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Le Canada français : un fait politique plus qu’une méprise

Un texte de Joseph-Yvon Thériault
Thèmes : Francophonie canadienne, Canada, Québec
Numéro : Argument 2019 - Exclusivité Web 2019


La réaction fut vive à l’annonce récente du retour du Canada Français. Gare à la « méprise » (laquelle?) affirmait ainsi Yvan Lamonde dans les pages du Devoir du 3 décembre. « Québécois : ne changeons pas notre nom », notre destinée francophone sied sur les rives du Saint-Laurent, précisait pour sa part le chroniqueur au Journal de Montréal Mathieu Bock Coté (le 18 novembre).  Pensons-y bien, ajoutait dans un texte de La Presse (30 novembre 2018) l’historien sociologue Gérard Bouchard, nous fermerions la porte à l’inclusion, pour un retour à l’ethnicité.

Tout semble être dit dans ces affirmations comme si les vocables identitaires étaient des choses qui relevaient d’une pure invention, se construisaient comme une marque de commerce. Et si le Canada français était une réalité avant d’être une marque?

 

Qu’en est-il de ce retour?

Le vent de sympathies soulevé au Québec par le refus de financer l’Université ontarienne de langue française et par la fermeture du Commissariat aux services en français ont certes rappelé les grands moments du nationalisme canadien-français (la naissance du Manitoba et la pendaison de Louis Riel, les crises scolaires dans les provinces anglophones, etc.). L’élection de la CAQ, élue avec un programme autonomiste, essentiellement par un Québec francophone, pouvait aussi apparaître un autre signe de ce retour. Pierre Curzi, en commentant cette élection, le disait explicitement : « On est redevenu des Canadiens français ».

Le grand fait qui confirme le retour du Canada français est toutefois bien le déclin du souverainisme québécois. C’est en effet l’affirmation que la nation canadienne-française devait impérativement se doter d’un État et que cet État ne pouvait être que l’État du Québec qui avait, au moment des États généraux du Canada français (1966-1969), laissé croire à la mort du Canada français[1]. Mais la victoire du non à deux référendums sur l’indépendance du Québec et le déclin inexorable, depuis le changement de millénaire, des partis souverainistes (Parti québécois et Bloc québécois), confirment que ce projet a du plomb dans les ailes. Nous assisterions, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Daniel Jacques, à « la fatigue politique du Québec français »[2].

Fernand Dumont, immédiatement après le second référendum, le disait déjà dans Raisons communes[3]. Le projet de créer une communauté politique (québécoise) a failli dans sa volonté de faire converger les autres composantes (Anglophones, Autochtones, minorités culturelles) de la société québécoise à sa cause. Le projet souverainiste est resté l’affaire des Canadiens français.

Mais, faute de pouvoir réaliser la plénitude d’une communauté politique, faut-il pour autant larguer la « nation francophone » comme le voudraient certains nationalistes civiques?

 

Retour sur le Canada français

Le retour du Canada français serait donc plus un fait qu’une méprise. Mais retour à quoi? Autrement dit : que fut le Canada français?

On l’accuse souvent d’avoir été une réalité apolitique et ethnique. Son retour signifierait alors l’abandon d’un projet politique et une définition ethnique de soi. Une telle description n’est toutefois que la définition souverainiste, toute empreinte de modernisme, du Canada français. Pour se défaire de ce dernier et affirmer la plénitude politique du Québec, il fallait bien affirmer que l’ancien monde avait la rage.

Certes, le Canada français constitua une attitude modérée face à l’exigence politique, moins ouvert à la diversité, mais plus ouvert à l’ambition continentale (le providentialisme canadien-français). Il ne fut toutefois pas l’attitude apolitique dont on l’a accusé. Il est né, au mitan du XIXe siècle, dans la mouvance de la formation des nations modernes et ne s’est jamais représenté comme une ethnie. On pouvait devenir Canadien français si on acceptait sa religion et sa langue (ce que plusieurs firent). Les nations, en effet, ont des frontières.

Dès sa première formulation au tournant des années 1840, il voulut faire société, se doter d’institutions religieuses, éducatives, médiatiques, économiques. Sans doute, il ne revendiqua pas la plénitude de l’institution politique, et c’est l’Église qui fut l’institution par excellence de sa mise en forme, mais déjà lors de la fondation de l’État canadien (1864-1867), il exigeait la (re)création d’une entité politique québécoise. Si le politique est la mise en forme d’une société, le Canada français fut donc bel et bien une forme d’affirmation politique.

Par l’affirmation des deux nations fondatrices du Canada, idée dont Henri Bourassa fut le principal définisseur, le Canada français affirmait aussi sa présence politique à l’intérieur du Canada. On a souvent dit que cette idée d’un pacte entre deux nations ne fut jamais acceptée par l’autre nation, le Canada anglais. C’est vrai, mais cela ne veut pas dire que l’idée ne fut pas efficace. On lui doit des grandes institutions qui définissent aujourd’hui encore l’univers culturel du Canada français (Radio Canada, même si les Francophones hors Québec se plaignent inlassablement de sa québécitude), l’Office national du film, le Conseil des arts, sans compter la présence des juges civilistes à la Cour suprême du Canada. Le bilinguisme canadien, malgré la volonté d’un Pierre Elliot Trudeau d’en faire une réalité purement communicationnelle, est une dimension de cette dualité nationale (suite à plusieurs contestations, les tribunaux canadiens l’ont bien compris, la langue est inséparable de la société). Le fait que Québec ne soit pas une province comme les autres parce qu’il est le foyer d’une représentation nationale est dû également à cette représentation bi-nationale.  

 

Repolitiser le Canada français

Le retour du Canada français est plus un fait qu’une méprise avons-nous dit. Si l’analyse est juste, il ne s’agit pas pour autant d’un repli sur soi et d’une attitude apolitique. Il faudrait (ré)affirmer la nature sociétale et politique du Canada français. Elle peut prétendre à être une communauté tout aussi inclusive que peut l’être l’espace québécois. Après tout, la communauté française de Belgique, n’est pas, elle non plus, une ethnie.

On pourrait même dire plus : dans la conjoncture politique actuelle, un repli sur soi apolitique ne serait-ce pas de se recoquiller dans un provincialisme d’intérêts (les intérêts du Québec) ? La voie du Canada français, au contraire, donnerait, à ce retour du Québec dans le Canada français une dimension politiquement noble, celle d’une représentation nationale. Le Québec comme foyer principal de la nation canadienne-française.

Il faudrait, non pas comme l’ont tenté les ministres Benoît Pelletier (gouvernement Charest) et Jean-Marc Fournier (gouvernement Couillard), ramener le Québec dans le Canada, mais bien réintégrer le Canada français dans le Québec, réaffirmer la dualité nationale, reconnaître la présence d’une réalité sociétale et politique française dans le Canada même. Non pas « Québécois notre façon d’être Canadiens », mais plutôt « Québécois francophones notre façon d’être Canadiens français ». Le gouvernement Legault a-t-il la grandeur nécessaire pour assumer ce destin?

Il s’agit évidemment d’une proposition conjoncturelle qui s’appuie non sur un projet, si noble soit-il (la plénitude de l’État national), mais sur un état de fait, la fin d’un cycle et le nouveau cycle dans lequel est entré le Québec français. De toute façon, si un nouveau cycle indépendantiste vient à s’affirmer, il s’enrichira, comme précédemment, de ce nationalisme transfrontalier que le Canada français lui aura laissé en héritage.

 



[1] Jean-François Laniel et Joseph Yvon Thériault, Retour sur les États généraux du Canada français : continuités et rupture d’un projet national, Québec, Presses de l’université du Québec, 2016

[2] Daniel Jacques, La fatigue politique du Québec français. Montréal, boréal, 2008.

[3] Fernand Dumont, Montréal, Boréal, 1995.


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