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Présentation du dossier L'antiaméricanisme québécois

Un texte de Jean-Philippe Warren
Dossier : L'antiaméricanisme québécois
Thèmes : États-Unis, Politique, Québec
Numéro : Vol. 7 no. 2 Printemps-été 2005

L’Amérique? L’Amérique?!?



Il est facile de recueillir des citations qui témoignent de la profonde inquiétude, pour dire le moins, suscitée au Québec par la redéfinition de la politique étrangère américaine sous la présente administration républicaine. Plusieurs intellectuels en viennent à regretter l’impérialisme soft des années Clinton : profitant d’une conjoncture économique aussi artificielle que favorable, et déployant leurs forces militaires dans des territoires chauds aussi peu stratégiques que la Somalie ou la Croatie, les États-Unis avaient fait des multinationales et des corporations géantes leur fer de lance tout en pouvant prétendre collaborer à l’établissement d’un nouvel ordre mondial plus juste et plus humain. La disparité entre pays pauvres et pays riches n’avait cessé de croître, mais on se consolait en se disant que la société civile était, fondamentalement, en lutte contre elle-même : les personnes morales étaient dressées contre la moralité des personnes.

            La mise en accusation de l’Amérique a pris à l’évidence un nouveau souffle depuis 2001. Le nombre de livres écrits sur le crétinisme et l’autoritarisme du leader du monde libre atteint à chaque mois des sommets historiques. Au Québec, on n’hésite plus, en certains milieux, à amalgamer la figure de George W. Bush et celle d’Adolf Hitler. Propagande, unilatéralisme, culte du chef, société de masse, « novlangue » et tutti quanti, voilà autant de signes qui annonceraient la transformation de la terre de la liberté en terre de la désolation fasciste.

            Il a semblé à l’équipe d’Argument que le débat était mal amorcé. À force de démoniser les États-Unis, l’on finit par oublier que ce pays forme une réalité complexe et, qui plus est, une réalité qui repose sur une histoire dont on ne saurait oblitérer ni les horreurs (esclavage, massacres des peuples autochtones, velléités d’impérialisme dès la fin du xixe siècle, etc.) ni les gloires (accueil des immigrants, victoire contre l’hitlérisme, progrès de la science, etc.). Il n’est pas facile de répondre à la question « Qu’est-ce que l’Amérique? ». Elle est la terre du fast-food et du plus extrême végétalisme, du gaspillage éhonté des ressources et des groupes écologiques radicaux, d’une industrie pharmaceutique florissante et d’une aussi florissante industrie de produits naturels, d’un froid athéisme et des plus étranges mouvements spirituels californiens, du capitalisme de Wall Street et d’un communautarisme qui empreint de part en part la société civile, etc. Qu’est-ce que l’Amérique? C’est d’abord une terre de contrastes.

            Le fait que l’Amérique soit une terre de contrastes rend d’autant plus difficile à comprendre les jugements à l’emporte-pièce qui, au Québec, continuent encore à être portés sur elle. C’est ainsi que, dans le dossier que l’on va lire, Christian Rioux tente de comprendre pourquoi les massacres commis par des despotes, dont est malheureusement encore peuplée la planète, ne soulèvent pas les mêmes tollés que lorsqu’il s’agit de juger des actions commises par George W. Bush. Jocelyn Coulon, lui, en décrivant le passage d’un soft power à un hard power, ou d’une politique de la collaboration à une politique unilatérale, nous rappelle quelques-unes des causes qui suscitent une méfiance accrue envers les États-Unis dans le monde. Jean-Frédéric Légaré-Tremblay explique pour sa part, entre autres, comment l’antiaméricanisme reflète d’abord, chez les Québécois francophones, une méfiance envers toute participation aux guerres étrangères, celles-ci seraient-elles justifiées, comme dans le cas de la Seconde Guerre mondiale, par les arguments les plus implacables. Francis Dupuis-Déri démontre que si l’Amérique est porteuse de valeurs positives pour la gauche, alors c’est moins un sentiment antiaméricain qui devrait animer les militants, qu’un sentiment alteraméricain, sentiment qui puisse partir de ce que l’Amérique a de mieux à offrir au monde pour en dénoncer, dans une posture assez semblable à celle de Martin Luther King, les déviations. Enfin, Louis Balthazar nous rappelle que nous sommes — nous, Québécois — américains, au sens où nous sommes américanisés, quoiqu’en disent les naïfs ou les hypocrites, et que le monde des Américains est notre monde. 

            Ce dossier sur l’antiaméricanisme nous rappelle quelques vérités essentielles à l’heure où un nouvel ordre mondial, annoncé sans grande conviction dans les années 1990, est en train, froidement, de prendre place. Contre une politique définie par sa lutte contre un soit disant axe du mal, la logique du manichéisme est très certainement la pire.

Jean-Philippe Warren



 

 


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