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La polysémie de l’empire

Un texte de Céline Lafontaine
Dossier : Autour d'un livre: L'empire cybernétique. Des machines à penser à la pensée machine, de Céline Lafontaine
Thèmes : Science, Société, Technologie
Numéro : Vol. 7 no. 2 Printemps-été 2005

À lire les comptes rendus, les critiques et les articles consacrés à L’empire cybernétique depuis sa parution, j’ai parfois l’impression de ne pas être l’auteure de ce livre tant certains commentaires me semblent éloignés de mon projet initial. Il faut dire que cette polysémie est attribuable, en partie, à la très grande hétérogénéité du lectorat. J’ose croire en effet que très peu d’ouvrages en sciences humaines suscitent des réactions tant chez des philosophes, des sociologues, des artistes et des écologistes, que chez des spécialistes en sciences cognitives, des experts en stratégie militaire, des spécialistes en gestion, des informaticiens, des biologistes, etc. Si la diversité des commentaires et des interprétations n’est pas étrangère à la nature polymorphe de mon essai, je ne peux néanmoins m’empêcher de constater que l’étendue des réactions confirme ma thèse sur le caractère englobant du paradigme cybernétique. N’empêche qu’à lire et à entendre tout et son contraire sur un livre, l’auteure a parfois envie de rappeler très simplement les limites et les intentions initiales de son travail. Je remercie donc la revue Argument de m’offrir l’occasion d’apporter quelques éclaircissements dans le cadre de ce débat.

            C’est avec intérêt et étonnement que j’ai lu les commentaires critiques de Charles Bellerose, Mario Dufour et Sébastien Mussi. Tout d’abord parce que j’avais le sentiment d’en apprendre plus sur leur propre allégeance intellectuelle que sur mon ouvrage. Il est vrai que la critique suppose une prise de position et par le fait même une lourde implication subjective, mais c’est tout de même fascinant de constater à quel point la perspective théorique du lecteur façonne la réception d’un ouvrage. Ne serait-ce que pour la constatation de cette évidence, je suis très reconnaissante aux trois auteurs de s’être prêtés au jeu de la critique. Voilà donc pour l’intérêt de l’exercice. C’est toutefois avec grand étonnement que j’ai constaté qu’aucun des trois commentateurs n’a discuté de la thèse principale du livre, à savoir l’influence déterminante du paradigme cybernétique dans le développement des principaux mouvements intellectuels et scientifiques depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Là se situe pourtant l’enjeu principal de mon ouvrage qui vise à démontrer la prégnance du modèle informationnel sur notre monde, notamment en ce qui à trait aux représentations de l’être humain et de la subjectivité. Loin de s’attaquer directement à cette thèse, les trois auteurs se sont plutôt attachés à critiquer et à analyser, de manière parfois contradictoire, mes présupposés théoriques et mes positions critiques. Tout se passe en fait comme si les prémisses du débat reposaient sur une preuve indiscutable. Pourtant, loin d’être évidente, la thèse fondamentale de mon livre s’appuie sur un travail de relecture historique et théorique qui n’avait jamais, à ma connaissance, été abordé de façon aussi systématique jusque-là, du moins en ce qui concerne les sciences humaines[1]. Autrement dit, l’approche critique adoptée par les trois auteurs suppose la reconnaissance du bien-fondé de ma démonstration. Non seulement ce consensus vient renforcer ma thèse, mais il m’apporte de plus le sentiment d’avoir contribué de manière objective à la connaissance et à la compréhension du paradigme informationnel. Je me réjouis donc que l’objectif premier de mon travail soit reconnu sans soulever de véritable objection. Cela dit, je ne peux toutefois pas nier que, tant dans sa forme que dans son contenu interprétatif, L’empire est à mille lieux de la neutralité académique et, pour cette raison, mes commentateurs sont en droit de questionner ma perspective critique. D’autant plus que la réception hautement polysémique de mon ouvrage m’oblige à admettre le caractère passablement ambigu de certaines de mes positions, tout particulièrement en ce qui concerne la question de l’humanisme.

            Avant d’entrer dans le vif du sujet, je ne peux m’empêcher de répondre à Mario Dufour, qui qualifie ma position de radicale et même de « proche du pamphlet », que si ma perspective est aussi unilatérale qu’il le laisse entendre, comment se fait-il alors que certains la perçoivent comme une défense en règle de l’humanisme classique alors que d’autres y voient l’affirmation des valeurs postmodernes? Une prise de position réellement radicale ne laisserait aucune place à l’équivoque, ce qui est loin d’être le cas ici. Au contraire, je constate que mon point de vue demeure trop peu explicite, d’où une certaine confusion. Ainsi, si je ne reconnais pas ma démarche dans le radicalisme dont certains tentent de l’affubler, j’admets toutefois une certaine ambiguïté de ma part. Sans l’estomper complètement, j’entends donc profiter du débat pour amoindrir cette équivoque.

            L’étendue des questions soulevées par les trois commentateurs dépasse très largement le cadre d’un simple débat d’idée. Il est un peu frustrant de ne pouvoir répondre en profondeur à leurs objections, mais je vais néanmoins tenter de leur donner la réplique de manière la plus systématique possible en abordant chacun des trois textes l’un à la suite de l’autre.

            Mes premières remarques s’adressent à Charles Bellerose qui d’entrée de jeu présente L’empire comme « la défaite de la critique ». Non seulement cette formule à l’emporte-pièce m’amène à penser qu’il accorde sans doute une trop grande importance à mon ouvrage, mais surtout qu’il se trompe sérieusement sur mes intentions intellectuelles. N’est-t-il pas un peu abusif de me faire porter le lourd fardeau de cette hypothétique défaite de la pensée critique? D’autant plus que mon ouvrage n’a aucunement la prétention de contribuer au développement d’une théorie critique à proprement parler. Je serai donc très claire sur ce point afin de dissiper tout malentendu. L’empire cybernétique n’est pas un ouvrage de théorie critique! Son ambition n’est autre que de démonter les multiples ramifications paradigmatiques de la cybernétique et de son modèle informationnel. Ce n’est donc pas un « refus » de ma part, si l’on ne trouve pas une position critique externe au paradigme dans le livre, mais bien les limites inhérentes à ce type de démonstration synthétique. Avant d’élaborer une théorie critique digne de ce nom, il me semble qu’il faille tout d’abord prendre la mesure du phénomène observé. En ce sens, le reproche est plutôt flatteur, parce qu’il tient pour acquises les bases de mon analyse sans même souligner l’originalité, du point de vue historique, de certaines de mes relectures. Comme je l’ai signalé en introduction, là se situe pourtant la véritable contribution intellectuelle de L’empire.

            En ce qui concerne ma « perspective critique », la lecture de Charles Bellerose est fort discutable. Tout d’abord, il semble confondre une mise en contexte impressionniste avec une description proprement dite, ce qu’il l’amène à affirmer que « l’empire débute par une description sans équivoque de la société contemporaine ». En tant que professeure de sociologie, je ne peux qu’être surprise qu’on assimile un exercice de style à une description sociologique.

            Sans aborder pour l’instant la question de l’humanisme qui est, je dois bien l’avouer, le point sensible de mon livre, il est essentiel de préciser que le modèle à partir duquel j’analyse les représentations cybernétiques de la subjectivité n’est ni plus ni moins qu’un idéaltype, mon but étant de démontrer l’écart entre deux façons globales de penser et de concevoir l’être humain, le lien social et la subjectivité. En montrant comment la cybernétique s’est imposée comme horizon de pensée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, j’ai voulu rendre compte d’une rupture paradigmatique qui remet en question les fondements de la modernité politique. Certains des commentaires de Charles Bellerose m’amènent à penser qu’il n’a pas pris toute la mesure de la thèse que je défends.  Je m’étonne encore une fois qu’il ne saisisse pas que le « nouvel humanisme » auquel il fait référence, ainsi que les nombreux mouvements sociaux qui mettent de l’avant une vision réticulaire du social, sont directement issus du paradigme cybernétique. J’ai pourtant longuement traité de cette question dans mon livre. Le problème, à mon sens, vient du fait qu’il confond l’humanisme comme idéaltype de la subjectivité moderne avec tout projet d’émancipation. Tel que je l’ai conceptualisé, l’antihumanisme correspond simplement à la remise en cause de la conception moderne du sujet. En ce sens, les courants auxquels il fait allusion participent de ce mouvement de déconstruction. Alors qu’il me reproche une « indifférenciation des catégories d’analyse », il ne semble pas lui-même faire de distinction entre humanisme et émancipation. Pourtant, et cela est très clairement expliqué dans le livre, la cybernétique participe d’un projet d’émancipation et de transparence. La nouvelle Renaissance et le nouvel humanisme dont elle se réclame, dès ses premiers balbutiements, constituent toutefois un renversement complet des principes fondamentaux de l’humanisme classique. Au-delà des présupposés critiques, il s’agit d’un phénomène sociologique qui mérite d’être compris et analysé. Que plusieurs grands courants théoriques contemporains inscrivent leur projet d’émancipation au cœur du paradigme informationnel, voilà bien un phénomène que j’ai voulu démontrer dans L’empire. Il ne s’agissait toutefois pas de rejeter en bloc les multiples ramifications de ce paradigme, mais bien d’en mesurer toute l’ampleur et la portée.

            Il est vrai que l’antihumanisme du modèle cybernétique a davantage été reçu et revendiqué comme tel par les intellectuels français (Lévi-Strauss, Lacan, Derrida, Deleuze et Guattari) qui percevaient la radicalité de la rupture avec l’héritage moderne. Aux États-Unis, par contre, la cybernétique a dès ses origines été conçue comme un projet positif d’émancipation[2]. De Bateson à l’interactionnisme symbolique, en passant par l’analyse des réseaux sociaux et la nouvelle sociologie de la science, les courants auxquels se réfère Charles Bellerose s’inscrivent résolument dans le projet d’émancipation issu du modèle informationnel.

            Que le rejet du « dispositif institutionnel moderne » par ces courants apparaisse comme une évidence (là-dessus, je suis bien d’accord),  cela n’autorise en rien que l’on fasse l’économie d’une analyse critique des nouveaux modèles d’émancipation hérités du paradigme informationnel. Ce refus de la part d’une certaine gauche de « déconstruire la déconstruction », d’analyser ses propres présupposés théoriques et paradigmatiques, voilà bien ce qui, à mes yeux, représente une véritable menace pour la  pensée critique. On le voit bien chez certains militants du cyborg et de la cyberculture, portés notamment par les thèses de Michael Hart et d’Antonio Negri, qui défendent un projet d’émancipation qui va très précisément dans le sens de l’Empire qu’ils entendent dénoncer.

            Sur la question de l’indifférenciation des catégories d’analyse qui, selon Bellerose, contribue à la défaite de la pensée critique dont mon ouvrage serait l’emblème, je me dois d’apporter quelques clarifications. Il est vrai que la première partie de mon livre traite de l’influence du paradigme cybernétique sur les courants de pensées en sciences humaines, alors que la dernière porte sur les conséquences de l’importation du modèle informationnel dans le développement de la biologie moléculaire et du génie génétique. L’impact théorique et épistémologique du paradigme informationnel est sans nul doute bien différent en sciences humaines de ce qu’il est en biologie et, en ce sens, certaines précisions méthodologiques auraient pu être apportées.

            En affirmant que j’identifie « théorie et réalité, fiction et science, modèle et réel », Charles Bellerose démontre, une fois de plus, que l’enjeu principal de mon livre lui échappe. En laissant croire que ma démonstration procède d’une indifférenciation des catégories d’analyse, il semble oublier que ces mêmes catégories sont inopérantes à l’intérieur du paradigme. Voilà bien une problématique qui dépasse le simple discours critique et qui mérite d’être comprise dans toute sa complexité. Heureusement, la nouvelle sociologie de la science prend toute la mesure de cette indifférenciation, et les travaux récents sur les biotechnologies et les nanotechnologies montrent à quel point les catégories analytiques traditionnelles ne permettent pas de comprendre la particularité historique du paradigme informationnel[3]. Vu de l’extérieur, l’intérêt accordé aux lubies de Raël peut bien faire sourire et permettre de jeter un discrédit commode sur ma thèse, il n’empêche qu’une telle attitude intellectuelle ne permettra jamais de comprendre pourquoi un discours aussi absurde trouve des échos auprès de scientifiques et d’universitaires, voire jusque chez certains récipiendaires de prix Nobel. Ainsi, une véritable critique du paradigme informationnel ne peut pas faire l’économie d’une prise en compte de la logique interne d’indifférenciation qui le caractérise, à défaut de quoi les présupposés sur lesquels reposent les nouveaux modèles d’émancipation risquent d’échapper complètement à ses défenseurs, ce qui représente véritablement, à mes yeux, une menace pour la « pensée critique ».

            En mettant l’accent sur la question de l’humanisme, les commentaires de Mario Dufour et de Sébastien Mussi pointent du doigt l’aspect le plus problématique de mon livre. Le manque de précision à ce sujet autorise en effet une multitude d’interprétations, souvent contradictoires, comme en témoignent leurs deux textes. D’un côté, on me reproche de basculer dans l’antihumanisme, et de l’autre, on perçoit ma position comme une défense en règle de l’humanisme classique. Je constate donc que les quelques passages du livre où j’explicite ma position n’ont pas suffi à dissiper les malentendus. Il faut dire, à ma décharge, que tout un chapitre de ma thèse Cybernétique et sciences humaines. Aux origines d’une représentation informationnelle du sujet, portait précisément sur l’humanisme comme idéaltype du sujet moderne. Malheureusement, pour des raisons éditoriales, je n’ai pas cru bon de reproduire ce chapitre d’ordre épistémologique et méthodologique dans L’empire. Les nombreux commentaires sur cette question m’ont d’ailleurs convaincu qu’il me faut poursuivre ma réflexion en ce sens. 

            Je ne m’attarderai pas trop sur les commentaires critiques de Mario Dufour quant à la forme et à la démarche méthodologique propre à L’empire. Non seulement je crois avoir pris les précautions suffisantes pour prévenir les lecteurs du réductionnisme inhérent à ce type d’entreprise intellectuelle, mais les reproches quant à la forme systématique de mon essai me semblent complètement infondés, puisqu’ils pourraient s’appliquer à tout travail de synthèse. Qualifier ma démarche « d’antihumaniste » sous prétexte qu’elle ne rend pas compte de la subjectivité des auteurs a de quoi étonner. Un auteur étant nécessairement un témoin de son temps, il est normal de percevoir dans son œuvre les tendances dominantes de son époques. Bref, je n’irai pas plus loin sur ce point, tant ce type de remarque me semble peu fondé. En revanche, toutefois, je me dois de répondre, dans la mesure du possible, aux questions de Mario Dufour quant à l’imprécision de ma définition de l’humanisme. En tant qu’idéaltype du sujet moderne, l’humanisme tel que je l’entends procède d’un large découpage socio-historique qui recoupe à la fois le sujet augustinien, le sujet cartésien, le sujet kantien et le sujet freudien, dans la mesure où chacun participe d’une représentation de la subjectivité axée sur l’autonomie et l’intériorité, même si la conceptualisation est fort différente. Pour bien faire comprendre le caractère idéaltypique de mon modèle, je ne peux que renvoyer au premier chapitre de ma thèse de doctorat[4].

            Même si ses commentaires m’apparaissent en grande partie pertinents, Mario Dufour semble perdre de vue que ma démonstration se situe au niveau des différentes représentations du sujet issues du paradigme cybernétique et que je n’aborde pas directement les questions de nature philosophique qui le préoccupent. Cela l’amène à une mésinterprétation de mes positions concernant, entre autres, les avancées du génie génétique. Pour les mêmes raisons, sans doute, qui le conduisent à percevoir mon travail comme « radical et courageux », Mario Dufour tire des conclusions hâtives et fort peu nuancées de mes propos. Ainsi, reprenant un passage sur la sélection embryonnaire et sur le principe de symétrie démocratique, il en conclut que je conçois nécessairement les avancées de la technoscience comme une menace. Directement repris d’Habermas, le passage sur la sélection embryonnaire vise simplement à montrer la profondeur des questions auxquelles l’on doit désormais faire face en matière d’éthique[5]. Dire que la sélection embryonnaire touche au principe de symétrie démocratique n’équivaut pas à rejeter en bloc toutes ses applications, mais à prendre la mesure des bouleversements philosophiques et culturels qu’elle suppose.

            La question de la technoscience est au cœur de l’argumentaire de Sébastien Mussi qui semble me reprocher de défendre une position humaniste classique dont, il faut bien le rappeler, le projet de maîtrise et de contrôle propre à la science moderne est issu. Qu’il se rassure. Je n’ai nullement l’intention de réanimer le mythe d’un sujet tout puissant et  transparent à lui-même et, bien au contraire, je suis convaincue qu’une véritable critique du paradigme cybernétique passe par un examen critique de l’héritage moderne. Je sors quelque peu des cadres de L’empire, mais j’ai voulu montrer que l’un des enjeux majeurs de la rupture paradigmatique en cours est très précisément la redéfinition des frontières humain/machine, vivant/non-vivant. Pour sortir du dualisme cartésien corps/esprit qui traverse toute la modernité et qui, en un sens, aboutit à la logique cybernétique, je crois qu’il faille repenser l’humanisme sur la base d’un dualisme vivant/non-vivant. Je pense en fait que la réponse au paradigme cybernétique se trouve du côté d’une phénoménologie du vivant, mais c’est là une simple intuition que je n’ai pas encore eu le temps de développer. 

            Si je partage avec Mussi la critique de l’humanisme classique, je rejette toutefois sa perspective philosophique qui, dans la tradition heideggerienne, donne au destin technique de l’homme un statut ontologique. Je comprends d’ailleurs mal pour quelle raison Mussi expose, de façon un peu scolaire, la thèse de Hans Jonas dont, soit dit en pensant, je ne me sens pas très éloignée. D’autant plus que le rapprochement entre Jonas et Peter Sloterdijk est pour le moins questionnable. Je ne reviendrai pas ici sur la posture philosophique de Sloterdijk qui participe de la logique cybernétique. Je me contenterai plutôt de préciser que l’ontologisation de la technique que je perçois chez Mussi représente, à mon sens, l’un des principaux points d’aveuglement de la pensée contemporaine. Voir la technique comme la matrice du devenir humain, c’est participer à la logique de l’inéluctable. Si la technique représente une constante anthropologique, elle n’est en rien le propre de l’homme, encore moins son destin qui, heureusement, est toujours indéterminé. Sur cette question, les travaux récents en éthologie et les analyses sociologiques d’Alain Gras montrent bien qu’il s’agit là d’un des plus grands mythes de la modernité[6].

            Me voilà bien loin de l’analyse de la cybernétique et de ses retombées. Il faut dire que la rupture paradigmatique dont elle procède soulève des questions qu’on commence à peine à pouvoir formuler. Finalement, la polysémie à laquelle donne lieu la lecture de L’empire reflète la profonde difficulté de penser le phénomène dans sa globalité, tant ses implications nous sont encore inconnues. Il ne s’agit que d’un simple constat; tout le travail d’analyse et de critique reste à faire, et je remercie mes trois commentateurs de m’avoir montré l’ampleur de cette tâche qui, à la fois, me dépasse et me passionne.



Céline Lafontaine*

 

NOTES


* Céline Lafontaine est professeure au Département de sociologie de l’Université de Montréal.

1. À ce sujet, je m’en voudrais de passer sous silence l’impressionnant ouvrage de Jérôme Segal, Le zéro et le un. Histoire de la notion scientifique d’information au 20e siècle, paru aux éditions Syllepse (Paris) en novembre 2003.

2. J’ai tenté de faire le point sur cette question dans « Les racines américaines de la French Theory » (Esprit, no 311, 2005, p. 94-104).

3. Cf. N. Katherine Hayles (dir.), Nanoculture. Implications of the New Technoscience, Bristol (uk), Intellect Books, 2004.

4. Cybernétique et sciences humaines. Aux origines d’une représentation informationnelle du sujet, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Université de Montréal, 2001.

5. Cf. Jürgen Habermas, L’avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral?, trad. C. Bouchindhomme, Paris, Gallimard, 2002.

6. Cf. Alain Gras, Fragilité de la puissance. Se libérer de l’emprise technologique, Paris, Fayard, 2003; et Dominique Lestel, Les origines animales de la culture, Paris, Flammarion, 2001.



 


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