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Présentation du dossier Le Québec au miroir de ses téléséries

Un texte de Kateri Létourneau
Dossier : Le Québec au miroir de ses téléséries
Thèmes : Culture, Québec, Revue d'idées, Société, Télévision
Numéro : vol. 13 no. 1 Automne 2010 - Hiver 2011


Nombreuses et diffusées aux heures de grande écoute, les téléséries occupent une place importante dans l’univers culturel québécois. Au cours des dernières années, les téléséries québécoises se sont multipliées et se sont considérablement raffinées sur le plan du contenu et de la qualité télévisuelle, à l’instar des grandes productions américaines : la créativité des auteurs et des réalisateurs québécois est à cet égard remarquable. Si on y aborde des thèmes variés, on y met immanquablement l’accent sur les relations personnelles – qu’elles soient amoureuses, amicales, familiales ou professionnelles – de quelques personnages centraux.

La prééminence des relations personnelles fait presque oublier que les téléséries sont également le reflet d’un univers social ; partant, il est possible de les prendre comme matière à investigation et de les analyser en tant que miroir de la société qu’elles dépeignent, en y posant un regard distancié, sociologique. Ainsi, dans le but de faire ressortir le portrait de société que brossent les téléséries – et peut-être aussi avec un peu de provocation envers la figure de l’intellectuel qui se targue de ne pas regarder la télévision –, nous avons demandé à quelques fins observateurs de la société québécoise et amateurs du genre de choisir une télésérie et de nous faire part de leurs réflexions à son sujet – tel que l’avait fait la revue Liberté dans les années 1980[1].

Pierre Barette se penche d’abord sans complaisance sur la dernière série de Fabienne Larouche, Trauma, qui met en scène l’unité de traumatologie d’un grand hôpital montréalais. Il en dégage un portrait des services d’urgence québécois pour le moins paradoxal eu égard aux débats politiques qui ont entouré les soins de santé dans les derniers mois – une médecine hors du monde, dans un milieu hyperesthétisé. C’est donc avant tout notre apolitisme que met en relief la réflexion de Barette.

Sa collègue à la revue 24 images, Helen Faradji, a pour sa part choisi la populaire série Les invincibles, mettant en scène des trentenaires de la génération x, incapables de se prendre en main, tels de grands enfants qui, paradoxalement, pour trouver leur place dans une société infantilisante, font montre d’un grand conformisme par rapport aux codes sociaux. À travers une analyse qui abonde dans le même sens, Carl Bergeron décortique la télésérie C.A. en donnant un nouveau sens à l’acronyme qui la désigne : le chantier de l’amour. Si la série entend au départ choquer en explorant, de façon satirique, le thème d’une sexualité ouverte, déliée, typiquement postmoderne – de celle que dépeint parfois railleusement le romancier Michel Houellebecq –, dès la deuxième saison, la série s’oriente plutôt vers une quête de sens chez les quatre personnages, principalement à travers la recherche du grand amour. Il ressort de cette série le portrait d’une génération x éprise de liberté, mais également à la recherche de certitudes dans un monde qui en offre peu; d’une génération en quête d’une place entre rupture et adhésion aux normes héritées des boomers, mais penchant le plus souvent pour les façons de faire convenues.

Catherine Côté s’est intéressée à Tout sur moi, une série originale en raison du mélange singulier de fiction et de réalité qu’elle propose en mettant en scène la vie de trois comédiens joués par eux-mêmes et en adoptant le genre de la « docu-fiction ». L’auteur dégage des périples amusants des personnages principaux, représentatifs de leur époque mais aussi d’un milieu social particulier, le Plateau montréalais, une tendance à l’individualisme nombriliste et un brin exhibitionniste, un refus de participer à la société ainsi que, en parallèle, une difficulté à s’engager, sauf en amitié.

Finalement, Éric Bédard nous livre une interprétation sensible de Minuit le soir qui, à travers le récit de trois doormen, dresse subtilement un véritable portrait ethnographique de l’existence menée par ces trentenaires solitaires, sans projets d’avenir, trouvant une consolation dans l’image d’hommes virils que leur offre leur emploi. Rejoignant les analyses de Pierre Barette et de Carl Bergeron, l’auteur insiste sur l’individualisme de personnages dont la quête existentielle se confond surtout avec la recherche d’un amour authentique et dont l’identité se définit très peu par l’appartenance à un quelconque « tout » québécois.



Kateri Létourneau



NOTES

[1]       « Faut voir ça? », revue Liberté, n° 141, mai-juin 1982.




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