (sans doute entre autres choses parce que la tutelle étatique leur est apparue plus apte que la seule bonne volonté à conjurer les menaces qui ont pesé et pèsent encore sur leur culture), les Québécois francophones sont logiquement moins réticents à considérer l’idée que c’est l’État qui doit imprimer au système d’enseignement une direction claire. Dans l’esprit de la majorité, celui-ci doit en effet contribuer à maintenir vivace l’héritage linguistique, historique sur lequel se fonde leur identité. C’est pourquoi, me semble-t-il, le ministère de l’Éducation, mais aussi le système scolaire en tant qu’institution, doivent endosser au plus vite, non pas une ixième et vaine réforme portant sur les méthodes d’apprentissage, mais un projet clair, une volonté ferme de transmettre à nos enfants et à nos jeunes des contenus (une connaissance approfondie de leur langue, de leur passé, de leur culture, une capacité de réflexion). Surtout, il ne faut en aucun cas abandonner aux seuls gestionnaires ou à de supposés spécialistes – comme on a l’impression que c’est trop souvent le cas en ce moment - la direction de l’éducation au Québec qui est et doit demeurer une question éminemment politique.

Il ne paraît pas beaucoup plus judicieux de s’en remettre en cette matière à la bonne volonté ou aux talents des enseignants eux-mêmes, pris individuellement. Une telle bonne volonté, dont je ne doute pas qu’elle existe, risque d’être rapidement battue en brèche et débordée par les revendications d’élèves-consommateurs exigeant des contenus de cours adaptés à leurs désirs, sinon à leurs besoins. Ils céderont n’en doutons point à ce besoin de plaire inhérent à la position de l’individu isolé devant sa classe, car cet individu – fût-il dûment diplômé et même infatué de certains idéaux que l’on a qualifiés plus haut d’humanistes – ne saurait résister seul à l’air du temps.

Paradoxalement, donc, on estimera que l’enseignement au Québec souffre dans le même temps d’un excès de dirigisme de la part du ministère en ce qui concerne la pédagogie, les méthodes d’enseignement, le droit de décider du cheminement des élèves, etc. et d’une absence quasi totale de vision de ce que doit être l’éducation. Le fonctionnement du système semble l’emporter largement dans l’esprit des décideurs sur ses finalités. C’est pourtant de ces finalités de l’éducation qu’il faut débattre dans l’arène politique ; ce sont elles qui constituent à proprement parler une question de société. Alors, nous déciderons peut-être collectivement qu’il vaut la peine de maintenir à l’horizon d’une éducation digne de nos enfants une certaine littéracie (et pas seulement une vague maîtrise de l’orthographe), l’acquisition d’une culture générale leur permettant de se situer dans une histoire personnelle autant que sociale ainsi que d’une capacité à réfléchir par eux-mêmes et à défendre leurs idées sans lesquelles il n’est de véritable démocratie.

Pour le dire tout net, face à une évolution de la société vers le règne de l’image, de l’oralité, de l’immédiat, de l’émotivité, pour la contrer ou tout simplement parce que nous ne sommes pas obligés de l’accepter, l’école doit s’ériger en lieu transcendant par rapport au présent ; elle doit devenir cette tour d’ivoire ou bien ce navire insubmersible, où, loin du bavardage médiatique et quotidien, on apprendra à pratiquer une langue de qualité, où l’on acquerra un bagage culturel minimal afin que ces références enfin partagées n’apparaissent plus comme des anomalies mais deviennent parties prenantes d’une certaine normalité. On peut alors espérer que cela aura à long terme un impact sur l’évolution de la société.

En ce sens, je suis peut-être plus optimiste (ou plus naïf) que M. Solway. Car si le Titanic coule (le dernier chapitre de l’essai de David Solway s’intitule « Abandonner le Titanic ? »), au moins pouvons-nous tenter désespérément et avec une bonne dose d’optimisme de colmater les brèches déjà apparues sous la ligne de flottaison. Ça vaut en tout cas la peine d’essayer. Sinon, nous risquons, comme le dit si bien David Solway, de nous faire « les complices d’une société où l’esprit humain est nié et étouffé » (p. 45).

 

Patrick Moreau*

 

 

NOTES

* Né en France, Patrick Moreau enseigne la littérature au Cégep Ahuntsic depuis 14 ans. Il a publié récemment aux Éditions Boréal un pamphlet : Pourquoi nos enfants sortent-ils de l’école ignorants ?

[1] David Solway, Le bon prof. Essais sur l’éducation, trad. de l’anglais par Y. Amzallag, C. Ayoub et E. Bos, Montréal, Fides, 2008, p. 44. Les prochaines références à cet ouvrage sont indiquées entre parenthèses dans le corps du texte.

[2] Cf. Zaki Laïdi, Le sacre du présent, Paris, Flammarion, 2002.

 


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