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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Tout sur moi

Un texte de Catherine Côté
Dossier : Le Québec au miroir de ses téléséries
Thèmes : Culture, Québec, Revue d'idées, Télévision
Numéro : vol. 13 no. 1 Automne 2010 - Hiver 2011

Il vous suffit de dire que vous écrivez un texte sur la série Tout sur moi pour avoir droit immédiatement à des sourires et à des commentaires enthousiastes. Il faut dire qu’au départ, cette série avait tout pour être un succès. Écrite par le romancier Stéphane Bourguignon, qui non seulement peut se targuer d’avoir été reconnu comme tel, à la fois auprès des critiques et des lecteurs, mais qui peut aussi compter sur le succès de la série La vie, la vie, diffusée en 2001-2002, également à Radio-Canada. La vie, la vie avait eu des cotes d’écoute importantes et un succès d’estime notable qui lui avait d’ailleurs mérité de nombreux prix Gémeaux. Pour plusieurs, il s’agissait même de la série qui dépoussiérait le genre en étant le reflet d’une nouvelle génération, rien de moins. Cette série mettait en scène quelques amis qui devaient tous, d’une manière ou d’une autre, faire un choix important au tournant de la trentaine. Qu’il s’agît de changer de carrière, d’avoir un enfant, de s’engager dans une nouvelle relation ou d’affronter la mort d’un parent, la présence d’amis qu’on peut retrouver au café amenait un baume réconfortant, figure de pérennité dans ce monde changeant. L’importance de l’amitié y était d’ailleurs omniprésente, la famille étant plutôt dépeinte comme un monde dépassé, voire étouffant, en marquant ainsi la rupture complète avec le passé des protagonistes et, on pourrait dire, d’une génération qui semble n’avoir pas de racines, de venir d’elle-même, une sorte de « génération spontanée ». La facture visuelle, le rythme, la musique, tout contribuait à donner le ton d’une série différente, hors normes, accentuant le décalage avec les autres téléromans qui mettaient plutôt l’accent sur la cuisine et la famille.

L’une des actrices qui jouait un rôle important de la série La vie, la vie, Macha Limonchik, détient le rôle principal de la série Tout sur moi. La série n’est toutefois pas une suite à La vie, la vie. Au contraire, le style y est bien différent : prenant la facture d’un « docu-fiction », elle met en scène les aventures de trois amis comédiens, le tout intercalé de témoignages face à la caméra pour narrer et commenter lesdites aventures. Si plusieurs séries à succès américaines ont déjà emprunté un style semblable, que ce soit, par exemple, Malcolm in the middle où le protagoniste commente à l’occasion ce qui lui arrive en fixant la caméra au milieu de l’action, seules quelques-unes d’entre elles mettent en scène la vie réelle plus ou moins romancée de figures connues. Il s’agit donc d’un genre nouveau au Québec, et Stéphane Bourguignon réussit encore à innover, tout en offrant un portrait satirique réussi des travers de la société québécoise actuelle. Ainsi, le recours à la narration des événements par les personnages eux-mêmes, un peu à la manière du « confessionnal » des téléréalités comme Loft Story, rappelle le journal intime ou le blogue personnel. Non seulement y met-on l’accent sur l’individu et sur ce qu’il ressent, mais on mise également sur l’égocentrisme de celui qui se raconte et triture ses émotions à l’écran sans pudeur. Cet étalage du « moi », à l’instar du titre de l’émission, est typique de notre époque de réseautage virtuel où il n’y a plus de frontière entre le public et le privé et où il n’y a plus de hiérarchie quant à ce qu’il est bon de dire en public : l’état d’esprit du jour devient lui-même un événement que l’on partage allégrement, aussi insipide soit-il, puisqu’il a de l’importance pour soi-même. L’individu détermine donc sa propre norme et devient sa propre référence, ne cherchant pas ainsi à obtenir l’approbation des autres, mais bien plutôt à combler un besoin très narcissique de s’exprimer, voire d’exhiber ses états d’âme, comme le font les personnages de la série.

Le genre du « docu-fiction » utilisé est toutefois bien troublant, car il reprend les caractéristiques réelles des personnages principaux, soit leurs noms et leurs carrières, ainsi que leur amitié, et fait intervenir dans l’action des personnages qui jouent leur propre rôle sous forme de « caméos ». Or, pour ceux qui ont conçu la série, c’est justement cette frontière entre le réel et la fiction qui devient l’attrait même de Tout sur moi. On sait par exemple que l’actrice principale est la conjointe de M. Bourguignon dans la vraie vie, alors que dans la série, elle joue une femme célibataire et qu’une partie de l’action porte sur ses rencontres amoureuses. Les acteurs qui interviennent dans la série gardent ainsi leurs noms réels et leurs fonctions, mais jouent toutefois un rôle, parfois même à contre-emploi, en étant lubrique plutôt que galant, mesquin plutôt que généreux, etc. Certains acteurs y jouent plutôt des rôles pour faire avancer l’action, y perdant toutefois leur identité d’acteur au profit d’un rôle de policier ou de serveur par exemple, ce qui ajoute à la confusion. Pour les créateurs de la série, il s’agissait là d’un attrait particulier sur lequel on pouvait miser. On connaît en effet l’importance du vedettariat dans le milieu théâtral et de la télévision et l’engouement des Québécois pour ses vedettes du petit et du grand écran. D’ailleurs, plusieurs allusions à la fracture théâtre/télévision reviendront au cours de la série pour marquer l’importance du vedettariat pour les comédiens qui passent à l’écran.

Toutefois, si les créateurs de la série avaient misé sur cet aspect de la série comme un attrait, c’est bien plutôt le comique des situations qui a vraiment accroché le public. Car l’essence même de la série, ce sont les aventures loufoques de ces trois amis à qui il arrive des mésaventures rocambolesques. Les adeptes se délectent à l’avance, comme on salive à l’idée de manger un délicieux dessert, du rire qu’ils auront à regarder l’émission. C’est pourquoi ils furent nombreux à protester lorsque Radio-Canada décida de ne pas présenter l’émission à l’antenne pour une troisième saison. Signe des temps, le fort courant de sympathie amena la création d’une page pour garder l’émission à l’antenne sur le site de réseautage facebook. Phénomène d’autant plus fascinant que de l’aveu même des personnes qui ont écrit des lettres de protestation et qui les ont publiées sur le site (éprouvant sans doute le besoin de s’exprimer en public elles aussi), il s’agissait là d’une des rares émissions qu’elles regardaient à la télévision. En fait, l’auditoire de la série n’est justement pas la clientèle typiquement adepte de téléromans, mais bien plutôt celle qui se veut tellement branchée et urbaine qu’elle se targue de ne pas regarder la télévision, chose dépassée. L’ironie de la série va donc même jusqu’à viser ceux qui ne regardent pas la télé. Le bouche-à-oreille et le réseautage ont toutefois été très efficaces puisque le succès de la série après sa diffusion initiale, par la vente de dvd et la diffusion d’épisodes sur le site tou.tv, est remarquable, et a même incité Radio-Canada à vouloir diffuser une cinquième saison. Le besoin de partager ce plaisir est contagieux et le manque cruel de référents culturels communs, qui étaient auparavant le ciment de la société québécoise, se fait sentir. Révolu le temps où la moitié du Québec était devant son poste de télévision à regarder la même émission, vivant simultanément les mêmes émotions qui devenaient par la suite une partie même de leur identité. Dans cette période de multiplication des contenus et des temps de diffusion, tout est à la carte et individualisé. Pourtant, cette popularité de la série après diffusion montre bien que les gens cherchent encore à partager quelque chose avec les autres, à faire partie d’une communauté de gens qui ont les mêmes références.

Les raisons pour lesquelles le public s’est entiché de cette émission sans prétention sont nombreuses. Le personnage principal est attachant et charmant, tout comme l’est probablement l’actrice dans la vraie vie. Pilier de la série, c’est elle qui semble la plus « normale » du trio et vers qui tous se rassemblent, notamment le matin chez elle au petit déjeuner, situation qui démarre d’ailleurs plusieurs épisodes. On la suit alors dans ses activités de comédienne et au fil de ses rencontres, souvent liées au monde artistique, mais aussi au domaine amoureux, puisqu’elle est célibataire et cherche à l’occasion un partenaire. Cette recherche est davantage au centre de l’attention du personnage d’Éric, pour qui conquérir un nouvel amoureux, ou encore s’en débarasser, constitue un véritable défi. Cependant, tout est toujours un nouveau défi personnel pour lui, que ce soit de faire du mime ou de garder des enfants. Et, bien sûr, cela se termine toujours en catastrophe. Quant au personnage de Valérie, elle est en couple avec Fabien, un autre comédien, mais leur relation bat de l’aile et elle connaîtra, à l’instar des autres personnages, différentes aventures amoureuses invraisemblables après sa rupture. Dans les trois cas, leur amitié est plus importante que toutes leurs histoires d’amour, qui semblent d’ailleurs invariablement vouées à l’échec. Valérie et Éric ont même déjà été mariés dans le passé, malgré l’homosexualité d’Éric, mais il semble que ce soit davantage un lien d’amitié, voire d’affection fraternelle, qui fondait leur relation. En cela, on rejoint l’axe central de La vie, la vie, à savoir que l’amitié est le baume qui permet d’affronter la cruelle réalité chaque matin, alors même que la famille n’est source que de soucis : par exemple, Macha décide de s’inventer une vie rangée pour rencontrer sa grand-mère. Cette absence de la famille, et même la méfiance à son égard, par exemple lorsqu’Éric fait des commentaires sur l’acteur Vincent Gratton qui a changé depuis qu’il a eu des enfants, est typique d’une méfiance tous azimuts envers tout ce qui peut ressembler à une institution. Les personnages sont épris de liberté et se sentent vite étouffés : notamment, lorsque Macha et Éric ont chacun une liaison avec des pompiers d’une même caserne, Valérie viendra à leur rescousse pour les sauver de ce nouveau lien de type communautaire. À ce titre, les relations amoureuses sont donc vécues par les protagonistes davantage comme une satisfaction de différents besoins, surtout sexuels, mais également affectifs, que comme la possibilité d’un engagement réel. Les personnages de la série cherchent essentiellement à avoir le moins de soucis possible, alors que leur attitude défaitiste est souvent la cause même de leurs ennuis. Ils représentent bien la génération x par cette absence d’engagement et de plans pour l’avenir. Quelque peu éternels adolescents, ils sont pourtant déjà revenus de tout et, malgré des carrières intéressantes et un succès populaire, ils agissent comme s’ils ne faisaient pas partie de cette société qui pourtant les aime et les admire. On pourrait même dire que les personnages sont en fait à l’image du Québec qui se considère comme perdant alors même qu’il est pétillant et plein de ressources.

Ce déni d’appartenance à la société n’est pas étranger à leur quête perpétuelle d’identité. Les trois principaux personnages sont ainsi très nombrilistes et les rares élans de générosité qu’ils auront se solderont par des revers cuisants. La logique est celle du donnant-donnant, du cynisme pur. Par exemple, Éric fera semblant de s’intéresser aux causes de ses amoureux de passage pour les conquérir. Les gestes gratuits d’autrui suscitent le doute, voire l’angoisse de savoir quelles intentions s’y cachent, ou pire, de savoir ce qu’on devra faire en échange. L’engagement humanitaire ou politique, ou même la spiritualité, sont donc exclus – sauf quand il s’agit de faire un acte de charité pour se déculpabiliser d’avoir causé le renvoi d’un serveur. Cela leur est d’ailleurs si étranger que l’aventure se termine encore une fois en catastrophe. De même, les encouragements de Valérie envers ses consœurs de prison témoigneront davantage d’une démarche personnelle de quête de soi que d’un geste d’aide réellement altruiste puisqu’elle demeure dans sa bulle et ne semble pas saisir du tout ce qui se déroule autour d’elle. Les trois personnages semblent d’ailleurs vivre dans un monde un peu à part. Il est ainsi fascinant de voir comment le milieu qu’ils côtoient semble se limiter aux artistes de Montréal, voire du Plateau. Toutes les aventures en dehors de ce milieu sont évidemment des plus extravagantes, que ce soit avec des gens d’autres corps de métiers – policier, serveur, vendeuse, acupuncteur – ou encore en dehors de Montréal – Outremont, la Rive-Sud de Montréal (prendre le pont Jacques-Cartier par erreur amènera des cris de panique !) et les régions en général, où vivent des gens très étranges, comme la coiffeuse qu’Éric avait croisée une fois et qui s’était invitée chez lui. Il s’agit d’une fracture assumée entre un Montréal bourgeois bohème sans enfants et le reste du Québec.

C’est justement cette autodérision, ce savant mélange de situations ridicules avec des personnages cocasses, qui fait le succès de cette série. On se prend d’affection pour ces antihéros, ces sympathiques personnages légèrement désaxés, complètement imbus d’eux-mêmes et tyranniques sur les bords, toujours en train de s’autoanalyser alors même qu’ils se pardonnent d’avance leurs erreurs. Woody Allen en serait jaloux.



Catherine Côté*

 

 

NOTES

*       Catherine Côté est professeure agrégée à l’École de politique appliquée, à l’Université de Sherbrooke.



 


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