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Les gauchistes multiculturels: idiots utiles du capital ?

Un texte de Olivier Duchesneau
Thèmes : Québec, Économie, Multiculturalisme
Numéro : Argument 2019 - Exclusivité Web 2019


En cette ère où seule règne la novlangue politiquement correcte, les récents propos de la députée solidaire Émilise Lessard-Therrien sur l’accaparement par des Chinois de terres témiscamiennes ont fait couler beaucoup d’encre dans le camp progressiste, allant jusqu’à provoquer une manifestation contre la prétendue « sinophobie » de Québec solidaire... Cette anecdote n’est que la énième manifestation d’un gauchisme culturel qui semble inconscient du caractère paradoxal de ses actions.  

 

Mais revenons d’abord sur les faits. Lors d’un épisode de La vie agricole, la porte-parole de QS en matière d’agriculture dénonçait le magasinage des terres du Témiscamingue par des investisseurs chinois, qu’elle n’hésita pas à qualifier de « prédateurs ». Arpentant les rangs de patelins de la région au volant de Mercedes et vêtus de complets-cravates, ces investisseurs venus de l'Empire du milieu sont à la recherche de lots québécois à bas prix pour la culture de la luzerne, celle-ci étant ensuite exportée en Chine. Ne retenant que la formulation de Lessard-Therrien et oubliant opportunément ce qui constituait le cœur de son propos, des représentants influents de la gauche multiculturaliste ont ainsi décidé d'organiser une énième manifestation contre le racisme. Les propos de la députée ont été diabolisés comme avatars du racisme systémique, alors qu’une interprétation honnête de ceux-ci aurait dû être en mesure saisir qu’il ne s’agissait pas le moins du monde d'associer les Chinois en tant qu'ethnie à la prédation. Au lieu d'accorder le bénéfice du doute à la députée abitibienne, une frange de la gauche urbaine bien-pensante s’est plutôt consacrée avec une rage inouïe à la stigmatiser.

 

Ce faisant, ces gauchistes ont contribué au travail de sape qui vise à affaiblir la résistance ordinaire face à la logique capitaliste. Car c’est effectivement en jetant aux poubelles ce qu’il y a de plus intéressant dans la critique de la députée Lessard-Therrien, c'est-à-dire l’accaparement des terres de sa région par des intérêts capitalistes et au détriment des paysans locaux, que ces gardiens de la doxa multiculturaliste ont pu agiter le drapeau de la sinophobie. En véritables idiots utiles du grand capital, les gauchistes identitaires ont donc réussi à poser des capitalistes chinois en victimes de racisme ! Il s’agit là d’un véritable tour de force et l’on a ainsi pu voir – c’est un comble ! – un soi-disant « écosocialiste » comme Alex Tyrrell, du parti Vert, se ranger derrière des multinationales chinoises plutôt qu’aux côtés d'une députée inquiète de la dépossession de son territoire.

 

Cette réaction n’est pas qu’anecdotique. Loin de représenter un phénomène marginal, les tiraillements qui minent le progressisme québécois de l’intérieur expriment surtout les malaises contemporains de la résistance critique : la gauche se transforme en « gauchisme ». En tant qu'incarnation de ce que le philosophe français Jean-Claude Michéa appelle le « libéralisme culturel », les milices de la pseudo-tolérance opèrent toujours en adhérant aux vues de l'individualisme libéral, qui sert de base aux luttes contre les discriminations. Ce faisant, ces gauchistes multiculturels appliquent avec zèle, et apparemment sans s’en rendre vraiment compte, le mot d'ordre de Thatcher et réduisent eux aussi la société à n’être qu’un immense marché où se rencontrent des monades isolées porteuses de droits. Ainsi, il devient impossible de hiérarchiser les formes de domination autrement qu’en termes de droits individuels : selon cette logique, n’est-ce pas le capitaliste chinois qui est opprimé par des ruraux occidentaux « intolérants » quand il souhaite profiter du bas prix des terres en région éloignée ? L’appartenance nationale se voit ainsi réduite à une donnée purement ethnique, et les gauchistes montréalais biberonnés à la charte des droits et libertés et au cosmopolitisme abstrait de Facebook ne parviennent plus à se solidariser avec des agriculteurs témiscamiens, sans doute trop enracinés quant à eux dans leur pays.

 

La phrase de Lessard-Therrien incriminée aurait, bien sûr, pu être formulée autrement, mais on comprend très bien en l’entendant – du moins si l’on sait faire preuve d’un minimum de bonne foi – que les prédateurs en question sont capitalistes avant d'être chinois. Or depuis Marx, nous sommes censés savoir que la logique du capital est étrangère aux besoins des humains et aux fonctionnements des écosystèmes, notamment par la transformation de la terre en machine à générer de l'argent. C'est donc nécessairement en défendant la souveraineté régionale et nationale du sol que doit se dérouler le combat écosocialiste. Et cela devrait s'effectuer d'abord en cessant d'attaquer nos concitoyens sans même prendre la peine de comprendre ce que veut dire leur prise de parole dans les débats publics.

 

 

 

 

Photo: Wikimedia Commons




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