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L’ÉDUCATION À BOUT DE SOUFFLE : EN MANQUE D’AUTORITÉ !

Un texte de David Auclair
Thèmes : Éducation, Québec
Numéro : Argument 2019 - Exclusivité Web 2019

En référence au commentaire de madame Sonia Éthier présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) qui réduisait, dans Le Devoir du 27 mars dernier, le rôle des enseignants à celui d’accompagnateur des élèves (et non de guides et encore moins de maîtres), nous aimerions rappeler à quel point une telle définition de la fonction enseignante est idéologique et nuisible à tout le monde.

En éducation, nous ne savons plus dire non. Nous refusons de limiter la « toute » puissance des enfants. Le mot « autorité » fait peur, il nous ramène directement, croyons-nous trop souvent, à la discipline traditionnelle. Pourtant, l’autorité bien entendue est le ciment des sociétés. Et sans les autres, la bête sociale et langagière que nous sommes n’existerait pas. On ne peut même pas l’imaginer. En fait, à la base du développement intellectuel et affectif, il y a cette appropriation de la culture d’appartenance par un apprentissage du langage « social » et de la contrainte. De cette condition première de dépendance et de liaisons symboliques dépendra tout le reste. C’est cela qui rend possible le développement individuel autant que le développement social, puisque c’est le sens de la vie humaine. Pourquoi en serait-il autrement en éducation, qu’elle soit formelle ou informelle ?

La dissolution de l’autorité ne mène donc pas, comme on voudrait bien le penser, à la liberté, mais à de nouvelles formes de domination, dont le contrôle autocratique des enfants par des diagnostics enchaînés à une médicalisation devenue excessive. Les carences affectives chez les enfants (et chez les adultes) sont nombreuses et on sait aujourd’hui à quel point l’affectif et l’intellectuel vont ensemble. En fait, l’abandon de l’autorité symbolique fait en sorte que nous produisons de nouvelles formes de discriminations institutionnelles plus subtiles. Dans les faits, les enseignants subissent et doivent contribuer à mettre en place ces changements de structures et de fonctions à leur corps défendant. C’est la guerre des rôles et des décisions qui prévaut sur le terrain de la marchandisation scolaire. On gère les cas, on coupe dans les effectifs, on crée les problèmes en dépistant tout et son contraire et on cherche à y répondre en affirmant qu’il faut être efficient (en faire plus avec moins). L’éducation inclusive et permissive dans son modèle socio-économique actuel est une dystopie.

En éducation, devant nous, des bombes prêtes à sauter remettent incessamment en question notre place d’enseignant, les savoirs à transmettre, etc. Pourquoi ? Parce que ces enfants surstimulés ou sous-stimulés veulent avant tout être divertis et distraits. Les violences envers les enseignants ne font qu’augmenter et on cache cette réalité dans les Commissions scolaires au nom d’une série de réajustements structuraux plus que précaires. Ces instances fonctionnent de plus en plus sur le modèle bureaucratique orwellien et les enseignants ont l’impression de vivre dans un monde kafkaïen ! C’est le meilleur des mondes ! Ne soyons pas surpris des taux de défections présents et à venir. La tâche est sous-valorisée même si l’on affirme que l’éducation est le pilier, la poutre sur laquelle s’assoit tout le reste des rapports intellectuels et affectifs pour une socialisation et une citoyenneté réussie.

 

Pas de liberté sans autorité

À l’école, l’état souvent invivable d’une classe est engendré principalement par la présence trop bavarde et indifférente de jeunes individus impolis faisant fi sans la moindre gêne des règles les plus élémentaires du savoir-vivre. Ces enfants semblent vivre dans un monde où leurs actions sont sans limites et surtout sans conséquence. À l’école comme ailleurs, les mots clés du nouveau management s’imposent. À l’obligation, nous substituons la permissivité, à l’encadrement, la régulation, à la discipline, l’émulation, au silence et à l’écoute, la communication, à la figure du maître, celle de l’accompagnateur, comme dans le Programme de formation de l’école québécoise !

D’autorité, il n’en est même pas question ! Pourtant, il ne saurait y avoir d’individus sans société, ni de société, bien sûr, sans une forme ou une autre d’autorité.

 

Parents-enseignants, une mission civilisatrice partagée, mais différente

À l’école, nous ne pouvons pas faire ce que plusieurs parents ne font pas : interdire, punir, empêcher et soutenir cette posture dans la durée. Nous ne sommes pas des juges, ni des pères, ni des mères pour nos élèves. Nous sommes plutôt des figures porteuses de savoirs institués historiquement. Notre place se justifie par l’appropriation et la transmission d’une partie des savoirs produits par l’humanité. Entre les parents et les enseignants, la mission civilisatrice est donc double et partagée. Si les parents n’éduquent plus leurs enfants trop branchés, trop distraits, trop divertis, nous ne pouvons pas, non plus, nous, les instruire avec cohérence, discipline et constance. Nos responsabilités diffèrent et doivent se compléter pour le bien des enfants et de la société en général. Nous sommes, les enseignants, un autre Tiers. Entre la tyrannie des parents et celle des enfants, nous devons être plus que de simples accompagnateurs. Les enfants devant nous ne sont pas nos enfants, nous ne choisissons pas notre « clientèle ». Notre mission consiste à les introduire dans un monde de savoirs accumulés dans l’histoire, avec discernement et équité, sur une période continue, annuelle, en assumant que nos responsabilités sont grandes et doivent cadrer avec l’ambition et les moyens de la société. 

À défaut de quoi nous n’occupons plus nos places d’adultes. L’enfant au centre, c’est une vue de l’esprit. Nous devons avant toute chose former et éduquer de futurs citoyens responsables et conséquents de leurs actions. L’enfant n’est pas un adulte diminué, mais il ne doit pas demeurer un enfant dans un rapport d’infantilisation que nous entretenons sous de faux principes qui se veulent plus vertueux que la vertu elle-même.

En jetant l’autorité avec l’eau du bain d’une discipline parfois trop rigoureuse, nous avons donné naissance à une nouvelle violence. Ainsi, nous ne prenons plus le temps d’attendre que l’enfant gagne en maturité et en autonomie suivant ses propres expériences ! Une société dépressive, pressée et performative veut prévenir et forcer les rythmes de l’adaptation. Il s’agit d’une mécanique biologique où les mots croissance et développement semblent être des synonymes. D’où la fameuse exhortation à « développer son plein potentiel ». Bien entendu, « développer son plein potentiel » signifie permettre à chacun de se rendre où il peut suivant ses motivations, ses besoins, ses goûts, mais ça ne demeure encore une fois qu’un rapport individualisé. Que signifie « développer son plein potentiel » dans une société où l’on empêche le développement et dans laquelle nous ne percevons que les besoins (et donc les lacunes) individuels ? L’individualité a été historiquement et institutionnellement rendue possible et pensable par un certain développement social. L’école ne doit pas être un lieu de reconnaissance de chaque « un », sinon, encore une fois, il ne saurait être question d’inclusion et de justice.

De la même façon, diagnostiquer des troubles incertains avec certitudes chez des enfants de quatre ans ne fait pratiquement plus réagir personne. Cela devient même le fondement de politiques gouvernementales !

Aujourd’hui, un enfant turbulent devient, par le dérangement qu’il occasionne, un enfant en carence ou en surplus. Il semble mal adapté à un monde à bout de souffle. De toute manière, dira-t-on, le médicament est tout au plus une lunette pour le cerveau ! À bon dosage et bon produit, bonne conduite et bonne vie !

Comme adultes, je suis persuadé que nous pouvons intervenir autrement. Je suis également persuadé qu’une autorité à la fois souple, mais néanmoins stricte doit être le mot d’ordre de l’enseignant d’aujourd’hui. Il faut de la constance dans l’application de cette autorité et que les actes des enfants entraînent des conséquences. La sanction est parfois injuste, mais c’est notre devoir de l’appliquer le plus justement possible pour le bien de tous. L’éducation (familiale et scolaire) ne peut pas être parfaite. Dire que nous sommes des accompagnateurs est un truisme, puisqu’en orientant et en intervenant nous accompagnons, c’est une chose entendue. Mais j’accompagne aussi mon chien en faisant une promenade, alors qu’éduquer des enfants réclame plus de volition et d’implication, plus de risque et, surtout, plus d’humanité partagée.

 

Crédit photo: Wikipedia

 

 


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