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Victoire et défaite de Marine Le Pen

Un texte de Philippe Labrecque
Thèmes : Conservatisme, Démocratie, France
Numéro : Argument 2017 - Exclusivité Web 2017

Avec plus de 65 % des voix, Emmanuel Macron a enregistré une victoire écrasante face à Marine Le Pen lors du second tour des élections présidentielles françaises. À 39 ans, celui qui n’avait jamais été élu auparavant triomphe et devient Président de la République française, au soulagement de plusieurs pourrait-on rajouter.

Mais après l’euphorie de la victoire une fois dissipée, les confettis balayés, et le spectacle au Carrousel du Louvre terminé, la refonte du paysage politique français se fera et Marine Le Pen aura réussi ce que son père n’a jamais pensé possible : que le Front national devienne le premier parti de droite de France.  Marine Le Pen a surement rêvé à la présidence en 2017, mais elle et son parti ont toujours su que l’objectif était de marginaliser l’axe du pouvoir à droite, c’est-à-dire Les Républicains (LR), anciennement l’Union pour un mouvement populaire (UMP), ce qui pourrait bien être chose faite maintenant. Paradoxalement, Macron l’aura aidé à accomplir cet objectif.

À la lumière des résultats de ces deux tours d’élections, les clivages politiques français, en effet, se déclinent maintenant autour de trois axes.

Le premier axe étant la gauche dure, étatique, interventionniste, et « bolivarienne », qui se retrouve chez La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Les supports de cette gauche de rupture et antisystème viennent en partie du socle marxiste historique en France (trois candidats lors du premier tour se réclamaient du Trotskisme) et également des socialistes désillusionnés par le libéralisme débridé et l’affaissement du Parti socialiste (PS), ce même parti saboté par François Hollande lui-même, Président socialiste au cours des cinq dernières années qui en est venu à soutenir Emmanuel Macron lors de la dernière campagne.

Deuxièmement, on retrouve le centre libéral qui se range derrière le nouveau Président et son tout nouveau parti, En Marche!, qui réunit les promoteurs du modèle économique libéral, la mondialisation heureuse, l’adhésion et la promotion à l’Union européenne et une approche libertaire dans les domaines de la culture, de l’identité et des mœurs. Ceux qui formeront le prochain gouvernement avec Emmanuel Macron proviendront du centre gauche et du centre droit, soit les anciens hollandistes et la droite libérale qui avaient soutenu Alain Juppé et possiblement même François Fillon lors des primaires du parti LR.

Enfin, le troisième axe se formera autour d’une coalition « patriotique » comme l’indiquait Le Pen lors de son discours de défaite, une sorte de mutation du Front national (FN) en coalition de droite. Cette nouvelle coalition représente déjà 35 % de l’électorat comme l’indiquent les résultats de Le Pen au second tour et attirera grandement les électeurs de droite et membres de LR qui rejettent l’agenda libéral, ainsi que l’adhésion à l’Union européenne et l’abdication presque permanente du centre droit face à la gauche sur les questions sociétales depuis des décennies.

Les grands perdants de cette élection sont donc le Parti socialiste et Les Républicains, alors qu’ils voient leurs troupes fuir soit vers le centre et Macron, soit vers les extrêmes de Mélenchon et Le Pen.

Après le dévoilement des résultats, sur les plateaux de télévision, les personnalités, de gauche comme de droite, notamment Ségolène Royale, François Bayrou et Nathalie Kosciusko-Morizet, masquaient mal leur envie d’assouvir leur avidité pour le pouvoir et de sauter à bord du train Macron afin d’obtenir des postes prestigieux au sein de son gouvernement.

François Baroin, l’homme fort restant chez LR qui mènera la campagne législative de ces derniers, sentant fort bien que le navire prend de l’eau, a passé l’essentiel de son temps de parole sur les plateaux à vouloir dissuader et menacer d’expulsion ceux qui, dans son camp, seraient tentés de joindre soit Macron soit Le Pen lors des législatives de juin.

À gauche, si mobilisation il y a eu contre l’extrême-droite lors du second tour, la faction insoumise de Mélenchon risque fort de ne soutenir ni le Président ni le PS lors des législatives de juin, même s’il elle provient en bonne partie de ce dernier. La faction de la gauche libérale au sein du PS, qui formait le gouvernement sous Hollande, rejoindra Macron par ambition et par conviction puisque ce dernier représente la continuation du programme du Président déchu. Sans chef digne de ce nom et sans leader charismatique pour rallier les troupes qui fuient en masse vers En Marche ! ou vers La France insoumise, le PS pourrait bien disparaître ou être condamné à rester dans les marges pour les années à venir.

Ce qui se dessinait depuis déjà quelques années c’est donc concrétisé, alors que la différence factice entre l’aile libérale du PS et l’aile libérale des Républicains se rejoignent sous la direction d’Emmanuel Macron. Mais en arrachant ainsi la faction libérale du parti des Républicains, Macron aura aussi ouvert la porte à Marine Le Pen pour s’emparer de l’électorat et des membres LR qui éprouvent une certaine aversion à l’égard de l’Union européenne et de la mondialisation et qui se retrouvaient de plus en plus mal à l’aise au sein d’un parti de centre droit de plus en plus libéral et qui se gauchissait graduellement sur les questions sociétales depuis près de 30 ans.

Du même coup, Macron aura sonné le glas du PS, cinq ans après la conquête de la présidence par François Hollande, et ce en grande partie grâce au vide philosophique qui a caractérisé le quinquennat de ce dernier, sans compter un manque de stature qui l’empêcha d’incarner les fonctions présidentielles de quelque façon que ce soit.

Si l’histoire a retenu que François Mitterrand avait tué le Parti communiste pour être en mesure de finalement s’emparer de la présidence en 1981, elle retiendra peut-être que François Hollande et Emmanuel Macron auront sabordé le PS pour garder leur programme pro-européen et pro-mondialisation au pouvoir.

À droite, la véritable victoire de Marine Le Pen ne se trouvait donc pas dans une victoire aux élections présidentielles de 2017. L’héritière du FN savait bien qu’une telle victoire était impossible. Par contre, disloquer LR, l’axe traditionnel du pouvoir à droite, pour devenir ensuite la référence et donc le futur parti du pouvoir à droite pour les élections présidentielles de 2022, cela relevait du possible et cela semble être maintenant devenu une réalité.

On se rappellera que la droite à l’époque de Jacques Chirac avait refusé une alliance avec le Front national de Jean-Marie Le Pen, ce qui aurait pu avoir pour effet d’agréger à l’UMP l’électorat de ce dernier, qui n’était que marginal à l’époque, et possiblement de mettre fin au FN en tant que parti distinct. Aujourd’hui les rôles s’inversent, le parti de droite minoritaire est désormais constitué des héritiers de Chirac et le parti de droite majoritaire est celui de la fille de Jean-Marie Le Pen. Malgré les querelles familiales des Le Pen, Marine aura vengé son père.

Cette campagne aura par contre révélé également les lacunes et faiblesses de Marine Le Pen. Dans un contexte de guerre civile de basse intensité, de ressentiment sans précédent envers les élites mondialisées, devant un Président impuissant, un État incapable et incompétent et une crise migratoire qui aurait dû propulser les résultats du Front national bien au-delà des 35%, elle n’a pas su se présenter devant ses propres supporteurs comme une alternative plausible, encore moins devant les Français dans leur ensemble.

Incapable de véritablement réunir une base électorale proportionnelle au contexte qui était tout à son avantage, Marine Le Pen a également démontré son manque d’étoffe, de maitrise des nuances du discours politique et son incapacité à réellement incarner les plus hautes fonctions. Sa performance digne d’une bataille de cours d’école lors du débat d’entre-deux-tours aura cruellement révélé qu’elle ne sera jamais celle qui portera ce nouveau pacte de droite au pouvoir. Voilà sa plus grande défaite.

Emmanuel Macron sera donc Président pour les cinq prochaines années. Si le FN n’éclate pas comme les bisbilles internes en fin de campagne semblaient en présager au moins la possibilité, qui sait, l’absorption des droites par une mutation « patriotique » du FN et la montée à la tête du FN d’une candidate, après un retrait stratégique, comme Marion Maréchal-Le Pen qui est plus affinée philosophiquement, plus jeunes, plus éloquente et même plus conservatrice que sa tante, pourrait bien mener cette droite reconstituée au seuil de la victoire présidentielle en 2022. 2017 sera donc peut-être la défaite qui préparera la victoire d’une Le Pen, simplement ça ne sera pas Marine.




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