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Recension : De la participation citoyenne des femmes de culture musulmane en Europe

Un texte de Pierrette Beaudoin
Thèmes : Féminisme, Islam, Politique
Numéro : Argument 2018 - Exclusivité Web 2018


 

D’entrée de jeu, une mise en garde à l’intention du lecteur s’impose. La participation civique et politique des femmes de culture musulmane en Europe [1], une excellente traduction française de Muslim Women and Power : Political and Civic Engagement in West European Societies, est un ouvrage dense, aride et très détaillé. Le lecteur devra donc s’armer de patience pour aller jusqu’au bout de ce rapport de 328 pages.

 

Toutefois, reconnaissons que la direction de la collection Sociologie contemporaine des Presses de l’Université Laval a fait « œuvre utile » en rendant accessible en français cette imposante somme de travail, fruit bien mûr de plus de 25 ans de recherches menées par deux scientifiques chevronnées de l’Université de Warwick (Royaume-Uni), la Française Danièle Joly et l’Anglaise Khursheed Wadia.

 

« Œuvre utile », parce que cet ouvrage est utile, très précisément, et ce, dans le sens de pertinent. Pertinent sur le plan de la formation parce qu’il présente un cadre conceptuel sophistiqué ainsi qu’un rigoureux modèle de recherche de type qualitatif. Également pertinent sur le plan social, notamment en raison des débats actuels sur l’intégration des femmes et des hommes de confession musulmane dans leurs différents pays d’accueil.

 

À mon avis cependant, l’aspect le plus fascinant de cet ouvrage réside dans la complexité de l’approche théorique, dans l’échafaudage conceptuel raffiné, qui permet une largeur et une profondeur de vue pour appréhender l’engagement sociopolitique d’Anglaises et de Françaises de culture musulmane. À cet effet, les deux chercheuses ont intégré divers cadres théoriques tels que l’intervention sociologique de Touraine, l’approche réaliste d’Archer, le modèle de Jepperson sur l’organisation de la société et de l’organisation de l’autorité collective ainsi que l’approche féministe de l’intersectionnalité.

 

Les résultats de cette vaste étude, qui cherche à cerner la participation politique et civique des femmes de culture musulmane dans une perspective multidimensionnelle, sont foisonnants. Résumée à larges traits, l’analyse des données montre que les femmes participent à la politique surtout en votant, en signant des pétitions, en discutant de politique et en incitant les autres à voter. Elles s’engagent également dans les services publics en faisant du bénévolat, en aidant à la cueillette de fonds ou en cotisant auprès d’associations. Les femmes sont par contre moins présentes en politique municipale, dans les partis politiques et dans les conseils scolaires. Enfin, elles utilisent peu les médias pour faire valoir leur point de vue.

 

Voilà de quoi réduire à néant certains préjugés à l’égard d’un prétendu manque de dynamisme des femmes de culture musulmane. « Les résultats de nos recherches, écrivent les auteures, démentent les idées préconçues sur les femmes musulmanes et démontrent que celles-ci aspirent à s’engager activement dans la vie publique[2]». Pourtant, malgré le fait que les femmes valorisent l’engagement politique et civique, de nombreux obstacles jonchent leur parcours vers une plus grande autonomie.

 

À titre d’exemples : le terrorisme islamique, qui a pour effet d’augmenter les préjugés et la discrimination à l’égard des musulmans ; le conservatisme de certaines familles et particulièrement du groupe ethnique d’appartenance valorisant le rôle traditionnel de la « bonne » mère, de la « bonne » épouse, de la « bonne » fille, de la « bonne » belle-fille, au détriment de leur engagement dans la sphère publique ; enfin, le manque de confiance de plusieurs d’entre elles quant à leur capacité à prendre leur place dans la société majoritaire ; sans compter, des ressources financières limitées : une grande partie de ces femmes se situant, sur le plan socioéconomique, au bas de la pyramide.

 

De plus, Joly et Wadia fournissent de l’information intéressante sur les différents types  de relations que les femmes entretiennent avec l’islam ainsi qu’avec les divers courants du féminisme, « blanc », « noir » ou « de minorité ethnique » (à ce sujet, on peut lire également : Un féminisme musulman, et pourquoi pas ?[3]). Les chercheuses mettent aussi en relief les préoccupations des femmes : de l’habit islamique au manque d’indépendance personnelle, en passant par le contrôle des jeunes hommes sur les jeunes femmes. Réfléchies, les femmes rencontrées en entrevue ont aussi fait connaître aux deux sociologues les stratégies qu’elles mettent en œuvre pour composer avec leur situation, une bonne manière pour elles d’arriver à une plus grande prise de pouvoir  malgré les nombreuses contraintes sociales et économiques.

 

Très touffu, cet ouvrage européen de type monographique s’est avéré éminemment difficile à résumer. Il nous a donc fallu faire des choix. Délaisser des pans entiers des réflexions présentées. Nous avons néanmoins la conviction que sa lecture attentive pourra inspirer des chercheuses et chercheurs québécois stimulés par les discussions animées qui ont cours sur l’immigration, l’intégration des personnes immigrées, la laïcité, la peur de l’autre, les intégrismes laïques ou religieux, etc. Si le livre de Danièle Joly et Khursheed Wadia arrive à piquer la curiosité de nos scientifiques, il aura été encore plus qu’« utile »…, indispensable !

 

Pierrette Beaudoin



[1] Danièle JOLY et Khursheed WADIA, La participation civique et politique des femmes de culture musulmane, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. « Sociologie contemporaine », 2017, 328 p.

[2] Ibid., p. 235.

[3] Malika HAMIDI, Un féminisme musulman, et pourquoi pas ?, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2017, 177 p.




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