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Pour mettre en échec le souverainisme de province

Un texte de Mathieu Pelletier
Thèmes : Québec
Numéro : Argument 2014 - Exclusivité Web 2014

Compte-rendu du livre de Savard-Tremblay, Simon-Pierre,  Le souverainisme de province, Montréal,  Éditions du Boréal, 2014 (232p.) 



Suite à l’échec cuisant du Parti québécois aux dernières élections générales, nombreux sont les commentateurs qui croyaient ou voulaient croire à l’échec définitif du projet indépendantiste. Chez les intellectuels souverainistes, c’était généralement le silence radio ou bien on s’en tenait à des analyses superficielles, tandis que  pour d’autres, plus profonds, l’impasse du souverainisme relevait de la tragédie. Aux yeux de ces derniers, nous vivions une véritable tragédie grecque à la québécoise. Pour le dire autrement, on assistait à une mise en récit déformant la réalité pour l’adapter aux besoins esthétiques de ce pathos québécois persistant, qui nous convie à la contemplation dépressive de ce peuple agonique, promis à un destin déchirant.

C’est précisément le refus de cette esthétique aquinienne qui constitue le pivot de l’ouvrage Le souverainisme de province de Simon-Pierre Savard-Tremblay. Son mot d’ordre : un diagnostic lucide appelle une réponse lucide, qui ne peut être que celle de l’indépendance pleine et entière du pays hérité aux confins du domaine laurentien. Sa thèse : le délitement du projet souverainiste tient au virage de l’étapisme promu durant les années 1970 et qui, bien plus qu’un simple changement de tactique, était véritablement un changement de paradigme (p.14).

L’auteur débute son essai par un rappel des origines de l’indépendantisme québécois. Outre les quelques parcelles d’un indépendantisme prototypaire, ce sont bien le chanoine Lionel Groulx et ses disciples qui en 1922, dans le revue L’Action française, s’attèleront les premiers « à concevoir une véritable doctrine de l’intérêt national » (p.15). Chez Groulx, « l’indépendance politique – qu’il s’agisse d’un État laurentien aux contours vagues ou de l’entité politique du Québec – apparaît tantôt comme une finalité, tantôt comme un projet enthousiasmant – mais prématuré – auquel l’ensemble des forces vives du Québec national doivent se préparer » (p.16). Ce sera plutôt ses disciples, regroupés au sein de l’École historique de Montréal durant les années 1950, qui prépareront la doctrine néonationaliste qui animera la Révolution tranquille une décennie plus tard. Ce néonationalisme est résolument indépendantiste, et préparera la mutation identitaire qui allait faire des Canadiens français du Québec des Québécois.

Ce néonationalisme n’était en aucun cas purement identitaire, dans la mesure où il cherchait à « construire de manière effective l’État-nation du Québec », pour maîtriser l’ensemble des sphères de la vie nationale » (p.24). Le récit est connu : le « Maîtres chez nous » de Jean Lesage prend le pas sur la « Grande noirceur » de Maurice Duplessis, malgré les quelques mesures autonomistes de ce dernier. Le tout suit son cours en passant par le RIN et le schisme indépendantiste de René Lévesque d’avec le Parti libéral du Québec. Ce dernier, malgré son ambiguïté constitutive à l’endroit du projet souverainiste, représentera la rampe de lancement vers la possibilité réelle qu’auront les souverainistes de prendre le pouvoir et de mener à bien leur projet. 

Lévesque définira les contours d’un souverainisme moderne dans Option Québec, dans lequel il affichera « un « nous » décomplexé et inclusif, mais fondé sur des repères historiques, exigeant donc à celui qui veut s’y intégrer une réappropriation de certains critères fondateurs » (p.55). Or, ce souverainisme offre bel et bien une synthèse inédite, tout en étant largement redevable à différents éléments intellectuels, il est clairement associé au nationalisme canadien-français. Il reprend donc le récit mémoriel du chanoine Groulx, celui d’un peuple au destin détourné par la Conquête britannique et contraint à la survivance en attendant des jours meilleurs. Par un mélange de lyrisme, de rationalisme et en se faisant de plus en plus l’incarnation d’un certain pathos québécois, Lévesque transformera en l’espace d’une décennie un parti anti-système en un parti de gouvernement.

Les élections de 1973 donneront l’impression au Parti québécois de plafonner au sein de l’électorat. Le congrès dit de « l’étapisme » de 1974 voit donc la démarche d’accession à la souveraineté passer d’un simple vote majoritaire à l’Assemblée nationale à des négociations avec Ottawa, et en cas d’échec, un référendum pour entériner l’indépendance (p.126). Outre quelques signes avant-coureurs, ce serait-là, selon Savard-Tremblay, le début de l’enfermement du PQ dans le référendisme, oubliant presque la finalité même de la démarche : la souveraineté du Québec. C’est, selon lui, un véritable tournant, engrangeant un changement de paradigme : « C’est alors que s’amorce le glissement vers le souverainisme de province. L’année 1974 représente le point de non-retour. Le Parti québécois a franchi une frontière de façon irréversible, adoptant carrément une nouvelle culture politique » (p.128).

Le virage vers un souverainisme de province annonce donc la dédramatisation du projet souverainiste et sa dilution, sa normalisation dans une démarche procédurale. Paradoxalement, le souverainisme québécois consent à se normaliser dans le cadre canadien, refusant le conflit des légitimités et la perspective de rupture d’avec ledit cadre. Le virage de l’étapisme signifiera aussi le début d’une nouvelle tradition consistant à assortir le projet de souveraineté de conditions ou de « valeurs », relatives à un « projet de société ». Pour le dire autrement, c’est à partir de ce virage que le Parti québécois commencera à véhiculer implicitement l’idée selon laquelle la souveraineté comme fin en soi serait insuffisante (p.135). Avec l’élection de 1976 qui débouchera sur un gouvernement péquiste majoritaire, il s’agissait surtout de relever le pari du bon gouvernement provincial (à quelques exceptions notables, dont la loi 101). Suivant le fil de sa thèse, l’auteur interprète donc à sa manière le référendum de 1980, ainsi que l’épisode du beau risque suivant le rapatriement unilatéral de la constitution de 1982. 

Force est de l’avouer : le premier mérite de l’essai de Savard-Tremblay est de reconstituer, à partir de portraits des acteurs politiques et d’anecdotes parlantes, une histoire vivante du souverainisme moderne, tout en relatant son glissement vers le souverainisme de province. Il fait d’une vieille histoire pour la génération boomer un récit rafraichissant pour les jeunes générations qui n’ont qu’un vague souvenir du référendum de 1995, quant elles ne sont pas carrément nées dans la période post-référendaire. Cela ne devrait pas empêcher les boomers de lire un tel ouvrage, puisque, sans l’ombre d’un doute, Savard-Tremblay vise dans le mille lorsqu’il identifie les déboires du souverainisme contemporain au virage de l’étapisme. Le pari initial de l’auteur était bien celui d’un regard lucide sur le souverainisme moderne qui nous permettrait d’apprendre de nos erreurs et constatons-le encore une fois, il s’agit d’un pari réussi. N’est-ce pas là, précisément dans le contexte actuel, d’un tel regard lucide dont le mouvement souverainiste a besoin? Là-dessus, guère de doute possible : voilà un ouvrage qui arrive à point nommé.

 

Mathieu Pelletier

Candidat à la maîtrise en sociologie (UQAM)




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