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Le Québec de Verboczy

Un texte de Nicolas Bourdon
Thèmes : Langue, Multiculturalisme, Nation, Nationalisme, Québec
Numéro : Argument 2016 - Exclusivité Web 2016

La chroniqueuse culinaire de La Presse, Marie-Claude Lortie, nous apprenait il n’y a pas si longtemps que la guerre qui ravage présentement la Syrie avait ceci de bon que l’affluence de réfugiés syriens s’accompagnerait de l’ouverture de nombreux restaurants où le kebbeh et l’hommous seraient à l’honneur. Les apôtres de l’ouverture à tout crin laissent parfois entrevoir que leur amour de l’Autre cachent de bien égoïstes préoccupations et une connaissance bien superficielle de la culture étrangère dont ils vantent l’inestimable apport…

Rhapsodie québécoise d’Akos Verboczy dépasse heureusement la superficialité d’une publicité de Patrimoine Canada vantant benoîtement la différence et le multiculturalisme. L’auteur, qui a quitté sa Hongrie natale pour le Québec à l’âge de onze ans, a présidé pendant neuf ans le comité des relations interculturelles à la Commission scolaire de Montréal. Le mérite de son ouvrage est d’entraîner le lecteur dans son aventure : celle d’un immigrant qui est devenu québécois pas à pas, petit à petit, et qui a ensuite eu envie de partager la richesse de sa nouvelle culture avec ses frères et sœurs nouvellement arrivés au Québec.

Son chemin fut semé d’embûches, car l’immigrant récemment arrivé est tiraillé entre deux visions opposées du Québec qu’on pourrait qualifier de « culture marchande » et de « culture de l’héritage ». Les tenants de la première, qui a toujours été dominante au sein du PLQ, même dans ses brèves périodes nationalistes, considèrent que les cultures nationales n’ont pas à être soutenues ou orientées par l’État et ses institutions. Comme tout produit commercial, elles sont la conséquence des fluctuations du marché et de la compétition ; les cultures peuvent se transformer radicalement, voire mourir : dans l’optique de la « culture marchande », le changement radical est d’ailleurs une chose positive qui s’oppose à la tradition que vénèrent les nationalistes. Cette vision explique la virulente opposition du PLQ à l’adoption de la loi 101 et son refus catégorique de la bonifier lors du bref passage du PQ au pouvoir de 2012 à 2014, période pendant laquelle Verboczy était attaché politique auprès de la ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles. De plus, la culture marchande n’exige pas qu’un créateur soit fidèle à une tradition ou à un héritage. Il ne commet par exemple aucune faute morale s’il chante ou écrit en anglais.

La culture de l’héritage, quant à elle, implique que la collectivité et, donc l’État, doit promouvoir activement une langue et une culture communes. Dans cette vision des choses, un créateur authentique « va mettre en scène ce qu’il connaît, sa réalité, son univers » pour reprendre les mots de Verboczy. Le créateur québécois qui s’exprimerait en anglais et qui traiterait de réalités autres que celles intimement liées au Québec est souvent perçu comme un traître à sa culture et à sa communauté par les tenants de cette vision tels le fougueux Pierre Falardeau que Verboczy admire. L’auteur s’inquiète d’ailleurs de voir une certaine américanisation s’emparer du cinéma québécois : à preuve, les derniers films de deux de ses stars, Jean-Marc Vallée et Denis Villeneuve, sont tournés en anglais et aux États-Unis :« On voit désormais les pourfendeurs d’un cinéma trop blanc et trop francophone célébrer le courage, l’ouverture sur le monde d’une nouvelle génération décomplexée de réalisateurs d’ici… Ironiquement, le danger de cette multiculturalisation sermonneuse c’est qu’elle nous éloigne justement de la diversité qu’elle prêche. »

Quant à l’immigrant, il s’aperçoit rapidement après son arrivée au Québec que la culture dominante véritable, celle qui ouvre des portes, n’est pas la culture francophone, mais bien l’anglophone. C’est ainsi que 80% des anciens camarades de classe de Verboczy, qui étaient pour la très grande majorité des enfants d’immigrants, choisirent de poursuivre leurs études dans un cégep anglais. Si l’auteur n’en a pas fait autant, ce n’est pas par patriotisme, mais bien à cause de sa cote Z qui a trop souffert de son dilettantisme au secondaire et qui l’a obligé – horreur ! – à fréquenter un cégep francophone. Cette nouvelle atterre sa mère et les habituées de son salon d’esthétique : « Au moins il ne prend pas de la drogue, répondaient les voix empreintes de pitié qui se voulaient réconfortantes. - Peut-être pas, mais il lit Le Devoir », écrit l’auteur avec humour.

Ce n’est sans doute pas une surprise : l’essai de Verboczy nous confirme que la très grande majorité des immigrants se sentent Canadiens d’abord et avant tout et considèrent que l’anglais est une langue prestigieuse. « D’habitude, quand on n’est ni Québécois de souche ni idiot, on est contre la loi 101 et on vote Non », écrit l’essayiste pour traduire l’état d’esprit d’amis récemment immigrés au Québec qui s’étonnent de son engouement pour la culture québécoise.

Et il s’en est fallu de peu pour que l’essayiste pense ainsi…Hormis quelques visites parascolaires à la cabane à sucre– symbole par excellence du folklore canadien-français ! –l’école ne permet pas d’acquérir les bases de la culture québécoise. Il est d’ailleurs assez aberrant pour le jeune Verboczy, venu d’un pays, la Hongrie, dont les traditions littéraires sont bien établies et dont le système scolaire est caractérisé par des règles strictes, voire autoritaires, de constater que l’école québécoise est minée par le laxisme et le nivellement par le bas: « La classe baignait dans une ambiance de garderie avec nos ti-dessins décorant les murs et un brouhaha continuel », dit-il à propos de ses années passées à l’école primaire québécoise. Quant au secondaire, le bagage littéraire transmis aux étudiants brille par sa légèreté et sa pauvreté, et aucune règle directrice n’encadre les lectures des élèves. C’est d’ailleurs le constat que font plusieurs écrivains férus de culture humaniste tels Marc Chevrier ou Pierre-Luc Brisson, ce dernier suggérant dans son Cimetière des humanités qu’une liste de lectures classiques soit établie par le ministère de l’Éducation.

Au grand dam de l’auteur et sans doute de souverainistes comme Landry et Parizeau qui croyaient que les héritiers de la loi 101auraient le Québec tatoué sur le cœur, l’intégration des immigrants à la culture québécoise est ratée. La plupart de ses compatriotes, opposant, en matière de langue, le libre choix au droit d’une collectivité de vivre et de s’épanouir en français « ne sont pas des enfants de la loi 101, mais bien les produits de l’autre charte : ce sont les enfants de Trudeau. »

Verboczy propose quelques solutions pour changer la donne : fortifier la charte de la langue française, mettre fin au bilinguisme institutionnel qui permet aux immigrants de recevoir tous les services de l’État québécois en anglais, transmettre des éléments de culture québécoise dès le primaire et le secondaire et, chose horrible et impensable, pour le premier ministre Couillard, réduire les seuils d’immigration.

Le PLQ, soutenu par le milieu des affaires, a récemment présenté son idée de hausser les seuils d’immigration en arguant qu’il en allait de la vitalité économique du Québec. Quelle que soit la valeur de cet argument, par ailleurs mis à mal par l’économiste Pierre Fortin, il est assez ironique de constater que le premier ministre et ses supporters ne parlent pas d’accueillir plus d’immigrants pour entretenir avec eux des échanges culturels profonds, mais bien pour remplir les goussets de dirigeants d’entreprise… Verboczy, quant à lui, souhaite qu’il y ait davantage de rencontres authentiques entre la société d’accueil et ceux qui y sont accueillis et il prêche par l’exemple : son essai peut se lire comme une longue et lente histoire d’amour entre lui et son nouveau pays. Un amour mature, aurait-on envie de dire, composé autant de désillusions et de remises en question, que d’admiration et d’enthousiasme.

NICOLAS BOURDON

 

Rhapsodie québécoise d’Akos Verboczy, 231 p. 

Éditions du Boréal

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




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