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Le communicant, nouvel ennemi public

Un texte de Carl Bergeron
Thèmes : Gouvernement, Modernité, Politique, Post-modernité
Numéro : Argument 2013 - Exclusivité Web 2013

Les temps sont durs pour les communicants. Leurs « stratégies » raffinées, si contraires à l’intérêt public, voire au simple bon sens, accumulent les dégâts un peu partout au Québec, mais je me limiterai ici à trois exemples récents.


Cafouillages en série

Il y a d’abord eu le cafouillage du programme collégial « Arts et lettres », que les communicants au pouvoir à Québec ont cru nécessaire de rebaptiser « Culture et communication ». Par la voix de leur porte-parole, le ministre de l’Éducation, dépêché dans tous les médias pour défendre l’indéfendable, ils ont laissé dire au peuple que ce changement de nom ne changeait presque rien sur le fond. Très bien. Alors, pourquoi faire l’effort d’un changement de nom ? Un conseiller pédagogique proche du dossier a lâché au Devoir : « Le mot lettres, ça faisait vieilli ». Il s’agissait, en somme, de rafraîchir la « marque » du programme et de la « repositionner » auprès des « jeunes ».

C’est dans le même esprit que les communicants au pouvoir à Radio-Canada ont voulu imposer à leur tour un changement de nom. Jusqu’ici, il n’était pourtant venu l’idée à personne de voir Radio-Canada comme une marque. « Radio-Canada », comme « La Grande Bibliothèque » et « L’Office national du film », n’est pas une marque, mais une institution. À l’appui du putsch jeuniste, un sémillant et risible vidéo de promotion a été diffusé sur YouTube pour convaincre de l’urgence de troquer « Radio-Canada » pour « Ici ». De « jeunes » branchés en t-shirt ajusté y expliquaient, de façon beaucoup trop enthousiaste, par une belle journée ensoleillée à Montréal, pourquoi « Radio-Canada » ne leur convenait plus.

Autre symptôme, enfin, du règne des communicants : la présence de Mélanie Joly, ex-directrice d’une agence de relations publiques, dans la course à la mairie de Montréal. Provenir du milieu des relations publiques n’est évidemment pas rédhibitoire et on ne saurait nier qu’il s’y trouve des gens de qualité. Mais Mme Joly, depuis son annonce, a la fâcheuse habitude de coller à tous les stéréotypes du communicant dans ses interventions publiques. Il fallait la voir lors de son point de presse, lorsqu’elle a dit : « je me présente à le mairie de Montréal », avant de faire une pause et de sourire de toutes ses dents magnifiques, le corps soulevé par un orgueil bizarre et puéril qui disait : « voyez à quel point mon image se suffit à elle-même, voyez à quel point je n’ai rien à dire de plus pour être légitime ». C’en était gênant. Comment, en observant Joly, ne pas penser au mot cruel du général de Gaulle : « L’ambition individuelle est une passion enfantine » ?


Le seuil de tolérance franchi

La bonne nouvelle malgré tout est l’ironie avec laquelle, pour une fois, l’opinion publique a accueilli les manœuvres des communicants, qu’elle ne conteste d’ordinaire à peu près jamais.

La modification du nom du programme « Arts et lettres » a suscité l’indignation et a dessillé les yeux du public sur l’alliance objective entre les communicants et les « pédagogistes », du nom de ces fonctionnaires du ministère de l’Éducation qui fabriquent en coulisses, depuis de trop nombreuses années, les réformes byzantines que l’on sait. Le public a bien compris que le changement de nom n’était pas innocent et dérivait d’un esprit qui s’opposait à la culture, autrement dit aux fondements de l’éducation. D’ailleurs, dans le nouveau programme, on ne parle déjà plus « d’œuvre » mais « d’objet culturel ».

Avec raison, le jeunisme loufoque de Radio-Canada s’est heurté à la moquerie générale. Cet organisme qui n’hésite pas à s’humilier en changeant de nom pour se rapprocher des « jeunes » est le même qui, selon plusieurs observateurs, se montre incapable de faire de la place aux nouvelles générations qui désireraient y faire carrière. On note aussi que Radio-Canada, qui a trouvé les fonds nécessaires pour l’opération « Ici », n’en a guère trouvé pour maintenir l’émission Bande à part, un modèle d’émission pour le jeune public.

À l’image d’une NKM (Nathalie Kosciusko-Morizet, l’égérie bobo de l’UMP), Joly mise sur sa jeunesse agréable et une rhétorique peu engagée, mâtinée de prêt-à-penser managérial et de politiquement correct. Puisque nous ne sommes pas en période de prospérité, mais en période de crise majeure, son approche « marketing » de la chose publique bute sur l’impasse du réel. Comme son principal rival, Denis Coderre, elle a été fort peu loquace – et fort peu éloquente – sur les questions les plus fondamentales qui engagent l’avenir de Montréal. Cinq mois avant les élections municipales, laissé seul devant la somme des dysfonctionnements, le peuple a l’impression qu’aucun candidat n’est vraiment à la hauteur de la tâche.


Carriérisme, jeunisme et autocensure

Éducation, service public d’information et vie politique : trois piliers de la société, où, semble-t-il, le communicant continue d’imposer sa loi. Il n’y a pas de hasard.

Le communicant triomphe au milieu du confort et de l’indifférence. Mais il suffit que la communauté politique traverse une crise profonde et exige de lui de l’intelligence et de la résolution dans les actes pour que son impuissance se dévoile.

Il célèbre l’aura et la beauté de la jeunesse, mais sans consentir à ce qu’elle peut avoir de tragique : sourd à son appel moral profond, il la récupère au profit de l’hédonisme marchand le plus cynique. Il est le prêtre d’une religion civile de bazar qui n’est pas sans rapport avec « la fin de l’Histoire » et un certain matérialisme désenchanté, balisé, d’un côté, par les protections doucereuses de l’État-Providence et, de l’autre, par l’appétit insatiable du capitalisme post-industriel.

Sa psychologie répond à un drôle d’état d’esprit fait de jeunisme, de carriérisme et d’autocensure, composé peu original qui a fini, contre toute raison, par s’imposer comme le symbole du raffinement mondain et médiatique. Dans cet univers, on ne nomme pas les choses, on les embrume ; on ne s’adresse pas au peuple, on parle à des « clientèles » ; on n’a pas des vocations, mais des plans de carrière. On n’y brille qu’à la condition d’être fade.

Or, la société n’est pas qu’un marché à séduire ou une clientèle à flatter. Elle est une communauté de sens à qui il arrive, dans de graves moments de crise, de prendre une soudaine conscience de sa vulnérabilité et de sa valeur. Elle comprend alors d’un seul coup, sans qu’il soit besoin de le lui expliquer, qu’elle ne peut plus se permettre, sous l’influence du communicant : d’enseigner indéfiniment l’ignorance à ses enfants (plus la méconnaissance de l’histoire et de la langue est grande, plus le règne du communicant est fort) ; de sacrifier le nom de ses plus grandes institutions sur l’autel de la publicité ; ou encore, de remettre ses destinées entre les mains de politiciens qui ne savent pas ce qu’ils font.

Elle comprend que le communicant, derrière ses airs de séducteur vaguement inoffensif, est en fait un ennemi public.

CARL BERGERON




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