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La toute-puissance des images. La création contemporaine face aux nouvelles images :technologie, publicité et réalité virtuelle

Un texte de Marie-Noëlle Ryan
Dossier : Esthétique
Thèmes : Revue d'idées, Esthétique
Numéro : vol. 6 no. 1 Automne 2003 - Hiver 2004

Les développements technologiques en matière de représentation de la réalité et de manipulation des images ont atteint aujourd’hui un tel niveau de perfectionnement et exercent une séduction si spectaculaire, que l’on est en droit de se demander quelle place et quel intérêt peuvent encore avoir, dans un tel contexte, ce qu’on pourrait appeler les “ images artistiques ”, plus artisanales ou conventionnelles (peinture, photographie, cinéma). La question se pose aujourd’hui tant du point de vue de la création artistique que de son public. Ce qu’on pourrait appeler les “ nouvelles images ” exercent en effet un tel pouvoir sur la perception commune — et ce dans tous les domaines de l’existence —, que l’on est en droit de craindre qu’elles finissent par annuler tout autre effet esthétique et rendre caduques les formes traditionnelles de la création artistique (la peinture, évidemment, mais aussi le cinéma d’auteur, la vidéo et la photographie). Les effets spectaculaires — qui sont devenus aujourd’hui un jeu d’enfant — dus notamment à l’infinité des manipulations possibles par les logiciels de traitement de l’image, à l’intensité inégalée des couleurs, à la précision et la rapidité du montage, voire encore, plus simplement, aux formats gigantesques des panneaux publicitaires ou des écrans de cinéma (format monumental souvent repris d’ailleurs dans les installations vidéo en art contemporain), tout cela contribue sans aucun doute à fortement émousser les facultés perceptives et à moduler en profondeur le goût commun.

Dans un tel contexte, il convient de se demander comment la création contemporaine peut encore s’affirmer devant la force et l’omniprésence de ces images et de ces dispositifs. Comment peut-elle prétendre avoir un effet plus profond sur son public que les images médiatiques conçues en vue d’une consommation de plus en plus intense et rapide (par exemple, le cinéma d’auteur à petit budget, face aux “ block-busters ” hautement technologiques)? Comment les images artistiques se distinguent-elles des autres formes de communication “ esthético-médiatiques ”?

La photographie, pour ne prendre qu’un exemple, sert souvent la mode et la publicité, au point qu’il n’est pas rare que l’on soit dans l’impossibilité de départager la part “ d’art ” qui la constitue et qui ne se réduit pas au marketing ou à la séduction obligée de ce type d’images. Pourquoi d’ailleurs se soucierait-on de vouloir faire ce partage? Peut-on encore parler d’une “ authenticité ” de la création par rapport à l’inauthenticité des formes esthétiques commerciales? Les anciennes divisions des genres (notamment entre art populaire et art savant, ou encore, entre art commercial et art “ authentique ”) sont-elles encore pertinentes? L’esthétisation omniprésente du quotidien — sous la forme des modes imposées par l’industrie et le tout-puissant marketing — représente-t-elle une menace réelle pour la création artistique, qui perdrait ainsi l’une de ses principales fonctions traditionnelles (du moins jusqu’à la fin du xixe siècle), ou se verrait reléguée au rang de parent pauvre dans un monde dominé par les images technologiques hypersophistiquées?

Autant de questions qui surgissent aujourd’hui de ce contexte inédit de la création artistique, marqué par l’envahissement des nouvelles images, du marketing et de la publicité dans toutes les sphères d’activités de la société contemporaine. Au-delà de ces questions se profile celle, plus fondamentale, du sens et de la fonction de l’art dans notre société, dont Adorno disait déjà, dans les toutes premières lignes de sa Théorie esthétique (1970), qu’il était tout à fait possible qu’il perde un jour son “ droit à l’existence ”.

Le présent dossier a pour ambition de traiter ces questions à partir de différentes perspectives de la création contemporaine (arts plastiques, photographie, cinéma, arts électroniques). Il est animé par un pari secret : la distance critique et l’ouverture du regard que permettent l’art et la création constituent la véritable différence entre les images séductrices de l’univers médiatico-publicitaire et les images artistiques, et rendent ces dernières encore plus essentielles que jamais dans nos sociétés.



Marie-Noëlle Ryan






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