Augmenter le texte Diminuer le texte

Le profane figé sur le seuil de la musique

Un texte de Michel Gonneville
Dossier : L'art et ses élites
Thèmes : Art, Culture, Musique, Société
Numéro : vol. 12 no. 1 Automne 2009 - Hiver 2010

« Bande d’ignares ! »

Assurancetourix

 


Le lecteur d’Argument fait probablement partie de ce segment (majoritaire) de la population à qui la « musique contemporaine » ne dit pas grand-chose. En bon intellectuel cependant, ce lecteur pourra se distinguer des autres par quelques bribes de connaissances : il a en mémoire quelques noms de compositeurs (Boulez, Stockhausen, Xénakis, Tremblay, Garant, Vivier) ; il a déjà entendu quelques minutes d’une pièce, voire une pièce entière (et bizarre…) à la radio ; il n’est pas impossible qu’il soit venu à au moins un concert de la Société de musique Contemporaine du Québec (smcq), du Nouvel Ensemble Moderne (nem), de l’Ensemble contemporain de Montréal (ecm+), voire à ceux des quatuors Molinari ou Bozzini, du Trio Fibonacci, des sociétés Codes d’accès ou Réseaux ou de groupes plus jeunes comme Transmission ; il sait que les noms des salles Claude-Champagne et Pierre-Mercure leur viennent de compositeurs québécois.

Réduisons l’échantillon et convenons que nous parlerons maintenant d’une personne qui souhaiterait sincèrement « être initiée à la musique contemporaine ». Manque de connaissances, impression d’incompétence, voire idées entendues ailleurs et sédimentées en soi, peuvent devenir pour ce novice autant d’obstacles à un contact gratifiant avec les propositions artistiques qui lui sont offertes dans cette région particulière de la musique. Et pourtant, d’emblée, il faut dire que, ici comme en d’autres arts, seul un contact répété avec ces propositions (les œuvres), avec des données biographiques, historiques ou analytiques susceptibles d’informer et de sensibiliser une écoute, pourraient à long terme mener cette personne à un certain « plaisir esthétique ». En cours de route, il lui faudra bien sûr affronter des notes de programmes absconses, des interprétations moins convaincantes ou des programmes de concerts en forme de salade plus ou moins bien harmonisée. S’il a un fond plutôt critique à l’égard des conditions sociales de représentations musicales, le novice de bonne volonté aura parfois du mal à accepter quelques conventions : ainsi, les œuvres parfois les plus radicales sont encore présentées dans des contextes qui semblent en porte-à-faux historiquement (formule du concert ou type d’instrumentarium hérités du xixe siècle bourgeois). Mais des conventions similaires prévalent au théâtre, dans la poésie, le roman, le cinéma, la danse, et les tentatives de renouveler ces contextes (multi- ou interdisciplinarité, pratiques moins conventionnelles) sont pour certains un facteur d’attraction et pour d’autres un repoussoir.

Y en aura pas d’facile : rien donc ne pourra remplacer l’effort personnel, l’oreille tendue à ce qui est offert, une disponibilité, et même, hopefully, une certaine dose de passion. Par où commencer ? Comme on s’en doute, là aussi pas de réponse toute faite : il n’y a pas de voie unique pour pénétrer dans ce domaine. Y aller selon ses goûts ; affronter aussi ce que l’on ne goûte pas ou qui dégoûte, voire, ce qui nous fait peur ; donner du temps (et de l’argent) pour cela… ; en parler avec d’autres ; se faire accompagner par des amis « experts » ; savoir reconnaître et dépasser ses préjugés ; savoir reconnaître les courants, des plus conventionnels aux plus extrêmes. Les passionnés feront cela de manière intensive, la plupart ne voudront ou ne pourront le faire qu’épisodiquement.

Mais quelle sera la limite à laquelle même la personne de la meilleure volonté se heurtera ? Inévitablement, tout au long de ce parcours initiatique, la question de la compétence refera surface, l’impression d’atteindre un seuil, de ne pas comprendre. Et c’est probablement en se colletant avec ce qu’il y a de plus spécifique à la musique, à ce que seule une oreille experte pourra percevoir, que la frustration naîtra.

La musique est un art du temps, entend-on souvent. C’est un temps contraint, c’est-à-dire que la « lecture » d’une œuvre ne peut le plus souvent se faire que par une audition complète, du début jusqu’à la fin, alors que l’œuvre littéraire, l’œuvre d’art visuel laisse libre de son temps celui qui entre en contact avec elle : s’y absorber trois minutes ou deux heures, lire plus loin ou revenir en arrière, regarder à gauche ou à droite, de plus proche et de loin… Si l’enregistrement permet une lecture moins linéaire d’une œuvre musicale, la situation de concert n’offre pas cette liberté. Ce n’est pourtant pas ce qui définit la spécificité de la musique, puisque la même chose se passe au cinéma, au théâtre, au spectacle de danse, qui sont aussi des arts du temps contraint. La spécificité de la musique loge ailleurs.

Malgré la fugacité du moment musical, beaucoup de ses instants peuvent être décrits et analysés en des mots accessibles à la plus grande partie de l’auditoire, soit avant l’audition, entre deux auditions ou même pendant ! Si ces instants peuvent devenir repérables, discriminables, et entrer dans le champ de la conscience perceptuelle aux côtés de données plus « extramusicales » (relatives par exemple à la posture esthétique d’un compositeur ou d’une œuvre, ou aux sources d’inspiration), toutes sortes de conséquences expérientielles pourront s’ensuivre : impression de compréhension, imaginaire se libérant et dont le flux pourra même alors se cristalliser sous la forme d’émotions rencontrant le « bloc de vécu » du récepteur. Par contre, le domaine des hauteurs, des notes, et de leur mise en temps restera souvent la frontière ultime, la région la plus mystérieuse de cet art. Elle en est aussi la plus spécifique. Même la musique électroacoustique, qui prétend parfois s’être libérée de cet empêchement lié aux moyens d’émission sonore traditionnels (voix, instruments joués), n’échappe pas à cette obsession : les notes (ou les structures fréquentielles à haute détermination) sont à la parole ce que les bruits (structures fréquentielles peu déterminées) sont aux modes moins raffinés de communication. Voilà donc un premier seuil d’incompétence auquel le novice sera confronté. Car l’éducation musicale n’est malheureusement pas assez généralisée pour que cette région d’accès très restreint soit fréquentée avec facilité par tout un chacun.

Un second seuil touche le rapport entre le conçu et le perçu. Il se pourrait que le compositeur, du profond de sa « cuisine », ait introduit dans ses œuvres des éléments qui soient imperceptibles par l’auditeur même le plus averti ou expert : proportions, agencements mathématiques, références ou autoréférences, etc. Le conçu et le réalisé dans une partition (le « génétique » et le « poïétique ») d’une part, et le perçu (l’« esthésique ») d’autre part, ne coïncident pas toujours. Lorsqu’il se soucie peu de la perceptibilité de ces éléments, on pourrait dire que le compositeur affiche un certain degré d’indifférence esthésique. Le non-savoir de l’auditeur a alors peu d’incidence ou d’importance. Malheureusement, si, dans une note de programme ou un commentaire parlé, le compositeur attire justement l’attention sur ces choses liminaires que seul un analyste pourra retrouver, il pourra effrayer le novice de bonne volonté et se l’aliéner pendant un bout de temps…

Ce sont là des considérations un peu abstraites. Pour être plus clair, j’ai tiré de trois de mes œuvres des instances où un auditeur pourrait se heurter à son seuil d’incompétence. (Les deux premières œuvres sont disponibles sur disque compact).

1) Chute/Parachute pour piano et sons fixés. Écoutons-en 2 minutes 45 secondes à partir du début. Vous entendrez facilement cette graduelle accalmie de la musique et, pour la première minute et demie, ces multiples mouvements mélodiques descendants (ne serait-ce que celui, au premier plan, du piano). Si je vous disais qu’il y a là un contrepoint à quatre couches dont l’organisation rythmique est structurée suivant des nombres impairs liés à la fonction qu’ont les notes dans un mode issu des harmoniques naturels et présenté selon différentes transpositions ; ou encore que les grands accents qui ponctuent ce processus font entendre les « toniques » de ces transpositions : Nous en aurions pour quelques heures de joyeuses explications techniques (la cuisine interne) dont vous ressortiriez probablement amer. Cependant, ces savantes constructions déterminent ce que vous entendez. Il est même possible que vous perceviez quelque chose des changements de modes soulignés par les grands accents, sans que vous puissiez les identifier comme tels : vous pourriez ainsi avoir une impression de brusque et bien réel changement de « couleur »…

La note de programme que j’ai rédigée pour cette première partie de Chute/Parachute est plutôt obscure : « Chute : Revivre la chute, s'écraser tout en bas, se sentir mourir. Pourtant, la musique tombe lentement... Y aurait-il un parachute dans la vie ? » mais elle fait très peu référence à l’aspect technique. Elle cherche plutôt à piquer l’imagination de l’auditeur, pour que cette dernière se livre plus librement à sa propre production d’images et de mots, nourrie par ce qu’elle entend…

L’analyste trouvera sûrement un plaisir accru dans l’audition de l’œuvre une fois dévoilée toute la cuisine évoquée plus haut. Voilà quelque chose d’autre à écouter pour lui ! Musica reservata pour l’expert ? Ce serait donc ça, « l’élite » : l’expert ? l’analyste ? Qui serait l’exégète averti d’une telle œuvre ? Mon ancien élève Nicolas Gilbert (excellent compositeur) verra son analyse de cette pièce publiée par la revue Circuit. Mais qu’y comprendrez-vous, vous, cher lecteur, pauvre « ignare »… ?

Il restera donc toujours à l’amateur, au non-expert des dimensions qui lui échapperont. Puis-je vraiment lui en vouloir ?

Digression. On croit (avec peu de preuves mais plusieurs évidences) que Bartòk et Debussy ont structuré plusieurs de leurs pièces suivant des proportions numériques respectant la Section d’or (entre autres, avec l’aide d’une suite de nombres dite « série de Fibonacci » dont deux termes contigus peuvent exprimer cette proportion – 0.618… – de façon d’autant plus précise qu’on avance dans la série : 0, 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55, 89, 144…). On sait que Stockhausen et plus près de nous Vivier se sont également servis de cette série. Contrairement à Stockhausen et Vivier, Debussy et Bartòk n’ont laissé aucune esquisse prouvant ce que certains musicologues ont pourtant trouvé !... Debussy n’aimait pas qu’on entre dans sa cuisine, semble-t-il… Je parlais plus haut d’« indifférence esthésique »… Il semble que les compositeurs plus récents, eux, aient voulu laisser quelques traces de leurs spéculations, payant peut-être ainsi leur tribut au « scientisme » de notre époque. Même chez Vivier…

Cela s’entend-il ? Qui y portera attention ? Pour ce faire, si ce n’est sur partition, il faudrait, en pleine audition, passer son temps à compter les secondes ou les mesures des différentes sections et à comparer ces totaux entre eux… Fétichisme du nombre, qui nous vient des Grecs, avec leurs beaux temples construits selon le nombre d’or ? Mais, le Temps se mesure-t-il, se perçoit-il comme l’Espace ? Et puis surtout : quel effet cela a-t-il vraiment sur l’auditeur ? De toute évidence, cela a un effet puisque la pièce, structurée autrement, n’aurait pas le même rythme formel.

Bien sûr, ce genre d’analyse du travail de conception, d’élaboration, de construction ne peut être effectué par n’importe qui. Il n’est pas non plus donné à n’importe qui de pouvoir jongler avec des termes et notions plus spécialisés comme des modes, des séries de hauteurs ou de nombres, des canons, des renversements, des rotations modales, des analyses spectrales, des algorithmes de composition, et autres notions musicales semblables. C’est le domaine du musicien et du compositeur. Je ne vous blâme donc pas, lecteur-auditeur non expert, d’être un peu méfiant à l’endroit de ce langage. Mais, si être de l’élite, c’est avoir accès à ce savoir particulier, « hermétique » pour la majorité, si c’est pouvoir se référer à des recettes de cuisine, si c’est être capable de gloser sur la technique, évidemment, vous êtes hors-jeu, cher lecteur…

2) Dans Île arc-en-ciel, pour voix et orgue microtonal préenregistré, il y a neuf « phrases » qui mènent à un climax. Si je vous en indique les débuts, marqués par le changement de la note aiguë de l’orgue, qui descend de phrase en phrase ; si je vous fais remarquer qu’à chaque phrase, la mélodie (oui, oui, il y a une mélodie, partagée entre l’orgue et la voix) monte un peu plus haut ; si je vous fais entendre l’alternance gauche-droite des notes de la basse, et aussi des notes aiguës, ces deux couches jouant cette alternance selon des rythmes complètement différents l’une de l’autre : cela vous intéressera-t-il ? Votre attention en sera-t-elle stimulée ? Garderez-vous aussi, malgré cette attention aux détails, le sens général de la pièce (pourtant assez simple : un grand crescendo doublé d’une montée de la voix vers l’aigu, le tout suivi d’une série de descentes vers le grave, en diminuendo) ? Si oui, tant mieux. Mais même là, à ce niveau de raffinement, il y a de fortes chances pour que certains détails techniques (l’organisation monomodale, la microtonalité) vous aient échappé, et donc, avec eux, certaines subtilités…

3) Vous faudrait-il un support visuel (comme dans Fantasia de Walt Disney…), pour que votre œil trouve la confirmation de ce que votre oreille entend mais que vous n’arrivez pas à nommer ?

La chose vaut la peine d’être contée : J’ai récemment composé une pièce basée sur la migration annuelle des papillons monarques entre le Québec et le Mexique. Saviez-vous que les papillons qui repartent du Québec vers le Mexique en novembre ne sont pas les mêmes que ceux qui sont montés du sud vers le nord après les mois d’hibernation ? En fait, ces papillons qui migrent vers le sud constituent la dernière des quatre générations qui se sont succédé depuis février. Cette quatrième génération, née au nord des États-Unis et au sud-est du Canada, va accomplir le voyage de 4 000 kilomètres sans l’avoir jamais fait auparavant. Exceptionnellement, cette génération voit sa maturité sexuelle retardée, ce qui lui permettra de vivre jusqu’à plus de six mois, au lieu des maigres deux mois de longévité des trois générations précédentes. Une fois arrivée au Mexique, elle hibernera dans les hautes montagnes du Michoacan, sortira de sa torpeur vers la fin février, s’envolera, se reproduira enfin et mourra, donnant naissance dans le sud des États-Unis à une nouvelle génération 1, qui engendrera la suivante, chacune montant peu à peu vers le nord, en suivant la progression de la croissance de l’unique plante sur laquelle cet insecte peut déposer ses œufs : l’asclépiade.

Inspiré par cet extraordinaire phénomène et par ce jeu de relais générationnel, j’ai conçu la forme de Relais papillons pour cinq instrumentistes. Celle-ci comprime sur dix minutes l’aventure d’une année, la succession des quatre générations, chacune étant « représentée » par deux instruments, avec chaque fois une courte superposition : 1ère génération : violoncelle et clarinette ; 2e : violon et flûte ; 3e : violoncelle et clarinette ; 4e : violon et piccolo. (Le piano, 5e instrument, accompagne et commente le processus). Dans la vie de la 4e génération s’insère une longue section évoquant la « migration », puis l’« hibernation », après laquelle cette 4e génération achève son cycle (accompagnée, en guise de coda, d’une petite allusion à une nouvelle génération 1).

Le concert où fut créée cette pièce était précédé de la diffusion d’un documentaire provenant de l’émission Découvertes sur ce phénomène de la migration des papillons monarques. Première mise en condition… mais surtout, ma pièce était accompagnée d’une vidéo de Yan Breuleux, très concrètement calquée sur la forme de la musique, montrant, de manière très inventive et fantaisiste, et cela pour chaque génération, la succession des états de l’insecte : œuf, chenille, chrysalide, papillon, accouplement (climax), ponte et mort. Quel plaisir de voir ce que l’on entend ! Aux dires de beaucoup d’auditeurs, c’était d’une clarté ! Vous y auriez été que vous vous seriez senti très « intelligent »…

Il y a pourtant là bien d’autres couches de « sens » qui vous auraient (avec raison, je ne vous blâme pas…) échappé. Ainsi, auriez-vous perçu que tout le matériel mélodique provenait de l’Étude opus 25 numéro 9 en Sol bémol majeur de Chopin (l’Étude dite « papillon », justement…) ? Auriez-vous perçu l’ingénieux travail modal que subissait ce « matériau », souvent consonant, presque tonal ? Auriez-vous perçu que la petite mélodie de six notes qui termine l’œuvre présentait les « toniques » des quatre générations, plus celle de l’hibernation et celle de la génération 1 suivante ?... Auriez-vous, comme moi, souri en songeant que c’est une musique européenne du xixe siècle (Chopin…) qui a servi de base à l’évocation de cette aventure « papillonnesque », la pièce devenant ainsi la métaphore de l’échange culturel transcontinental américain, entre des cultures qui ont assimilé et transcendé à leur façon l’héritage européen, alors qu’elles étaient pénétrées par la réalité du nouveau territoire et par les influences « sauvages » de ses premiers habitants ?

Ça y est : je vous ai perdu… Quel dommage… Effectivement, il y aura probablement toujours de grands pans de la subtilité de mon « art » (de mon travail) qui vous échapperont, sur le plan du matériau comme sur celui de l’exégèse toute personnelle que j’en fais… Frustrant, non ?

On peut toujours souhaiter qu’un compositeur sache doser dans chacune de ses œuvres ce qui plaira à l’expert et ce qui emportera l’adhésion d’un auditeur non expert. On jouit de cet équilibre chez Shakespeare, Cervantès, Goethe et d’autres. Est-ce toujours à une élite que je pense en composant ? J’essaie pourtant de rendre évidentes certaines choses (pas toutes !) pour que la plupart des auditeurs ait quelque plaisir de suivre la pièce dans le temps, non par facilité ou compromis, mais parce que, comme auditeur de ma propre pièce, cela me plaît ainsi.

Ma production n’a pas le radicalisme esthétique d’un John Cage. Pour la goûter, on peut même s’accrocher à des notions traditionnelles comme la mélodie, l’harmonie, voire le thème (cette entité mélodico-rythmique répétée avec des variations plus ou moins sophistiquées), même si ces notions sont subtilement renouvelées, détournées et la syntaxe, réinventée…

Tout cela est déjà trop pour vous ? Laissant vos perceptions dans un flou, refusez-vous d’« analyser » la musique ? Avez-vous, comme beaucoup, peur que cette analyse tue à jamais votre innocence musicale, votre jouissance ou le « mystère » de la musique ? Et pourtant, l’effort analytique, on peut le déployer ou le cesser à la demande. Une petite analyse n’a jamais tué personne : c’est une tension, une attention que l’on peut vite relâcher, pour revenir à une approche plus globale, ou « énergétique », censément plus près de « l’émotion »... Mais ce qu’on tire de l’analyse peut faire partie du plaisir, peut même l’accroître… Ou bien, c’est que vous n’aimez pas que l’on parle de plaisir…

— Le monde est trop cruel pour que la fonction de l’art ne se résume qu’à cela, me dirait le censeur. Il doit y avoir de la provocation, de la critique dans une œuvre, même et peut-être surtout en musique, art particulièrement bourgeois… Quel plaisir tire-t-on en effet d’un texte de Heiner Müller ou de Thomas Bernhardt, d’un poème de Gerasimo Luca, d’une œuvre de Joseph Beuys ou de Jan Fabre ? Voilà des œuvres-cris faites pour nous réveiller ! Et il faudrait encore se concentrer sur des notes, sur des harmonies ? Vous rigolez ! Ce sont là des considérations d’esthètes d’un autre âge…

Ce qui était encore il n’y a pas si longtemps de la provocation est devenu aujourd’hui seconde nature, classique ( !), voire académisme. Il y a peut-être déjà assez de provocation dans la simple volonté d’être soi-même, dans l’affirmation devant les autres de son espace de liberté, dans la personnalisation de ses moyens, dans le face-à-face que chaque œuvre d’art ainsi produite exige pour elle-même.

Comme si l’essence de l’art n’était pas dans la manière plutôt que dans le thème traité… Nihil novi sub sole, dit l’Ecclésiaste… D’accord, mais ce qui a déjà été dit l’a-t-il été ainsi, de cette manière ?...

Écoutez. Réécoutez. Encore. Encore une fois. Ce n’est pas assez : recommencez.

C’est ça… : entrez !

Qui chante et joue là ? Et comment ?

 

« Ça ne manque pas de qualités… » (Assurancetourix)



Michel Gonneville*

 

NOTES

* Michel Gonneville est compositeur. En 30 ans de carrière, il a écrit pour plusieurs solistes, groupes, ensembles locaux et internationaux. Sa musique est à la confluence du modernisme et du postmodernisme, de la sophistication et de l'immédiateté. Il a collaboré avec des artistes visuels et des chorégraphes et s'est également investi dans plusieurs activités concernant la musique de création (organisation et coordination d'événements, comités artistiques, articles, jurys). Depuis 1997, il enseigne la composition et l'analyse au Conservatoire de musique de Montréal, où il est un pédagogue apprécié.

 

 


Téléchargement PDF

Retour en haut

LISTE D'ENVOI

En kiosque

vol. 25 no. 2
Printemps-Été 2023

Trouver UN TEXTE

» Par auteur
» Par thème
» Par numéro
» Par dossier
Favoris et partager

Articles les plus lus


» trouvez un article