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Knock Saint-Germain : Le mal du Québec ou le triomphe de la médecine

Un texte de Jenny Langevin
Thèmes : Culture, Littérature, Médecine, Post-modernité, Québec
Numéro : Argument 2017 - Exclusivité Web 2017

 «Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore»
Jules Romain, Knock

 


Qu’est-ce qui unit le dernier ouvrage de Christian Saint-Germain, Le mal du Québec : Désir de disparaître et passion de l’ignorance, paru chez Liber et le Dr. Knock, personnage mythique de la célèbre pièce éponyme écrite par Jules Romain qui fut interprété au cinéma par le grand Louis Jouvet ? Un désolant constat. Celui du triomphe de la médecine !

 

Docteur en droit et en théologie, professeur de philosophie et essayiste, l’auteur n’a pas la langue dans sa poche et possède le génie de la provocation. Il hausse le ton de sa diatribe à la hauteur des scandales qu’il dénonce, maniant les mots avec cruauté et ferveur. Grand pamphlétaire, avec une prédilection pour la formule meurtrière, doté d’une rage tonifiante, esprit érudit et outrancier, il écrase d’emblée l’adversaire par l’adjectif. Ses livres n’ennuient jamais. La hargne est éloquente, et ses convictions sont d’une grande fermeté. Envions la chance, le privilège qu’il a de dérouter et ses détracteurs et ses fervents admirateurs, d’obliger les uns et les autres à se demander : fait-il vraiment l’apologie salvatrice de la disparition du Parti québécois ou se borne-t-il seulement à dénoncer les échecs de celui-ci depuis sa fondation ? Où finit le théoricien, où commence le partisan ? Pour moi, ce livre est un tour de force. La brutalité de ses propos, quoique vrais, les rend certes parfois durs à avaler et ils manquent de nuances, diront les uns. Ses opposants quant à eux affirmeront probablement que son écriture manque de complicité avec le bon sens et la politesse. Dans Le Mal du Québec, il répond d’emblée à ses détracteurs :

 

Certains écolâtres ont reproché à mon Avenir du bluff québécois de ne pas faire dans la nuance ni d’offrir de solutions. Commençons par prendre acte de l’inanité du petit véhicule de salut et de l’impuissance intellectuelle de ses dévots. Le service est déjà rendu. Pour les nuances, les départements universitaires débordent de gagne-petit du bas de page d’apparence scientifique, d’experts de la souscription mitigée, de l’accord sous réserve. Tièdes et obséquieux font recettes dans le ronronnement et l’échange épistolaire avec les fonctionnaires du financement de la recherche par formulaires. Sans compter les chaires, ces agences de voyages discrètes et d’échanges de bons procédés. (p.20)

 

Une loi aussi vieille que la nuit des temps frappe et dirige sociétés et civilisations. Quand, faute de vitalité, le passé fait faillite, s’y cramponner ne sert à rien. Et pourtant, c’est cet attachement à des formes désuètes, à des causes perdues, qui rend pathétique l’acharnement du Parti québécois et de ses partisans que dépeint l’auteur dans son essai que je qualifierais d’éphéméride du « grand soir péquiste ».

 

Un parti «spécialisé dans l’aménagement exsangue et l’accommodement contorsionniste, le PQ semble avoir toujours eu peur de la rupture et ne s’y être jamais préparé. (p.21-22)

 

Sous la lecture de ce pamphlet, le PQ – cette « machine à perdre » – me semble être une filiale de Loto-Québec. À l’image du joueur compulsif subsistant avec éclat et qui s’attache d’autant plus à une combinaison, qu’elle lui a été longtemps funeste ; qui se prépare même à de nouveaux sacrifices, pour ne pas perdre le fruit des anciens ; qu’en conséquence, il charge et recharge sans cesse les mêmes numéros, avec l’intime conviction qu’ils céderont enfin à la persévérance, et que, par l’ancienneté de leur sortie, ils acquièrent chaque jour de nouveaux appâts pour reparaître avant les autres, comme si dans pareille joute électorale, soumise aux caprices de l’individu radicalisé dans un monde peut-être trop « civilisé » où les modes font lois, l’avenir pouvait en quelque manière dépendre du passé ; que des billets – toujours les mêmes – agités au hasard et choisis sur Facebook, fussent contraints dans leur mouvements par les tirages précédents, et qu’un numéro, parce qu’il n’a pas paru depuis un certain nombre de tirages, dût, plus facilement que tout autre en particulier, s’offrir au tirage suivant sous la main indifférente du peuple qui ira peut-être voter.

 

Le parti va toujours à rebrousse poils de sa raison d’être, soit l’indépendance du Québec.

Se « peinturer» dans un coin » n’est pas l’unique prouesse d’une troupe de Roger Bontemps. Intimidé par ses adversaires à la simple évocation du premier article de son programme, le PQ se trouve constamment en porte-à-faux! (p.24)

 

Toutes les roues de la charrette péquiste, de Pauline Marois, PKP, Lisée, Martine Ouellet, Alexandre Cloutier, jusqu’à PSPP et compagnie y passent! Pour résumer la pensée de l’auteur j’emploierai un proverbe : « la plus mauvaise roue d’un chariot est toujours celle qui fait plus de bruit… » et, vous le comprendrez, ne le fait pas avancer! Christian Saint-Germain tire toutes les conséquences des actes théâtraux auxquels nous avons assisté depuis les dernières années. La tragédie va nécessairement de pire en pire. Par quel événement majeur le Québec est-il dominé? La question se pose et l’auteur nous offre une piste de réflexion à laquelle j’adhère sans peine.


La construction de l’identité québécoise moderne s’est faite par un accroissement constant de la dépendance individuelle à l’endroit de l’État sans égard pour le renforcement de la conscience identitaire. Or le nationalisme du PQ n’est rien à côté de l’appareil d’État québécois, d’Hydro-Québec, des fédérations médicales et du syndicalisme d’habitude incrusté d’office dans les milieux de travail.  (p.77)

 

Le livre de Saint-Germain est sombre, mais l’univers politique québécois l’est tout autant. Nier, trahir, et corrompre! Voilà trois verbes qui se conjuguent au fur et à mesure que la pièce péquiste – digne d’un « théâtre d’été » – se joue. À lire son emportement contre le Parti québécois, on en vient à constater qu’il y a une grande part d’humour dans tout ce déploiement d’invectives. Toutefois, on peut se dire que ce sont ces mêmes invectives qui relèvent savoureusement les ouvrages de Saint-Germain et nous les font lire. Il y a, chez ce démolisseur, un homme tout d’une pièce et ne vous méprenez pas, il est indépendantiste.

À une époque où les sociétés modernes sont fondées sur la science et la liberté pour emprunter les termes de Pierre Manent, nous pouvons nous rappeler les sages paroles de Madame Du Deffand qui déjà au XVIIIe siècle disait que la liberté n’était pas « un bien pour tout le monde ». Quel vertige que celui d’être libre ! L’époque en est une de débauche d’intelligence, d’autosuffisance et d’ironie. Les hommes peuvent-ils encore se réunir, voire s’accomplir dans une aventure collective telle que l’indépendance du Québec ? Oui, mais avec le bon véhicule nous dit l’auteur. Il y a une énorme différence entre un partisan de l’indépendance et un indépendantiste. De la pensée au geste, les « partisans » changent bien vite de registre. Le souffle et la pulsion de mort doivent cesser d’être irréconciliables. Le débat sur l’aide à mourir est une prophétie avant l’heure du peuple québécois, nous dit Saint-Germain. Il nous fait participer, par ses fureurs et ses saillies, à la rencontre de l’espace politique et de l’intimité, de l’infini de l’impolitique et des aléas de la vie privée.


 

Le médecin qui ne peut pas s’appuyer sur un pharmacien de premier ordre est un général qui va à la bataille sans artillerie.

Jules Romain, Knock

 

 

Autant que nos salles d’attente, notre système de santé se porte mal. D’innombrables médecins se penchent à son chevet. Ils établissent des diagnostics et délivrent des ordonnances à outrance. Où va notre système de santé, notre bien commun, notre santé qui devrait être notre capital le plus précieux ? Que devient notre système sous la corruption, les outrages abusifs et répétés du corps médical ; sous l’indifférence des jeunes qui ne sont pas encore « assez » malades, sauf exception ? D’un bout à l’autre de la deuxième partie de l’essai, on constate l’ampleur de la maladie québécoise. Saint-Germain, d’une « coloscopie » à une « injection de morphine », nous diagnostique une maladie incurable. Une réflexion sur un système de santé malade, menée à train d’enfer, et sur le rôle de l’anecdote et du contingent dans nos grandes salles d’attentes bondées. Qui sort intact de cette opération digne d’un charlatan pratiquant la médecine au début du siècle dernier ? L’élite et les médecins fourbes.

La possibilité de chantage et d’extorsion exercée sur la société entre celui ou celle qui peut opérer une appendicite aigüe et le citoyen souffrant est infinie et justifie le contrôle autoritaire du prix des services rendus. (p.78)

Pour la fin de l’histoire québécoise on doit choisir entre une mutation profonde des structures ou la «proverbiale» injection de morphine.» Cette déclaration ministérielle est la clef de voûte pour quiconque souhaite comprendre le fonctionnement du système politique québécois parfaitement confondu avec sa machine à produire des soins et à enrichir ses médecins aux dépens des populations. (p.111)


Et comme disait le Dr. Knock au Dr. Parpalaid :

Vous me donnez un canton peuplé de quelques milliers d’individus neutres, indéterminés. Mon rôle, c’est de les déterminer, de les amener à l’existence médicale. Je les mets au lit, et je regarde ce qui va pouvoir en sortir ; un tuberculeux, un névropathe, un artérioscléreux, ce qu’on voudra, mais quelqu’un, bon Dieu ! Quelqu’un. Rien ne m’agace comme cet être ni chair ni poisson que vous appelez un homme bien portant.

 

Nos citoyens végètent en phase terminale, au jour le jour, presque honteux de leur origine québécoise. Le sédatif est tel, au moral comme au physique, que personne au monde, et eux moins encore que tout autre ne soupçonne qu’ils ne pourront jamais se relever de ce « lit d’hôpital », de cette position de grabataire perpétuel, et former un peuple pour jouer à nouveau un grand rôle en Amérique du Nord. En sommes-nous à l’entracte de la pièce PQ, ou à la fin d’une farce tragique et de mauvais goût, jouée avec ce que l’auteur appelle « une troupe d’amateurs dévoués aux farces et attrapes nationalistes » ? Le PQ rêve-t-il à autre chose qu’à lui-même et à son histoire ? C’est la plume chargée d’émotion et en partageant la hargne de l’auteur que je note que les colonisés que nous sommes apparaissent comme une image récurrente dans le paysage québécois. Le songe indépendantiste s’évanouit à mesure que notre patrimoine historique et nos églises s’écroulent ou se changent en condos…

Mes mots sont bien insuffisants pour rendre compte de l’essai de Christian Saint-Germain et je vous invite à le lire, l’esprit ouvert et sans a priori. J’espère que cet ouvrage croisera votre route, pour vous inciter à prendre le chemin de l’indépendance. Néanmoins, je terminerai cette réflexion en citant la célèbre joute verbale entre le Dr. Knock et le Dr. Parpalaid, sur l’intérêt du patient qui bien souvent est subordonné à celui du médecin. Celle-ci ne sera sans doute pas sans vous rappeler, avec ses lumières, ses malades, notre système Québécois : Hydro-Québec, fourberie médicale, perfidie machiavélique et soumission de tout un peuple malade…

Knock s’approchant de la fenêtre :

Regardez un peu ici, docteur Parpalaid. Vous connaissez la vue qu’on a de cette fenêtre. Entre deux parties de billard, jadis, vous n’avez pu manquer d’y prendre garde. Tout là-bas, le mont Aligre marque les bornes du canton. Les villages de Mesclat et des Trébures s’aperçoivent à gauche ; et si, de ce côté, les maisons de Saint-Maurice, ne faisaient pas une espèce de renflement, c’est tous les hameaux de la vallée que nous aurions en enfilade. Mais vous n’avez dû saisir là que ces beautés naturelles, dont vous êtres friand. C’est un paysage rude, à peine humain, que vous contempliez. Aujourd’hui, je vous le donne tout imprégné de médecine, animé et parcouru par le feu souterrain de notre art. La première fois que je me suis planté ici, au lendemain de mon arrivée, je n’étais pas trop fier ; je sentais que ma présence ne pesait pas lourd. Ce vaste territoire se passait insolemment de moi et de mes pareils. Mais maintenant, j’ai autant d’aise à me trouver ici qu’a son clavier l’organiste des grandes orgues. Dans deux cent cinquante de ces maisons – il s’en faut que nous les voyions toutes à cause de l’éloignement et les feuillages - il y a deux cent cinquante chambres où quelqu’un confesse la médecine, deux cent cinquante lits où un corps étendu témoigne que la vie a un sens, et grâce à moi un sens médical. La nuit, c’est encore plus beau, car il y a les lumières. Et presque toutes les lumières sont à moi. Les non-malades dorment dans les ténèbres. Ils sont supprimés. Mais les malades ont gardé leur veilleuse ou leur lampe. Tout ce qui reste en marge de la médecine, la nuit m’en débarrasse, m’en dérobe l’agacement et le défi. Le canton fait place à une sorte de firmament dont je suis le créateur continuel. Et que je ne vous parle pas des cloches. Songez que, dans quelques instants, il va sonner dix-heures, c’est la deuxième prise de température rectale, et que, dans quelques instants, deux cent cinquante thermomètres vont pénétrer à la fois… 




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