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« Formes, formes et formes » : l’empire et l’emprise d’une relation

Un texte de Sébastien Socqué
Dossier : Autour d'un livre: Un Québec si lointain, de Richard Dubois
Thèmes : France, Identité, Québec
Numéro : vol. 12 no. 1 Automne 2009 - Hiver 2010

« Vous devinez que tout ce qui va se dire ici et son contraire est également vrai. » (Un Québec si lointain, p.131)

 

« […] il s’agit […] de faire comprendre comment, à partir de ces rapports imprévisibles, vient à naître la Forme, souvent tout à fait inattendue, absurde. »[2]

 

« […] la chose a l’air incontestable, ce qui lui donne un charme encore plus grand. […] Je puis la formuler d’une manière telle qu’elle perdra son charme pour un grand nombre de gens et que certainement elle perdra son charme pour moi. »[3]




A les entendre, ou à en entendre plusieurs, les Québécois sont des (sont Les) spécialistes de la France et des Français. Comme souvent les spécialistes, ils diagnostiquent avec assurance, aplomb, une conviction parfois inébranlable, ainsi, malheureusement, qu’avec une pointe de cruauté, et une absence totale de générosité, dans l’interprétation, et enfin un emportement suspect qui laisseraient entendre, dirions-nous de manière préliminaire, qu’ils sont devenus spécialistes d’une créature ou d’une entité qui les concerne, qui les travaille en profondeur, voire les tourmente. Cette conviction de la spécialité n’a d’égale que la conviction des Québécois d’être également d’irremplaçables spécialistes du Québec lui-même (une conviction raisonnable et recevable), expertise qu’ils protègent jalousement et, parfois, immunisent scrupuleusement.

S’agissant de notre compréhension québécoise des Français, on pourrait en dire avec Wittgenstein qu’elle mobilise « une image qui a une attraction singulière en ce qui nous concerne » ou, pour coller à l’idiome wittgensteinien, une « famille » d’images, une constellation. Quand il s’agit pour les Québécois de dire qui et que sont les Français, et d’expliquer ce qu’ils font (au moins ce qu’on pense qu’ils font), il est loisible, et parfois préférable, de puiser dans un stock riche et facilement exploitable d’images et d’idées prêtes à utiliser, des schémas livrés clef-en-main, d’un emploi et d’une manipulation commodes et sans risque. De toute évidence, « [o]n adopte nombre de ces explications parce qu’elles ont un charme singulier. ». Dans ce texte, j’aimerais réussir à dire quelque chose au sujet de ce « charme singulier ». On exagère à peine quand on ajoute, en pensant aux affirmations péremptoires si communément entendues au Québec au sujet de la France, que « [c]ertains types d’explications exercent une attraction irrésistible. À un moment donné, l’attraction d’un certain type d’explication est plus grande que tout ce que vous pouvez concevoir. »[4]

Le fait que les Québécois soient éventuellement des spécialistes de la France n’étonnerait personne s’il était vrai que nous sommes, selon la pénible expression consacrée, des « cousins », si intimement et indissociablement liés, dans une communauté de langue, de culture et de valeurs. Nous serions ainsi spécialistes « par accointance », par contact et fréquentation directs, par participation active, par relation intime[5]. L’intimité familiale expliquerait facilement une si grande familiarité.

Mais cela devient déjà plus surprenant s’il est au moins aussi vrai que la France reste pour plusieurs Québécois de 2009 une fumiste et une renégate géopolitiques qui a lâchement abandonné sa progéniture à la perfidie légendaire d’une puissance concurrente et s’en serait ainsi coupée.

Quoi qu’il en soit, plusieurs Québécois s’estiment capables de (« ils ont du caractère! »), et autorisés à (« ils savent de quoi ils parlent! »), « dire leurs quatre vérités » aux Français[6]. Et à cet exercice de clarification, à l’attention des Français, de ce que sont véritablement les Français, on peut remarquer qu’une fréquentation assidue et soutenue de ceux dont on est spécialiste n’est absolument pas nécessaire, et s’avérerait même contre-productive. En effet, sont disponibles chez nous une galerie de portraits, une mosaïque de clichés[7], si définies, si riches et abondantes, qu’on peut sans difficulté, en y déambulant et en s’en instruisant, composer un roman d’envergure respectable, en intension et en extension.



Je ne dis pas qu’il n’arrive jamais qu’on déborde de cet univers pré-établi et codifié (par  décision consciente et délibérée d’en sortir, ou simplement parce que quelque hasard biographique fait en sorte que cela se produise). Il est bien évident que cela se produit régulièrement et que le dispositif n’est pas étanche. Il arrive qu’un individu qui s’est péniblement extrait de ce roman, qui en a souffert, parce qu’ainsi c’est d’une part de lui-même qu’il devait s’extraire (et une part de lui-même qu’il s’aliénait), entreprenne d’exprimer ce que l’on voit du monde et de la réalité extérieurs français quand on n’est plus tenu, ou autrement tenu, par les étroites et strictes conventions inhérentes à ce roman, et même d’exprimer ce que l’on voit du roman lui-même et des qualités de ceux (des générations successives, des contemporains) qui l’ont produit, la société dans laquelle vit ce roman et prolifèrent ses traditions d’interprétation.

 

Ce roman est connu de Richard Dubois. Une partie de ce qu’il fait dans son plus récent livre est une critique en règle de quelques-uns parmi ses chapitres. Un Québec si lointain, qui constitue pour nous l’occasion et le prétexte d’une discussion qui ne se cantonne pas strictement à son contenu, est un livre d’une hybridité et d’une liberté formelles assez inouïes[8].

 

L’essence de ce type d’essai est de mobiliser et d’exploiter avec finesse, pertinence et astuce des anecdotes. Mon stock personnel d’anecdotes sur le sujet France-Québec est évidemment vaste, comme l’est celui de plusieurs. Mais comment décider lesquelles parmi ces historiettes et petits événements parfois truculents et souvent banals représentent quelque intérêt? Et comment y dégager, au–delà de leur particularité, leur idiosyncrasie, quelque vague universalité au moins de signification, qui justifie qu’elles ne se confinent pas aux élucubrations privées et méritent d’être, en quelque sorte, rendues publiques?[9] Comment dégager la moindre généralité ou encore comment repérer la moindre signifiance, quand, pour chacune de ces anecdotes françaises, dont les interprétations sont canoniques et connues de tous, il serait facile de citer une anecdote québécoise semblable, révélant, en toute rigueur, des traits et réalités si comparables? Il serait agréable et parfois rassurant d’être en mesure d’énoncer d’étincelantes et d’infaillibles généralités; mais malheureusement ici, « ça ne fonctionne pas comme ça ».

 

La plupart des anecdotes circulant sur le sujet ne me semblent pas spécialement instructives, les leçons et « théories » qu’on tente d’en extraire ou en induire me semblent trop souvent consternantes ou misérables. Ces anecdotes et ces théories sur les « autres » me semblent autrement plus révélatrices des obsessions, fixations et anxiétés spécifiques de ceux qui les expriment et y attachent tant d’importance, ainsi qu’un si puissant coefficient de certitude. Le problème est que ce coefficient est bien réel, et que, quoi qu’il en soit d’un éventuel désir de contrecarrer le pouvoir d’attraction qu’exercent ces anecdotes et théories, le sentiment de certitude et d’évidence qui leur est attaché est tout aussi objectif et il faut en rendre raison[10]. Après tout, cette évidence ne révèle prima facie nulle pathologie. Il faut qu’elle trouve une place dans l’image que je souhaiterais produire de la réalité qui nous intéresse ici : les mentalités québécoise, française et les rapports qu’elles entretiennent.

 

Ici les satisfactions intuitives requièrent et commandent le scepticisme et la méfiance les plus robustes tant il est vrai qu’au sujet de la définition du Français (pour parler comme Dubois qui dit « LE » français) et de la compréhension des rapports entre Français et Québécois il semble que nous soyons captifs de formes, de schèmes et d’images dont l’influence et le charme irrésistibles ne sont pas toujours féconds. Je soutiendrai qu’à plusieurs égards, ces schèmes et le charme—voire l’empire—qu’ils exercent, seraient même plutôt l’élément objectif d’un problème (de l’ordre de la fixation régressive), se trouvant à l’origine de la difficulté de parvenir à une juste interprétation de ces réalités et surtout (puisque à ce stade on pourrait dire que le problème n’est que théorique, simplement théorique) de la difficulté que rencontrent parfois les Français et les Québécois à mettre en œuvre des interactions réussies et fructueuses[11]. Pour parvenir à proposer une vision et un scénario alternatifs, il importe d’éviter la distillation de platitudes et de trivialités auto-apologétiques, auto-congratulatrices, aussi confites d’assurance que dépourvues de précision et d’originalité.

 

Eu égard aux orientations substantielles, à l’éventail thématique, à la forme, aux styles, aux genres, aux niveaux de langue, Un Québec si lointain représente quelque chose de tout à fait déroutant, qui m’oblige d’emblée à admettre que, si une interprétation profonde et juste en est une qui, entre autres, réussit à mettre à jour un lien, le principe d’une homogénéité ou d’une affinité quelconques, entre le fond et la forme d’un livre, je pense n’être parvenu qu’à une interprétation superficielle et sans doute inadéquate de cet ovni livresque.

Cela m’incite à préciser encore une fois de manière trop rapide que l’auteur, qui entend présenter à ses lecteurs l’ « histoire d’un désamour », me semble beaucoup plus fâché avec la forme classique de l’essai qu’avec son Québec natal, ce que j’aurais aimé savoir interpréter d’une manière précise et éclairante, c’est-à-dire d’une manière qui jette quelque lumière sur la position qu’adopte l’auteur dans la quantité foisonnante des débats dans lesquels il intervient de manière souvent polémique. La dernière annexe de l’ouvrage, qui me semble livrer des intuitions importantes pour l’auteur, aurait dû me mettre sur la piste, mais le travail de déchiffrage a, de toute évidence, dépassé mes capacités. En fait, ces prouesses digressives, qui frôlent les sommets atteints dans l’impérissable Tristram Shandy[12] et caressent l’étalon d’excellence en la matière que Laurence Sterne, Diderot et Cervantès ont contribué à définir, doivent revêtir une signification et avoir une importance sur le fond que je n’ai pas su identifier ni, de ce fait, apprécier (au-delà du fait qu’il était prévisible et raisonnable qu’un exercice du type entrepris par Dubois ne se matérialise pas sous une forme analogue à un chapitre du code civil).

 

Au sens où je viens de le préciser, quelque chose de cet ouvrage m’a donc échappé. Cela n’empêche pas que j’aie eu l’impression d’avoir saisi ou reconnu certains des éléments, des blocs, au moyen desquels l’auteur édifie sa singulière construction, laquelle m’apparaît beaucoup plus baroque que les étranges créatures architecturales viennoises de Hundertwasser dont il rappelle l’allure bigarrée[13]. Cela signifie que je les ai suffisamment reconnus, dans certains cas, pour être en mesure d’y apporter mon assentiment, et dans d’autre cas, pour avoir été stupéfait, contrarié ou pétrifié par certaines affirmations.

 

Je sacrifie beaucoup de sa substance quand je soutiens que ce livre porte sur le Québec et la France, envisagés du point de vue de l’expérience culturelle, « persane » au sens de Montesquieu, faite de chacun, du regard que l’on jette sur l’un depuis une expérience de l’autre[14], ce binôme France-Québec étant parfois envisagé comme microcosme d’un binôme plus significatif à l’échelle de l’histoire mondiale, la paire{Europe,Amérique}, abondamment interrogé depuis que la France s’est aventurée à défier les Etats-Unis de W.Bush à l’ONU et depuis que l’Europe (au moins l’Europe de l’Ouest), comme le reste du monde, est effarée par ce qui, d’ici, passe souvent pour l’arriération bornée, belliqueuse et insulaire, de l’Amérique du Nord (ou passait au moins comme tel avant la seconde résurrection du Messie, l’épiphanie merveilleuse du 4 novembre 2008).

 

L’un de mes reproches à ce livre est précisément que son auteur ne se soit pas cantonné strictement à ce registre thématique précis (et pourtant si vaste), de n’avoir pas adopté pour principe de ne s’en émanciper que quand cela permettrait d’éclairer ce registre primaire, et de n’avoir pas explicitement et clairement relié toutes ses remarques à ces foci primordiaux. Cela est une objection peut-être un peu trop externe (quoiqu’on pourrait aisément la formuler sous forme de critique interne) pour être jugée intellectuellement tout à fait honnête ou recevable, mais c’est pourtant aux bornes implicitement désignées par cette critique que j’ordonnerai autant que possible mon propre commentaire.

Comme je risque malgré tout de digresser un peu (une réaction mimétique à ma fréquentation d’Un Québec si lointain! « Au mieux—comme l’annonçait Steiner dans un texte brillant qui a scandalisé Dubois, tout en le marquant, l’inspirant, bref, tout en le formant profondément à mon avis—on généralisera et on lâchera des noms dans un registre impressionniste de conjectures et de préjugés »[15]), je devrais d’emblée annoncer le programme des opérations, celles que je mets en branle suite à la mise en mouvement de mon intellect d’expatrié québécois à Paris par les propos de Dubois, le Néo-niçois. En disposant d’une idée des segments qui le composent, peut-être la traversée de ce tunnel par les lecteurs s’avérera-t-elle moins angoissante et lugubre.

 

1. La réduction

2. Le relationnisme

3. La forme

4. (Post-)Nation et amour

5. Des Québécois en France

 

1.

J’ai déjà mentionné la luxuriante profusion d’orientations thématiques et stylistiques qui caractérise le livre de Dubois. Cette luxuriance n’est pas problématique en soi. Elle ne constitue pas une faute ou un écart en elle-même. Mais il y a un angle sous lequel elle peut néanmoins être discutée, voire déplorée.

Ici, le véritable souci doit être de ne pas trahir les intentions propres de l’auteur, de ne pas le juger à la lueur de critères et d’exigence auxquels il ne s’estime pas tenu et dont il ne se serait jamais explicitement réclamé, bref, de juger et d’approcher ce livre selon ses propres termes, selon ses seules prétentions et selon le système de références et d’exigences qu’il déploie et met lui-même en œuvre. Le problème est que ces intentions ne me semblent pas si clairement ni explicitement précisées, à moins que, quand elles le seraient, elles soient aussitôt trahies ou détournées. Diverses intentions sont perceptibles, parfois explicitées, parfois implicitement suggérées ou visibles dans les directions effectives prises par le propos, mais il ne me semble pas si simple de dire de quoi parle exactement ce livre, comment il entend en parler et à quel type de position ou vision précises il entend introduire et initier le lecteur.

 

Si on veut bien accepter la caractérisation (que l’auteur pourra recevoir comme une simplification méthodique mais grossière) déjà proposée plus haut (le Québec vu de la France, la France approchée par un Québécois, ainsi qu’une structure problématique et discursive similaire appliquée au cas Europe-Amérique, pour rendre raison d’un sentiment de dissolution ou d’affadissement d’un lien amoureux originel), on sera rapidement effaré par la prolifération de remarques ne semblant pas s’inscrire précisément dans ce cadre bien défini. Je précise que la prémisse significative de cette remarque traduit beaucoup moins quelque obsession rigoriste fétichisée de ma part que la conviction que l’auteur s’attaquait là, au sens à peu près strict où je l’ai circonscrit, à un sujet riche, auquel il aurait été fécond qu’il consacre sa culture et son expérience vécue, au lieu de m’égarer (mais peut-être suis-je après tout le seul qui ait eu la candeur et l’inexpérience de s’égarer) dans un dédale de prises de position dans des débats qui souvent m’ont semblé parfaitement indépendants de cette question France-Québec ou Europe-Amérique, ou dans un labyrinthe d’arguments avortés dont les conclusions, parfois fortes, jaillissent par magie. Soyons clair (et d’avance, pardon pour les truismes!): tout peut être relié ou imbriqué à n’importe quoi. Rien a priori n’empêchait l’auteur de donner son avis sur les accommodements raisonnables ou de se payer la tête d’auteurs médiocres qui se ridiculisent déjà très bien tout seuls. D’ailleurs, les liaisons inusitées s’avèrent parfois intéressantes et se révèlent précieuses, voire cruciales, aux progrès de la connaissance et de la compréhension. Mais se pose toutefois la question de la pertinence (la pertinence d’évoquer x dans un chapitre portant primordialement sur y, de digresser sur a au cœur d’un développement sur b, etc.). Enfin, tout a un prix et l’originalité requiert un surcroît d’explications.

Il n’est pas impossible que je n’aie pas suffisamment apprécié à quel point certains de ces développements (par exemple sur la question du nationalisme québécois, « la vaste question littéraire », « notre attitude collective face à la pensée », « la suave question du politiquement correct québécois ») entretenaient, chez l’auteur, une liaison interne et essentielle avec le fait de n’habiter plus le Québec et de s’abreuver, depuis la Côte d’Azur, à des sources littéraires viennoises. Il y a peut-être ici un lien biographique et accidentel ou empirique, et néanmoins direct et significatif, mais alors je dois déplorer d’être passé à côté, et aucun lien d’ordre plus théorique ou conceptuel me semble n’avoir pallié l’absence du lien personnel, par exemple, pour soutenir (avec force contradictions malheureusement) une position dite « post-nationaliste »[16] (une position tout à fait respectable et légitime en elle-même, il va sans dire) et le faire en observant le Québec depuis la Méditerranée. En fait, beaucoup de ce qui dans ce livre serait à ranger dans la rubrique très générale de la critique culturelle m’a semblé indépendant dans sa substance du fait que celui qui produit cette critique se trouve à être un expatrié (ou un exilé de l’ennui), un Québécois en France.

Ainsi, il me semble (et je crains que cela ne sonne comme une apostrophe incroyablement bornée, déprimante, et tout simplement inacceptable à l’auteur) que ce genre de démarche devrait s’astreindre à un effort de réduction, d’isolement clinique de certaines propriétés au moyen d’une suspension du superflu et du périphérique, peut-être pourrions-nous parler d’une réduction phénoménologique de l’expatriation ou quelque chose de semblable, permettant de cerner ce qui, au moins pour l’auteur (car rien n’autorise prima facie à croire que le résultat de la « réduction » serait toujours, et pour tous, le même), relève de cette situation de l’éloignement, du regard et de l’interrogation distants (dans le temps et l’espace), de ce qui résulte du fait essentiel, quand on parle par exemple du Québec, qu’on n’en est pas ou plus tout à fait, qu’on se soit intégré à un autre univers et re-formé à son contact dépaysant, etc.

J’y insiste puisque je tiens que le cœur, la substance la plus décisive, de ce que l’auteur pouvait et devait proposer ressortit à cette situation de québécité aliénée[17], en situation d’ « étrangement » radical par-rapport à elle-même, d’autant plus que l’auteur y trouve, en tous cas y trouve finalement ou pour l’instant, un certain confort moral et une certaine volupté intellectuelle.

Une fois identifiés et dégagés ce noyau, cette essence de l’expérience de l’expatrié ou de l’étrangement, s’ouvrirait un champ précis, spécifique, définissant ce qui peut être appris (si ce n’est, ce qui est devenu visible, « ce que l’on a envie de dire », déjà un bon début) sur ce dont on s’est progressivement et partiellement aliéné (le Québec) depuis la position extérieure, ici française ou européenne, nouvellement conquise.

 

Le fait que l’auteur m’ait donné l’impression de ne pas s’en tenir à ce type d’angle et de focus me semble avoir embrouillé, perturbé et partiellement gâché un aperçu qui aurait pu s’avérer autrement, en l’occurrence extrêmement, éclairant et enrichissant. Il se trouve que plusieurs remarques relèvent clairement d’un tel aperçu. Mais il s’en trouve de beaucoup trop nombreuses qui, de mon point de vue, lui sont étrangères pour que j’aie pu avoir la conviction de m’y retrouver tout à fait, dans le type de travail entrepris ici.

Si l’auteur a parfaitement le droit de récuser des exigences et restrictions qui lui semblent éventuellement hors de propos ou peu susceptibles de donner lieu à une démarche féconde, il doit en revanche produire un minimum de justification à l’appui du capharnaüm indescriptible dans lequel il installe parfois son lecteur, et il va de soi que mes « restrictions » et ma proposition de réduction du champ d’investigation ne sont pas nécessairement le palliatif le plus pertinent à ce soi-disant capharnaüm.

 

2.

Ce genre d’isolement clinique et analytique de ce qui est spécifique à cette position et à ce qui s’y exprime, s’y révèle et s’y épanouit, notamment un certain écart, une nouvelle distance avec le Québec, aurait sans doute permis à l’auteur d’aborder une dimension qui reste relativement discrète dans son exposé. Il est en effet question, dans ce livre, de ce que l’on voit et pense du Québec depuis la France, de ce qu’un regard malgré tout québécois révèle de la France, de certains traits de caractère jugés emblématiques des Québécois et des Français, mais ce qui ne se voit jamais thématiser explicitement et qui serait si digne de l’être est la relation elle-même (au sens de l’événement spécifique de cette relation), qui est pourtant cruciale et déterminante.

Je dois préciser qu’en abordant ici, de manière formellement et substantiellement si triviale, une dimension qui me semble névralgique de notre compréhension québécoise des Français, des Québécois (bref, notre propre compréhension et notre propre saisie de nous-mêmes, aussi problématiques fussent-elles en leur principe même) j’ai l’impression d’aborder un angle mort de la réflexion sur ces questions. Il me semble que, ce que sont « le » Français ou « la » Québécoise, se joue précisément ici, autant aux plans ontologique que logique ou épistémologique, c’est-à-dire autant au plan de ce qu’ils sont (en et pour) eux-mêmes, ce qui les qualifie et les spécifie, indépendamment de toute relation (si une telle intuition a la moindre cohérence) qu’au plan de ce que l’on peut dire et connaître d’eux.

Très schématiquement, il me semble qu’un modèle traditionnel, au moins habituel et pernicieux, considère que les qualités et propriétés des uns et des autres sont là, toujours déjà, avant la rencontre, le face-à-face, l’interaction. Et j’aimerais soutenir, au moins suggérer, qu’il n’en est rien et que, s’il est intuitivement dérangeant de soutenir qu’il n’y a ni Française ni Québécois avant leur rencontre, en revanche, une bonne partie de ce que les uns prétendent, connaissent, ou croient savoir, au sujet des autres (attribuent aux autres), relève précisément du résultat de l’interaction et n’existe, en tant que tel, pas indépendamment de cette interaction (ou, pourrait-on dire pour éviter les inutiles hyperboles, « n’existe qu’à l’état quasi-muet d’une latence »).

Le Français dont on parle au Québec (mais je dois admettre que cela était probablement plus vrai, plus simplement vrai, il y a 15 ou 20, avant l’afflux de si nombreux Français) et auquel on attribue si spontanément les propriétés {x, y, z, …} les possède, en vertu de ce que je tente de faire valoir ici, significativement dans le contexte précis de l’interaction avec les Québécois. Ces propriétés {x, y, z} ne sont pas indépendantes de la relation avec un Québécois. Ce dernier, de par sa composition spécifique, est lui-même comme un ingrédient de ces propriétés. Peut-être peut-on penser sa causalité sous la forme et selon le modèle du catalyseur, et sans doute faudrait-il trouver dans le langage de la chimie un registre pertinent d’illustrations, de métaphores et d’inspiration. Je ne soutiens pas que la Française ou le Québécois n’ont pas une teneur propre, un statut « plein et solide », indépendamment de leur relation réciproque, mais simplement que tout l’intérêt de cette profonde, parfois difficile, relation entre Français et Québécois est qu’elle révèle et fait émerger des propriétés spécifiques, de part et d’autre[18], que cette relation favorise cette émergence.

 

L’auteur prononce constamment des phrases de la forme « Les Québécois sont (ou ne sont pas) ceci. », « Les Français font typiquement (ou sont typiquement incapables de faire) cela. », etc. Si on met de côté la généralité problématique de ces jugements, certaines de ces affirmations me semblent fondées et tout à fait justes. D’autres me semblent reconduire et réchauffer de stupéfiants clichés. Mais là n’est pas la question. Le problème est que, réfléchissant et s’exprimant ainsi, l’auteur me semble obscurcir, occulter, au moins négliger, une dimension significative et déterminante : c’est que le contact d’une Québécoise est l’occasion pour un Français de manifester une dimension spécifique parmi toutes les potentialités de son caractère (aujourd’hui, on dirait plutôt « son identité », et entre « caractère » et « identité », on disait « génie »)[19] de même que cette relation constitue pour la Québécoise le déclencheur de virtualités précises qui ne trouvent pas nécessairement tant d’autres occasions de se matérialiser[20].

Ces potentialités sont, d’une manière frappante, prédéfinie, dans un canevas assez dense, un scénario relativement précis, à travers une distribution de rôles exhaustive, tristement déterminante, et, pour chacun, d’une fécondité vraiment très relative et même, franchement discutable. M’exprimant ainsi, j’affirme deux choses distinctes, dont chacune pose son lot propre de problèmes et chacune pourrait susciter sa propre révolte : d’une part, il existe une distribution des rôles, faisant en sorte que, dans l’interaction entre Français et Québécois, « l’histoire est déjà écrite », ce qui devrait susciter un minimum de frustration morale en un sens paradigmatique (nous serions ainsi pré-déterminés et programmés); et d’autre part, on pourrait penser que la qualité des rôles n’est ni satisfaisante, ni très enviable pour les acteurs, d’où une nouvelle source de frustration (sauf pour les amateurs masochistes de cette histoire et de ces rôles).

 

Cela signifie qu’au sens le plus strict les Français que certains Québécois adorent détester sont une invention québécoise, le produit partiel du plus pur génie inventif québécois. Ainsi démasqués comme causalement nécessaires dans le processus d’émergence des propriétés « françaises » qui les scandalisent et les tourmentent tant, les Québécois peuvent ainsi être jugés partiellement responsables de ces qualités, de sorte qu’on pourrait dire que les Québécois n’ont que les Français qu’ils méritent. Il s’agit d’un énoncé évidemment extrémiste, flirtant en outre avec l’erreur catégorielle, qui me semble pourtant, dans plusieurs cas précis, littéralement vrai.

Le genre d’idée que je tente ici d’exprimer et de faire passer, pourtant d’une immense trivialité, me semble essentiellement négligée par les Québécois, et même par l’auteur d’ Un Québec si lointain, quand ils parlent « des » Français. Il s’agit néanmoins d’une intuition qui anime et alimente une littérature importante, en psychologie sociale, à un niveau d’abstraction et d’aridité caractéristique en métaphysique, et en arts, notamment en littérature, et perfuse ainsi de larges secteurs de la culture. Il m’est ici impossible de passer sous silence l’œuvre de Witold Gombrowicz, qui constitue une inlassable méditation sur cette prégnance, et l’aspect déterminant, de la relation, que ce soit dans son œuvre romanesque, son théâtre ou encore son important Journal[21]. Deux des significations principales qu’il a déposées et investies dans le concept de « forme » peuvent nous être utiles, et je dois leur reconnaître une dette profonde. Il s’agirait ainsi pour nous, précisait l’auteur polonais exilé, « de montrer le contact de l’homme avec son semblable et le caractère soudain, fortuit, sauvage de ce contact, de faire comprendre comment, à partir de ces rapports imprévisibles, vient à naître la Forme, souvent tout à fait inattendue, absurde. […] [L]’homme que je propose est créé de l’extérieur, il est dans son essence même inauthentique puisqu’il n’est jamais lui-même, rien qu’une forme qui naît entre les hommes. Son « moi » lui est donc attribué dans la sphère de l’ « interhumain ». […] [Ê]tre homme, c’est réciter l’homme.»[22]

 

Cette strate de réalité doit être sérieusement prise en compte si l’on entend, selon l’expression de Georges Steiner « clarifier autant que possible […] les conditions, les stratégies, les limites de la compréhension et de l’incompréhension réciproques »[23]. Le type de chantier ouvert par Dubois doit être l’occasion d’un forage en direction des fondations des évidences souvent trompeuses des identités respectives. Ces évidences mériteraient d’être interrogées, remises en question et, dans certains cas, congédiées. De même, on doit discerner dans ce chantier la conjoncture propice au projet de briser « l’attraction irrésistible » exercée par des explications, descriptions et interprétations, de comportements et attitudes soit disant « typiquement » français, mais qui en disent en réalité souvent plus long sur les Québécois que sur l’explanandum officiel. Je confesse maladroitement que la pérennité et la force d’inertie de ces explications, et de la prégnance de ces « rôles » et « figures imposées », ainsi que l’effet de « récitation » qui en découle, constituent un régime de phénomènes qui, à supposer qu’il existe en dehors mon imagination inquiète, me consterne (si on m’autorise pareil jugement de valeur).

 

3.

J’ai déjà précisé que l’intimité de la fréquentation et la participation constituaient des modes de connaissance, ou au moins des préalables inestimables, voire des conditions de possibilité au sens le plus strict, d’une certaine connaissance, par exemple, de la mentalité et du caractère. L’intérêt et la validité de la démarche de Dubois, s’agissant du Québec, découlent de la conviction symétrique que la distance, l’écart, suscitant la perte de cette intimité, aménagent un point de vue important sur une culture et procurent l’occasion d’une connaissance concurrente de cette culture, en raison de possibilités inédites d’objectivation, et grâce à l’éclairage comparatiste, ainsi assurés.

 

Il est indéniable que l’auteur a compris ce potentiel, et l’occasion qui est ainsi offerte de rectifier certaines perceptions, présomptions et évidences québécoises, au sujet du Québec lui-même, et au sujet de la France et des Français. Inlassablement (mais à mon avis, imparfaitement), il « ethnographise » à contre-courant, il insiste sur des faits qui pourront surprendre certains de ses lecteurs, il rectifie des distorsions, et remanie plus en profondeur le contexte et les relations de ces distorsions à l’ensemble de la culture, etc. Si je commentais le catalogue des remarques qu’il produit à ce chapitre, il y en aurait plusieurs avec lesquelles j’inclinerais à me quereller, et d’autres que j’accréditerais avec enthousiasme, mais sur le fond, c’est-à-dire dans le courage ou la détermination qu’il investit à tenter de désigner et dénoncer certaines illusions confortables, il me semble qu’il accomplit une œuvre salutaire au sujet de laquelle je dois néanmoins remarquer que sa concentration en vitriol est vraiment très raisonnable et qu’elle n’est décidément pas accomplie à coup de marteau. Je m’attendais à un travail de sape plus véhément, plus provocateur, et surtout plus radical, au sens propre et étymologique.

L’auteur aurait pu gagner en définition, en radicalité et en pugnacité, ce qui aurait, selon une certaine compréhension de ce type de démarche, augmenté d’autant les effets bénéfiques sur la salubrité culturelle de son pays. Je n’ai pas la place ici d’expliciter et de développer, sauf à préciser qu’ici encore l’œuvre de Gombrowicz me semble pouvoir constituer un fil conducteur et une inspiration. L’opération n’est pas sans risque : ceux qui s’aventurent, comme l’a fait l’auteur de Ferdydurke et de Trans-Atlantique[24], à narguer et perturber en profondeur les trajectoires et courants de fond de leur pays s’exposent à divers risques et avanies, à commencer par les accusations blessantes, souvent farfelues et confuses, émises par les plus bruyants des militants de l’imbécillité primitive, autoproclamée « patriotique »[25].

Pour être tout à fait clair, ce type de recherche ne constitue pas un accroissement dans le sens de la méchanceté ou de la cruauté des verdicts. Dubois, à mon avis, n’explore pas ces « formes » mais cela ne l’empêche pas d’affirmer que les Québécois sont « petits », « provinciaux », ennuyeux, immobiles, « l’échine courbée », « l’agressivité à fleur de peau », dépourvus de tout génie, descendants de colons de « basse extraction sociale », de désigner comme « épais » des individus ou des catégories d’individus (qui ne me semblaient pas appartenir si clairement à cette nomenclature), et parler d’un Québec « engoncé dans le pareil-au-même, le groin dans son auge », etc.

En outre, si me laissent souvent perplexe la désignation et la dénonciation, par l’auteur, de phénomènes réels précis, je peux voir en revanche que celui-ci en découd avec des formes, des stéréotypes qui ont leur importance, mais qui ne peuvent être approchés, ni cernés, ni, éventuellement, ridiculisés et efficacement contrecarrés que s’ils sont envisagés et confrontés pour ce qu’ils sont, des formes. D’ailleurs, une approche de ce type permet de résoudre le problème, ou le piège, de l’anecdotique, que j’ai abordé au début de cette intervention. Je me suis souvent demandé si l’auteur réalisait à quel point il ferraillait, non avec des phénomènes concrets, des comportements réels, mais avec des clichés, des stéréotypes, c’est à dire la manière spécifique dont ces comportements et phénomènes sont déchiffrés. Négligeant trop souvent cette distinction importante, l’auteur a contrecarré des clichés avec d’autres clichés dont rien ne permet de croire qu’ils sont préférables. Insatisfait de cette simple substitution, l’auteur est même allé jusqu’à inventer de nouvelles légendes qui, grâce à son propre talent, feront peut-être à leur tour une jolie carrière de cliché.

 

Je ne dis pas « Dubois y est allé trop mollement. Il fallait frapper plus fort! ». Je dis qu’il aurait pu s’avérer fécond qu’il produise un travail d’une autre qualité (je veux dire, d’un autre type, à une autre échelle), peut-être plus focalisé—au moyen de caricatures plus ciblées—et aussi féroce que nécessaire (la férocité, pour réussir, doit être juste; elle doit toucher dans le mille, et ne saurait être assimilée à de la méchanceté gratuite, à toute forme de badinerie intellectuelle perfide ou quelque persiflage capricieux).

Une telle exploration de nos archétypes et clichés en acte, en chair et en os, je regrette de ne pas la trouver dans Un Québec si lointain. Et le lecteur aura compris que je le déplore dans la mesure où il me semble que certaines prémisses d’une telle exploration et d’un tel déboulonnage étaient rassemblées. Ainsi, quand il mentionne (p.11) « des certitudes « de fond », comme notre sentiment global de supériorité à l’égard des Français » (mention qui m’a profondément impressionné et qui me laisserait entendre que le problème québécois est beaucoup plus grave que tout ce qu’un relatif pessimisme me permettait d’imaginer jusqu’ici!), il désigne une configuration spirituelle vaste, complexe et grave, qu’il ne peut pas traiter à la légère. Il doit la pister, la retracer, la cerner, et la harceler de questions (la démystification est à ce prix) jusqu’à la légitimer (si, au terme de l’examen, elle s’avérait, per impossibile, saine) ou encore la déraciner (si, de manière plus prévisible, elle s’avérait sclérosée). Mais à cet égard on reste sur notre faim. Son refus d’envisager explicitement le phénomène à sa juste échelle, qui n’a rien à voir avec de la mansuétude pour ses compatriotes, assombrit l’horizon général de l’analyse.

 

Encore, quand il décide d’explorer des questions, d’actualité et d’importance, comme celle des accommodements raisonnables, il doit saisir l’occasion de produire autre chose qu’une position de type éditorial sur ces questions, ne pas se contenter de vérifier que « l’ex-colonisé apprécie toujours la position couchée » (p.19) Il s’agit d’un jugement lapidaire qui, prima facie, se défend tout à fait. Il va de soi qu’il heurtera certains lecteurs, qui souhaiteront y apporter quantité de nuances sophistiquées et rectifications importantes, à grand renfort d’ergotages savamment lestés des meilleures théories et plus étincelantes capacités dialectiques, et on peut même s’attendre aux habituels procès d’intention et au terrorisme moral qui est devenu la règle sur ces questions et tient souvent lieux d’argumentaire de base. Mais s’il y avait une manière dont Dubois, en tant que Dubois, pouvait spécifiquement alimenter ce débat, nonobstant sa compréhension précise, partisane et légitime du problème et de la situation, c’était, par exemple, en décrivant la manière québécoise de « se coucher ». « Se coucher » au sens précis où il l’entend est un geste notable. C’est une attitude complexe, lourde de sens, etc. Qu’il s’agisse des Québécois qui « se couchent », ou de ceux qui les dénoncent, tous sont immergés dans une pratique qu’ils voient mal, dont ils ne cernent pas les contours (puisqu’ils sont immergés dans cette pratique), et Dubois, qui est devenu en quelque sorte un Persan, aurait pu mettre en oeuvre une capacité de révélation, de dévoilement, au lieu de quoi il est intervenu dans ces débats d’une manière qui pourra apparaître au mieux banale, au pire, candide, à ceux qui ont suivi cette affaire dans les journaux. Dubois était donc prêt à agresser la québécité. Cela était facultatif bien que convenable. Mais il l’a plus agressée qu’interrogée ou éclairée.

D’une certaine manière, comme je l’ai déjà déploré, Dubois est loin du type de travail que j’espérais. Mais il faut remarquer aussitôt qu’un précieux matériau brut est déjà rassemblé dans son livre. Régulièrement, Gombrowicz a interprété les formes comme des vêtements, des « souliers étroits ». Un passage, tout à fait typique de la prose cryptique et déroutante de Dubois, se laisserait peut-être interpréter comme un écho gombrowiczien : « Chacun ses codes. Il n’y en a pas de « bons » et de « meilleurs », de « drôles » ou de « bizarres », il y a des codes différents. […] Les codes : dans notre maison commune […] chacun a un accès privilégié à sa chambre à soi. Sa chambre comme deuxième peau. » (p.46). Il rappelle que « [l]es clichés sont là pour faire plaisir, pour rassurer. Ce sont les piliers du temple […]. » ajoute-t-il,  p.161. Pourquoi ne s’est-il pas concentré sur ces piliers, pour mener une excavation précise et systématique (après tout, la frise et le tympan de notre temple québécois ne reposent pas sur tant de colonnes, de sorte que la tâche n’est pas herculéenne!? ). Et comment a-t-il réussi à négliger un pilier aussi massif que la qualité et la teneur si spécifiques des rapports homme-femme au Québec? Peut-être s’est-il considéré, fort raisonnablement, impuissant face aux mécanismes qu’il décrit au bas de sa page 35, et, de la sorte, un peu timide?

 

L’univers de Dubois, sa prose, sont encore hantés. Son exorcisme est incomplet et imparfait. Je me réjouissais d’apprendre que Dubois entreprenait de « chasser les stéréotypes, mettre un terme aux catégories convenues » (p.187) mais Dubois n’a pas toujours su apprécier et estimer la géologie du stéréotype et de ce type de convenance, en conséquence de quoi la force tellurique de son intervention sera sans doute de faible intensité. Dubois est resté à la surface, au niveau de certaines certitudes discutables ou ridicules des Québécois sur eux-mêmes ou sur les Français, de comportements devenus pour lui étranges. Il a en effet rétabli certains faits, ce qui est un gain et un accomplissement indéniables, mais il n’a pas accompli ce que la distance et le recul lui permettaient et lui commandaient pourtant d’accomplir : l’identification des archétypes, des formes convenues et obligatoires, des uniformes habituels, etc. et le carcan (confortable ou étouffant) qu’ils représentent. Pour ce faire, le réel écart, la véritable distance, qui se sont installés entre Dubois et le Québec, et que Dubois a su conquérir ou au moins assumer, constituent d’inestimables atouts. Le potentiel de libération inhérent à la simple identification, la simple désignation précise et concrète, de ce que Gombrowicz appelait les « formes » est significatif. Ce potentiel est aussi théorique que pratique (ses conséquences concernent la façon dont on se conçoit et la façon dont on se comporte). Au minimum, cette identification constitue un approfondissement eu égard à la conscience de soi. Elle peut présider à un renouvellement et un raffinement du regard jeté sur soi par les Québécois, et préluder ainsi, en procurant une nouvelle liberté, à divers efforts de redéfinition et de réorientation. Elle peut enfin constituer un prélude à l’ébranlement d’une culture figée dans ses sédimentations successives, malgré d’indéniables évolutions, modifications, et sauts qualitatifs que Dubois serait sans aucun doute, comme moi, tenté de qualifier de « progrès ».

 

4.

Un fait remarquable, sans doute l’élément crucial du livre de Dubois, est que ce travail de rectification et de critique, ainsi que, peut-être plus profondément, les émotions et les visions sous-jacentes qui l’alimentent, le structurent et le motivent, sont, chez l’auteur, la source de ce qu’il appelle le « désamour ». Ne coïncidant plus, n’adhérant plus parfaitement au Québec, ayant coupé le cordon ombilical et épuisé l’osmose, l’auteur n’est plus certain de ses sentiments pour son pays, si ce n’est de ses « sentiments critiques ». Il se demande s’il l’ « aime encore »[26].

 

Cela est remarquable parce que rien n’est évident dans cette association entre un lien naturel, spontané, et jamais interrogé ou remis en question, avec son propre pays (ou sa propre nation) et un amour de ce pays, un attachement à cette nation. En fait, il vaudrait mieux qu’il soit possible d’être douloureusement conscient de l’absurdité, de la médiocrité et de l’échec que représente une partie de la réalité québécoise et d’aimer le Québec, parce qu’on abandonnerait autrement « l’amour du Québec » à l’une de nos bucoliques et inoffensives sectes jovialistes.

Ou peut-être ne faut-il justement pas confondre deux sentiments distincts (« amour » et « attachement »). Peut-être faut-il scrupuleusement distinguer cet amour, dont Dubois éprouve et décrit successivement un crépuscule et une redéfinition, du fait d’accorder à un pays ou une nation un statut particulier, instaurant une asymétrie, peut-être pas principielle et normative, mais au moins émotionnelle et sentimentale, entre cette nation et toutes les autres nations.

 

Le problème est que, pour aimer son pays au sens où Dubois l’a aimé mais ne l’aime plus, il faut être relativement ignorant et, de préférence, inconscient des réalités de l’univers et ses richesses. Sauf exception inouïe, on aime ainsi son pays tant qu’on n’en a pas vu et réellement essayé un autre (ici, je ne cède pas à la méchanceté de nuancer « en fait, tant qu’on n’en n’a pas vu un autre, sauf celui-ci, celui-là et celui-là encore »). Personnellement, si mon affection pour ma ou mes nation(s) ne fait aucun doute (même si elle pourrait sembler fort douteuse à certains…), quelque commentaire que j’aie à formuler au sujet de ces nations, la grammaire du sentiment m’est totalement inutile. Et dans ce sens-là (ou dans les parages de ce sens-là puisque je resterai malheureusement dans le vague), il me semble que l’amour du pays est quelque chose d’ineffable et qui devrait se confiner à ce régime, peut-être pas de l’indicible (à cause des confusions inhérentes à ce concept, comme à celui de l’ineffable), mais du non-dit (dicible mais tu). Quoi que ce soit d’important, d’utile et d’intéressant qui puisse être dit sur un pays, même, à la première personne du singulier, sur son propre pays, cela devrait pouvoir être dit sans mobiliser le jeu de langage de l’amour et du désamour (Pourquoi ce sentiment serait-il d’ailleurs exclusif?)[27].

Enfin, l’inférence, de l’amour du pays vers le nationalisme, ou du désamour, vers le post-nationalisme, me semble devoir être combattue et neutralisée. Ses prémisses sont empiriquement simplistes et normativement confuses. Finalement, ici aussi on pourrait craindre qu’une image exerce une fascination et un néfaste pouvoir d’attraction, cette inférence circulant largement dans les souterrains de l’implicite. Les exquises, mais laconiques, amabilités que réserve l’auteur aux « Canadiens » (sans doute les Canadiens-anglais pour Dubois), ne devraient pas être comprises comme atteignant à l’indépendance canadienne ou au nationalisme canadiens-anglais. Le fait qu’aucun épigone de Carl E.Schorske[28] ne s’aventurera à produire un clone du type Fin-de-Siècle Ottawa. Politics and Culture (ou Fin-de-Siècle Toronto, Regina ou Halifax) et qu’un tel ouvrage soit impensable ne devrait jamais décourager quelque Canadien d’améliorer son pays, d’être vigilant avec les trajectoires qu’il emprunte, de se sentir concerné et impliqué par ces processus et directions, bref, d’être un nationaliste canadien.

 

5.

Un sujet (une rubrique chorégraphique) que n’aborde pas Dubois, mais sur lequel il aurait sans aucun doute beaucoup de choses à dire, et qui recèle lui aussi son lot d’anecdotes, parce qu’il s’agit d’une sphère d’interaction fort densément pratiquée, est la cohabitation ou la rencontre de Québécois en France, peut-être typiquement à Paris. Je vais focaliser ici aussi scrupuleusement que possible sur une dimension très précise de cette interaction, et sur certains de ses ratés et tragédies d’intensité modérée.

Très schématiquement, on pourrait dire qu’il existe deux comportements que chassent et que tentent activement d’identifier certains[29] Québécois en France quand ils examinent la manière d’être de leurs compatriotes et quand ils mesurent sur eux l’intensité de la prise des manières, us et coutumes du pays d’accueil, c’est-à-dire leur assimilation à ces derniers. Certains Québécois, à l’étranger, ont en effet tendance à se surveiller, eux-mêmes, et les uns les autres.

Il n’est pas si simple de parvenir à une formulation et une caractérisation satisfaisantes de ces deux archétypes d’une façon supputée déplorable d’être québécois en France.

Le premier cas, c’est celui d’une francisation trop poussée, notamment d’une francisation trop poussée de la langue, de la façon de parler, de l’accent. « A-t-il perdu son accent québécois? À quelle vitesse? Avec quelle délectation suspecte? Avec quel empressement tout à fait louche a-t-il tenté, selon l’expression frappante de Jean Larose, de ‘vaincre sa naissance’? » se demande-t-on de celui ou celle qui sera ainsi soupçonné(e) de n’avoir pas porté assez haut et fort la voix québécoise et de s’être auto-aboli(e) dans une autre norme, celui (en quelque sorte le traître, le renégat) qui a déserté le Québec, c’est-à-dire s’est déserté lui-même. Dans toute communauté humaine, le jugement porté sur les traîtres est l’un des plus sévères, et le sort leur étant réservé, l’un des plus cruels.

Le deuxième cas est plus inusité, peut-être plus typiquement québécois (chose que je n’affirmerais pas mais dont je ferais pourtant l’hypothèse). Il s’agit de toute la gamme de comportements qui traduisent le désir de se montrer, en toutes occasions, surtout les plus périlleuses et les plus inconfortables, fidèle, authentique, profondément et radicalement québécois, vrai[30] en quelque sorte, au premier chef, eu égard à la langue et la façon de la parler. Ne nous y trompons pas : l’attitude fanfaronne et agressive n’est que l’une des modalités de cette attitude. Ce que vérifie le Québécois chez l’autre Québécois quand il cherche à identifier ce syndrome de la bravoure carnavalesque, ou d’opérette, de l’exilé, c’est s’il va ridiculiser sa terre d’origine, projeter une mauvaise image du Québec, en « en faisant trop », en adoptant des attitudes et des comportements qu’au Québec-même on pourrait juger absolument caricaturaux, folkloriques, des manières de se comporter et de s’exprimer qui faisaient en sorte jusqu’à récemment encore qu’on ne puisse pas travailler à Radio-Canada et qu’on donne l’impression de ne pas fréquenter assidûment les secteurs culturellement autorisés de Montréal.

Cette rudimentaire alternative, s’il s’avérait qu’elle ait le moindre sens, est évidemment trop grossière pour être littéralement exacte dans tous les cas, et reste de toute manière bien rustique. S’agissant du statut épistémique de cet hypothétique schéma, il est, au mieux, idéal-typique, c’est-à-dire qu’il doit être précisé et amendé au contact du réel, être testé, sur le terrain d’une réception à Paris par exemple. Relève également de l’idéal-type du rapport des Québécois entre eux la propension que je viens de décrire de chacun à scruter les autres et de tenter à tout prix de les associer à l’une des deux attitudes.

L’impression, ou la conviction, d’être ainsi scruté et identitairement évalué, n’est pas sans conséquence sur la manière dont se comporte un Québécois à Paris. Cela projette autour de lui un enclos, et sur lui-même une forme très spécifique et très spécifiquement contraignante, qui aura tendance à fonctionner comme un lit de Procuste, à baliser et restreindre l’éventail de ses modes et formes potentiels d’expression et de réalisation de soi.

 

Sur ce petit schéma que je soumets modestement aux lecteurs qui ont pratiqué la québécité en France (je ne m’enlève pas ici toute autorité épistémologique sur le sujet; j’ai bien « vu ce que j’ai vu »; mais justement, et cela importe pour des raisons que je voudrais préciser en conclusion, c’est moi—ce n’est que moi—qui l’ai vu, et cela a de l’importance et de la signification), on peut formuler quelques remarques sommaires : 

a) Il est cocasse et intéressant que les deux syndromes, et le syndrome consistant à tenter de les identifier chez nos semblables, soient perceptibles à Montréal-même.

b) N’importe quel Québécois, ou la plupart du moins, admettrait (pardon, « devrait admettre », précisé-je) que les deux attitudes reposent sur un souci et une exigence, dans leur principe, fort raisonnables, légitimes et décents. Dans le premier cas, il s’agit de l’évidence empirique qu’il est difficile, donc rare et relevant de l’exception, de se transplanter dans un sol nouveau sans être modifié par les qualités de ce sol, ainsi que de l’exigence, plus controversée quand il s’agit des Québécois en France mais pourtant admise par la plupart, qu’il faut savoir s’adapter et que l’on doit assumer, hors de chez soi, cette responsabilité de se mettre en état d’interagir avec les autochtones de manière efficace et fructueuse (et cela commence avec la responsabilité de se faire comprendre). Dans le deuxième cas, on accepte que, toutes choses égales par ailleurs (ce qui exclut, par exemple, la quête d’un rôle dans un film français, situation que connaissent Marie-Josée Croze et Marc-André Grondin notamment), il est raisonnable de ne pas faire table rase de ce que l’on est, et qu’il est naturel et acceptable de charrier, et de laisser visibles, ses origines quand on sort de chez soi. Ainsi, dans les deux cas, il est reproché d’en faire un peu trop, voire beaucoup trop, avec une exigence admissible sur le principe. Pourtant, le fait de commettre l’un de ces « excès » résulte souvent d’une hypersensibilité à l’excès inverse et au péril de s’y fourvoyer. En fait, les deux comportements, au moins les motivations qui les initient, s’interpénètrent de manière assez intime (ce qui pourrait rappeler l’affinité troublante qui solidarise intelligence et bêtise, dans l’interprétation de la bêtise que proposa Musil[31]).

c) Ce « trop » échappe, en réalité, à la définition de tout critère permettant d’arbitrer les controverses, si bien qu’un même comportement québécois en France pourra être sardoniquement réduit par les uns au premier excès et par les autres, méchamment, au second. Cela ne facilite pas la tâche des exilés. Il s’agit typiquement d’un thème dont il faudrait que l’on sache discuter gentiment, entre Québécois expatriés, plutôt qu’une occasion de révéler de manière si transparente une vulnérabilité et un ressentiment trop éclatants en en disputant dans le but assez évident de blesser, exclure ou stigmatiser. En attendant, ce type d’interaction entre Québécois est parfois à l’origine de l’exécution souvent maladroite de figures imposées. N’oublions pas que n’est, à ce stade, pas même abordée la question des différentes modalités chorégraphiques fixes des rapports entre Québécois et Français.

d) Mon impression, est-il nécessaire de le préciser, est d’être, et d’avoir été, associé, alternativement, à l’un ou l’autre de ces écarts pathologiques (la fuite renégate et pusillanime du soi québécois et l’affirmation inélégante de ce soi grossier, qu’ « on ne saurait voir »), l’ambiguïté de cette alternance se résolvant à toute fins pratiques par le fait que l’association en question est toujours nécessairement péjorative et dépréciative, interprétée comme un excès, une incapacité de manifester et de maintenir une sage dignité de Québécois en France et le fait d’avoir cédé aux penchants évidents, ridicules, grotesques et existentiellement périlleux. Enfin, je reconnais ne pas être en mesure d’affirmer avec certitude que ces remarques en disent plus long sur une soit-disant pathologie inhérente au côtoiement des Québécois en France que sur une éventuelle paranoïa![32]

 

CONCLUSION

 

J’ai évoqué souvent les bénéfices et avantages descriptifs inhérents à la distance. Il ne faudrait surtout pas qu’une telle évocation soit interprétée comme la prétention que cette distance peut être, sans autre forme de procès, assimilée à de l’objectivité, ou à un surcroît d’objectivité. Que l’on soit immergé et participant à l’objet, ou qu’on le décrive à distance, on ne risque pas, dans un cas ou dans l’autre, de se brûler au contact de quelque vérité plus essentielle. Les divers angles et écarts facilitent et favorisent des types de discours concurrents, parfois contradictoires, souvent complémentaires, et il demeure que la manière dont on aborde, décrit et interprète le génie/la mentalité/l’identité québécois ou français est un révélateur du Québécois ou du Français que l’on est, comme le seront les expériences que l’on est susceptible de faire du Québec et de la France, ainsi que les réflexions qu’elles inspirent[33].

Ainsi, il est difficile d’aborder ces sujets et de s’investir dans un débat ou un échange critique avec Dubois sans laisser entrevoir quelques jugements de valeurs structurants. Aussi, je suis tout à fait prêt à admettre que ces derniers pourront sembler, non seulement, cela est évident, discutables à plusieurs, mais également saugrenus ou extravagants, voire désagréables, peut-être odieux (et il va sans dire qu’ils ne m’apparaissent pas tels et que je suis prêt à les défendre, cela dit, devant un auditoire précis ou restreint, un auditoire qui partagerait au moins certaines des facultatives prémisses de mes jugements de valeurs).

 

Dubois évoque (p.37) « le mépris du Québécois par le Français ». En réalité, il me semble qu’il vaudrait mieux parler de la relative indifférence plus ou moins impolie, plus ou moins insolente, plus ou moins ostentatoire d’une très grande nation (de surcroît, et de manière générale, caractérisée par l’impolitesse) pour une très marginale. Même si le rapport du Québécois au Français s’écarte d’un rapport réciproque, ce dernier se montrant assez négligeant tandis que le premier affiche une propension plus prononcée à l’hystérie, il reste vrai dans les deux cas qu’une forte implication et une trop grande participation à l’objet ou à la réalité examinée doivent inspirer méfiance, prudence et scepticisme quand à la qualité des jugements qui peuvent en émaner et qui peuvent ici être produits (et cela vaut typiquement pour moi).

Si je me trouvais en quête d’un jugement serein et aussi objectif que possible sur ce qu’incarnent « les » Québécois ou « les » Français, je m’abstiendrais au maximum d’aller le demander à l’un et à l’autre. Chacun est, à sa manière, trop « mal placé ». Une position radicale, et sans doute un peu extrémiste et simpliste, sur ces questions consisterait à soutenir qu’on ne peut rien dire sur « les » Français ou « les » Québécois, comme sur la personnalité de toute entité collective ou agrégée. Mais une position en revanche plus raisonnable consisterait à soutenir que, quoi qu’il y ait à dire, par exemple, sur les Français, les Québécois sont habités, structurés (et torturés) par tout ce qu’il faut pour qu’on ne se fie pas trop spontanément à leur contribution. Il va de soi que cela soulève d’épineux paradoxes, et comporte des implications contre-intuitives, voire absurdes, réservant aux seuls extra-terrestres le droit de formuler ici tout jugement.

 

Dubois mentionne avec admiration Peter Sloterdijk. Il se trouve que le dernier chapitre (« heureuse prise de distance ») de sa récente Théorie des après-guerres thématise une « salutaire prise de distance mutuelle, le manque d’intérêt croissant que nous éprouvons les uns pour les autres, notre côtoiement le plus souvent peu troublé par des connaissances détaillées »[34]. Il serait insensé de tenter de déchiffrer la relation Québec-France sur le modèle de la relation France-Allemagne, tant les analogies sont ténues. Mais il me semble qu’il y aurait un certain intérêt à méditer, sans tenter de transposer ou de mimer, l’affirmation de Sloterdijk suivant laquelle « [l]e chemin pragmatique qui mène à une coexistence bienveillante […] conduit bien au contraire – sans que nous nous méprenions sur la valeur des points symboliques de réconciliation – à une perte mutuelle de l’intérêt et de la fascination. C’est seulement lorsque le détachement réciproque a été consommé que peuvent se mettre en marche toutes les choses bonnes et utiles que nous désignons par les termes cardinaux contemporains, comme « coopération » et « mise en réseaux » »[35]. Il va de soi que revient au Québec l’essentiel de l’effort en direction d’une forme saine et tranquille de détachement, vers laquelle il me semble que nous évoluons mais qui n’est pas encore réalisée. La proposition implicite que j’exprime ici contredit bien entendu la plupart des intuitions qu’ont maladroitement mis en forme mes précédents développements. Et son harmonisation avec la densification et la diversification socio-économiques décrites plus tôt[36] ne va pas de soi. Si l’histoire devait lui donner raison, les propos comme le mien seraient vite oubliés, au mieux, considérés comme désignant, voire fantasmant, une parenthèse raffinée dans l’évolution d’une relation.

 

On aura remarqué que, affairé à broder un labyrinthe digne de concurrencer les circonvolutions cacographiques de Dubois,  je n’ai pas eu le courage de tester sérieusement, pas plus que je n’ai pas pris la peine de discuter convenablement, l’hypothèse la plus évidente et la plus naturelle : l’hypothèse suivant laquelle toutes les idées me semblant si farfelues, incohérentes, trop généreuses, rassurantes et confortables pour ceux qui les formulent et y adhèrent trop volontiers, de certains Québécois au sujet de la France, seraient tout simplement adéquates, raisonnables et justes.

Maintenant, si ces élucubrations, qui trahissent elles-mêmes une dense épaisseur de fixations, ne méritent pas le « Oui, mais » de F.R.Leavis, mais inspirent ou provoquent le « Non, mais » de Steiner, cette parenthèse pourra s’avérer mineure sans être complètement vaine.

 

Sébastien Socqué

 

NOTES

[1] Un Québec si lointain, p.202. Je remercie Claire Éléonore Debru dont la lecture de mon texte a permis l’élimination d’évidentes lourdeurs.

[2] Gombrowicz, W., Journal Tome I 1953-1958, Paris, Gallimard Folio, 1995, p.485. La saison de l’exergue a été ouverte par Un Québec si lointain et, pour les lecteurs de Argument, je veux bien, pour une fois, être « de saison ».

[3] Wittgenstein, L., Leçons et conversations, Paris, Folio essais, 1992, p.64-65.

[4] Ibid., p.60, 59 & 57. On exagère à peine, c’est-à-dire qu’on exagère un peu.

[5] Il n’est pas délirant de considérer que les « Québécois francophones d’héritage canadien-français » (une expression qui aurait pu réduire de 3 minutes les tergiversations lexicales et désignatives dans la scène de l’avion de Elvis Gratton) connaissent mieux les Français qu’ils ne connaissent les Saskatchewanais, les Inuits ou les Juifs hassidiques de la rue St-Urbain.

[6] Ici comme ailleurs dans le texte, je serai tout à fait injuste avec la large proportion de Québécois qui réfléchissent, conçoivent ces questions, et de la sorte se comportent, tout à fait différemment de l’idéal-type grossier avec lequel j’aurai tendance à travailler.

[7] Ce registre des clichés se situe au croisement de l’inoubliable et cruellement actuel Dictionnaire des idées reçues de Flaubert et du genre d’idée-fixes, plus ou moins péjoratives, compilées et analysées dans Walas, T. (dir.), Stereotypes and Nations, Kraków, International Cultural Center, 1995. Dans ce texte, j’utilise le cliché comme ce qui structure une perception, balise les registres d’une description, mais manifeste un autre type d’efficace et d’emprise, dans l’adhésion à un comportement précis et l’élection d’un rôle et d’un éventail de postures.

[8] Si mon texte était un volcan, son éruption serait, malheureusement, et à l’évidence, du type hawaïen, la plus morne des éruptions, évoquant l’écoulement indolent d’une masse sirupeuse; le texte de Dubois, métaphorisé en volcan, serait très clairement caractérisé par une éruption explosive de type plinien ou vulcanien.

[9] Pour accomplir ce type de travail, comme Dubois a entrepris de le faire, il faut se tenir devant la profusion du superfétatoire, du négligeable, de l’anecdotique, du significatif et du pertinent, savoir les distinguer et savoir exploiter cette différence. Il y a ici une prise de risque dont il faut savoir gré à Dubois, un risque qu’à l’écrit, personnellement, je ne prendrais pas pour l’instant. Cela requiert un courage, et sans doute un talent, qui à l’évidence me font défaut. Notons enfin que ce défi de la généralisation pertinente n’est évidemment pas propre au sujet traité par Dubois : aucune harmonie préétablie ne procure de garantie de succès à l’exercice de l’induction.

[10] Quoi qu’il en soit de la vérité de ces énoncés, l’intensité de la certitude qui leur est associée désigne un ordre de problème propre, d’égale importance pour nous ici.

[11] Nous n’avons, en outre, pas affaire à une réalité fixe et immobile : en raison de l’évolution qu’ont connue les respectives infrastructures depuis 1960, ainsi que l’infrastructure même des relations France-Québec, la superstructure des relations France-Québec me semble s’être sensiblement modifiée au cours de cette dernières décennie (voilà la meilleure concession lexicale que je puisse faire à l’affection que porte Dubois aux « vrais théoriciens qu’avaient été Althusser et Poulantzas », dont il déplore amèrement la disparition et l’introuvable descendance! ). Dans ces termes-là, on pourrait comprendre mon propos comme une signalétique apposée au soi-disant retard de la super- sur l’infrastructure.

[12]  « For in this long digression which I was accidentally led into, as in all my digressions (one only excepted) there is a master-stroke of digressive skill, the merit of which has all along, I fear, been overlooked by my reader, -- not for want of penetration in him, -- but because 'tis an excellence seldom looked for, or expected indeed, in a digression ; and it is this : That tho' my digressions are all fair, as you observe, -- and that I fly off from what I am about, as far and as often too as any writer in Great-Britain ; yet I constantly take care to order affairs so, that my main business does not stand still in my absence. », « Digressions, incontestably, are the sun-shine;--they are the life, the soul of reading;--take them out of this book for instance,--you might as well take the book along with them […]. » et « All the dexterity is in the good cookery and management of them, so as to be not only for the advantage of the reader, but also of the author, whose distress, in this matter, is truely pitiable : For, if he begins a digression, from that moment, I observe, his whole work stands stock-still ; and if he goes on with his main work, then there is an end of his digression. This is vile work. For which reason, from the beginning of this, you see, I have constructed the main work and the adventitious parts of it with such intersections, and have so complicated and involved the digressive and progressive movements, one wheel within another, that the whole machine, in general, has been kept a-going ; and, what's more, it shall be kept a-going these forty years, if it pleases the fountain of health to bless me so long with life and good spirits. » Tristram Shandy, I, 22.

[13] Je dois confesser avoir eu de la difficulté à comprendre pourquoi Dubois n’a pas davantage exploité sa propre référence à l’architecte des incroyables Hundertwasserhaus et Fernwärme visibles à Vienne, un artiste qui a érigé l’accès à une fenêtre en exigence humaine fondamentale, qui a forgé, et mis en œuvre dans son propre travail, une critique radicale et inspirée de la ligne droite. Au lieu de quoi il cite et installe en exergue de l’un de ses chapitres, Hofmannsthal, lui emprunte  (p.112) peut-être, sans que cela ne me semble vraiment crédible considérant son propre style, sa critique de l’ubiquité de l’adjectif qualificatif en littérature et semble orienter sa propre démarche aux stricts antipodes de celle à laquelle confine la Lettre de Lord Chandos (1902, cette lettre confinant au silence le plus dense). Celle-ci, par sa rigueur extrême (et pathologique), évoquerait plutôt les propos contemporains de Adolf Loos sur l’ornement (voir son fameux « Ornement et crime » de 1908, dans Loos, Sarnitz, A., Köln, Taschen, 2003, où il est proféré et scandé que « L’absence d’ornement est un signe de force spirituelle »), et trouve un écho dans le rigorisme de la maxime ultime du Tractatus logico-philosophicus qu’un autre Viennois a fait paraître près de vingt ans après la Lettre. Aux antipodes de la retenue maniaco-dépressive de Hofmannsthal, Dubois a opté pour une radicale prolixité, elle-même déchaînée et décuplée par l’élection d’un principe de prolifération stylistique débridant et démultipliant. En outre, l’obsession de Hofmannsthal était de sublimer ou dépasser le « morcellement de ce monde », « les choses prises isolément », la « désintégration de ce qui forme ensemble l’homme supérieur », « l’atomisation »,  « l’ambiguïté et l’indétermination » (« caractères de notre époque ») par la « seule performance poétique indispensable : faire la synthèse du contenu de ce temps », « créer la cohésion entre les expériences vécues, l’harmonie supportable des phénomènes », cette communion poétique avec la totalité étant entendue comme une « expérience religieuse, peut-être la seule expérience religieuse ». Dubois ne dirait jamais, comme Hofmannsthal, que « composer des poèmes, c’est jeter sur soi le monde comme un manteau et se réchauffer ». Il est beaucoup trop mimétique avec son époque. En diamétrale opposition à Hofmannsthal, son esthétique en est une qui préconiserait plutôt une accélération de la « course folle » et du « tourbillon de l’existence », et certainement pas une esthétique du « repos » dans la contemplation d’une « vision » apaisante synthétisée et offerte par les nouveaux « prêtres » (voir, de Hofmannsthal, Lettre de Lord Chandos et autres textes, Paris, Poésie/Gallimard, 1992, notamment, p.75-111, « Le poète et l’époque présente »).

[14] « On porte, précise l’auteur, sur soi le même regard qu’on portait sur les Français […] » et, devrait-il ajouter, on porte sur soi le regard que semblaient y porter les Français, etc. Dans la mesure où l’auteur s’installe dans le régime complexe et réverbérant des multiples renvois prismatiques et kaléidoscopiques des filtres et réalités québécoises et françaises, je choisis d’inscrire son Histoire dans la tradition, remontant loin, passant par l’incontournable La France et nous de Robert Charbonneau, les précises et douloureuses remarques de André Laurendeau, les très précieuses réflexions de Jean Larose, des explorations de la relation Québec-France. Il va sans dire que certains des jugements que je porte sur le livre sont directement tributaires de cette option interprétative fondamentale.

[15] « Les archives de l’Éden », in Passions impunies, Paris Gallimard, 1997, p.268, un texte profond et brillant qui aurait très bien pu inspirer à Richard Rorty, et contribuer à justifier, sa (l’une de ses seules) dichotomie privé/public. Steiner complète cette judicieuse modération des horizons d’attentes avec la rhétorique interrogation : « Mais quelle autre méthode y a-t-il? Procède-t-on jamais autrement dans un inventaire ou une critique des valeurs? Le scrupule nécessaire est celui de l’auto-ironie, de l’espoir que son questionnement « indéfendable » ne provoquera pas tant cette fameuse réponse de F.R.Leavis, « Oui, mais », que cette instigation plus féconde encore à la compréhension, « Non, mais ». » L’auto-ironie s’exprime autrement chez Dubois, qui précise qu’il dépeint « à grands traits, de manière schématique mais globalement exacte » (p.31), que « tout ce qui précède est facile à vérifier pour tout le monde » (p.33), qu’il s’agit en fin de compte « de relire son histoire du point de vue de… Dieu! » (p.57, « Mais l’on se comprend », rassure-t-il, p.68 et d’ailleurs, « le reste importe bien peu », p.202). Au moins prévient-il avec lucidité : « Mais il faut dire ce qui est. Tout, ici, est vrai – et son contraire. » (p.137) En fait, ce type d’argument ad ignorantiam d’une part, n’aidera pas toujours et pas tout le monde à suivre ou comprendre, et, d’autre part, masque et aplanit souvent des querelles ouvertes, des débats dont l’auteur neutralise verbalement et par simple décret la vigueur et le potentiel de renouvellement de certaines de nos conceptions et « évidences ». Confirmant de manière éclatante les paradoxes et les périls de l’énonciation hyperbolique, Dubois cite avec approbation (et un curieux optimisme) « le copain Mahler : « Celui à qui le génie fait défaut n’a qu’à s’abstenir ». » (p.111), bref, « être génial, ou se fermer la gueule » (p.154) précise-t-il, à l’attention ébahie de ceux qui se demandent à quelle interprétation libre Dubois se raccroche pour éviter les létales conséquences d’une déclaration aussi insensée.

[16] Craignant sans aucun doute quelque persécution (des « nationaleux » comme il les appelle?) suite à sa sortie de caverne nationaliste québécoise, l’auteur s’abrite derrière le plus ésotérique art d’écrire, requérant du lecteur une herméneutique patiente, minutieuse et acrobatique, seule à même de percer les codes et serrures protégeant l’authentique message de Dubois sur le nationalisme, la nation québécois et la « dangereuse question nationale ». Dubois néglige les nuances et distinctions courantes (par exemple entre nationalisme et indépendantisme, pour n’en citer qu’une) et, pour un « post-nationaliste », mentionne un peu trop, avec assentiment ontologique, la « nation québécoise » ou son « pays », pour qu’on puisse s’y retrouver dans les dédales de sa compréhension de notre question et de notre situation nationales.

[17] Il n’est évidemment pas question ici de l’aliénation des Nègres blancs d’Amérique mais de celle, douloureuse et jubilatoire, à laquelle a très délibérément consenti l’auteur et dans laquelle il se complait parfaitement.

[18] Je remarque d’ailleurs que ces effets « relationnels » m’ont toujours semblé plus marquants au Québec qu’en France. Mais je crains que toute explication de ce phénomène ne se révèle du type long et fastidieux. En outre, l’évidence que cette théorie est trop simple, peut-être erronée, pourrait découler du fait de se rendre compte que les Français « révèlent des propriétés » bien comparables en interagissant avec quantité de Non-québécois. Il demeure que les Français permettent aux Québécois de révéler des aspects d’eux-mêmes qu’ils révèlent moins en d’autres circonstances. Il y a donc ici au moins deux curieuses asymétries.

[19] La réponse évidente à cette critique est que Dubois ne parle pas des relations au sein du couple France-Québec mais étudie et décrit les uns et les autres indépendamment, dans leurs milieux naturels respectifs. Mais l’auteur, en France, reste un Québécois. Et, observant le Québec, il le fait depuis une position consciemment francisée. Dans ce sens précis, ma critique s’applique.

[20] Qui peut énerver un Québécois autant qu’un Français? Même les obsessions mononationales de Eugene Forsey et les agressions verbales racistes de Don Cherry contrarient moins certains Québécois qu’un garçon de café parisien!

[21] « Le groupe acquiert une dimension surnaturelle. Les hommes qui le forment perdent le contrôle d’eux-mêmes. Maintenant, plus personne ne peut reculer, car ils ne sont plus dans l’humain mais dans l’interhumain… », traduction de Konstanty ‘Kot’ Jelenski (dans Gombrowicz, W., Théâtre, Paris, Gallimard Folio, 2001, p.332), légèrement différente de celle qu’on trouve dans le Journal (op.cit., p.605).

[22] Journal, p.485-486. Le mot qui pourrait induire en erreur ici est « imprévisible ». Le canevas de cette relation entre Québécois et Français est trop connu, les rapports qu’il autorise sont archi-prévisibles : les prédictions ne sont ni risquées, ni audacieuses.

[23] p.131 des Passions impunies qui ont suffoqué et scandalisé, et néanmoins modelé, Dubois.

[24] Il est délicat d’en appeler, depuis Paris, à l’écriture ou à la composition, sous quelque forme que ce soit, de notre Ferdydurke ou de notre Trans-Atlantique québécois. Il serait plus aisé de formuler un tel souhait ou une telle proposition de n’importe où ailleurs que de Paris, d’où toute proposition est toujours désagréable, trop impressionnante, trop déplacée ou insultante, d’une manière ou d’une autre inacceptable.

[25] Le grand mystère du patriotisme, comme du nationalisme : que les conduites les plus indignes, les plus politiquement immatures et les moins susceptibles de favoriser un progrès ou un bénéfice pour la nation trouvent régulièrement le moyen de s’en réclamer. L’anti-nationaliste, qui, en matière de confusions et d’indignité, n’a rien à apprendre du nationaliste, s’en sort au moins sans la contradiction : s’il nuit à quelque nation, il n’a pas le sentiment d’avoir échoué ou d’avoir erré; au contraire trouve-t-il généralement le moyen de s’en féliciter. La seule manière dont je réussis à comprendre la position de Dubois sur le nationalisme au Québec est qu’il reproche à certains nationalistes d’avoir utilisé leur intelligence à leurs propres dépens et aux dépens de leur nation, qui est celle de Dubois, d’où, après quelques décennies de patience, la fin de non-recevoir exprimée par Dubois. En d’autres termes, les critiques adressées par Dubois au nationalisme doivent être entendues comme participant d’une querelle de famille au sein du nationalisme, à l’intérieur de cette culture et de cette doctrine.

[26] Le « désamour » de Dubois (son désarroi devant notre « mollesse métaphysique congénitale », clef de « notre Avachissement historique devant l’Autre ») n’entretient-il pas finalement quelque affinité avec l’inquiétude qu’inspira à Fernand Dumont le soit-disant vide spirituel québécois?

[27] J’avoue, hic et nunc, ne pas trop savoir comment développer, encore moins démontrer, la validité d’une telle restriction, de sorte qu’elle reste parfaitement facultative et n’exprime peut-être qu’une excentrique autocensure ou une option personnelle quasi-esthétique.

[28] Auteur de l’exemplaire et du paradigmatique Fin-de-Siècle Vienna Politics and Culture (New-York, Vintage Books, 1981), qui manifeste simultanément le génie d’un auteur et celui d’une ville.

[29] Quand on dit « certains », on pense « quelques-uns et pas tous » mais on désigne au moins par hypothèse une masse critique, une quantité qui n’est pas négligeable, ni purement anecdotique, et mérite ainsi d’être mentionnée, un phénomène qui, quantitativement, revêt une certaine valeur. L’emploi de « certains » donne peut-être l’impression que l’on refuse de se mouiller, mais l’emploi de « les » comme dans « les Québécois » est tout simplement impossible, farfelu et intenable, voire désagréable.

[30] Il est impossible de statuer sur la vérité ou la véracité de la québécité du Québécois sans avoir préalablement statué sur l’être québécois, la quiddité de cette entité, ce à quoi l’on est supposé rester fidèle, ce que l’on doit extérioriser et porter haut. Cette acception du Québécois pose évidemment problème, sans que ces difficultés ne s’avèrent irrémédiables ou insolubles.

[31] De la bêtise, Paris, Éditions Allia, 2000, p.41.

[32] On aimerait penser qu’il est possible de contourner certains des pièges illocutoires inhérents à la formulation et à la proposition de ce type de schéma en évitant, pour commencer, le ton péremptoire.

[33] En outre, si le regard que jette sur le Québec une partie de la France a considérablement évolué ces derniers temps (ce qui signifie que la gamme des clichés s’est enrichie), cela n’est pas vrai de toutes les classes sociales et de toutes les castes culturelles de ce pays, pour la simple raison que certaines classes ou catégories sociales ont beaucoup moins que d’autres, voire pas du tout, pris part à la modification des rapports et des relations entre Français et Québécois.

[34] Remarques sur les relations franco-allemandes depuis 1945, Paris, Libella Maren Sell, 2008, p.80.

[35] p.87.

[36] supra, note 11.





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