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Le premier ministre qui ne savait pas parler

Un texte de Carl Bergeron
Thèmes : Grève étudiante
Numéro : Argument 2012 - Exclusivité Web 2012

Que personne ne perde son calme ! Jean Charest bougera bientôt : son nouveau directeur de cabinet, nous apprend La Presse, aurait reçu le mandat de régler le conflit avec les leaders étudiants pour le début de la saison touristique, qui est imminente. Sans banaliser les pertes infligées à l’économie de Montréal, on aurait pu penser que le vrai péril était ailleurs. Dans la perspective libérale, l’intérêt supérieur du Québec se résumerait-il à une date de calendrier ?

Les étudiants ne sont pas seuls à vouloir faire du bruit : tout le Montréal économique ne pense qu’aux moteurs du Grand prix, aux décibels des festivals du rire et du jazz, à la rumeur des rues piétonnes, bref, au tchik-tchik de ces grandes messes qui accompagnent la belle saison et sans lesquelles notre société perdrait la foi, et surtout la dîme qui vient avec.

Quand même, on aurait aimé des motivations un peu plus relevées. Un peu moins provinciales. Qui, au lendemain de l’une des manifestations monstres de 200 000 personnes, auraient pu s’exprimer dans un discours à la nation et surtout à la jeunesse. Pourquoi ? D’abord pour faire entendre une parole et redonner aux mots la place qui leur revient dans un paysage de plus en plus dominé par la cacophonie et l’hystérie. Ensuite pour apaiser les tensions, favoriser l’unité et jeter les bases d’un dialogue respectueux dans le cadre des institutions. Enfin pour faire comprendre aux ministres du gouvernement, aux alliés comme aux adversaires, aux étudiants comme au peuple, qu’il y a autre chose en jeu dans tout ce chaos qu’une saison touristique à sauver.

Comme le notait fort à propos l’anthropologue Serge Bouchard dans La Presse du 24 mai, à ce stade de la crise, notamment depuis le désastre inqualifiable de la loi 78, on n’est plus dans la gestion, « on est dans le symbolique et pour sortir de ça il va nécessairement falloir du symbolique ». La crise étudiante a débordé les limites du conflit corporatiste habituel pour se transformer en une crise sociale majeure. C’est pour cette raison qu’elle désempare tant les politiciens de carrière du PLQ, parti gestionnaire par excellence. Pour eux, la politique se résume à la gestion des intérêts et ne comporte pas de dimension symbolique. D’où leurs maladresses stupéfiantes et surtout leur silence sur l’essentiel : la signification de la crise et la blessure démocratique profonde que celle-ci révèle.

Or, sur l’essentiel, en une centaine de jours de crise, le premier ministre n’a encore rien dit.

En pareille situation, la société attend pourtant du chef de l’État qu’il s’élève par la parole au-dessus de la mêlée et assume justement le fardeau du sens, qu’il situe la crise dans une histoire et lui octroie une légitimité minimale. Qu’il sache user des mots, prévoir les dérives, ménager les amours-propres et distinguer ce qui relève de la petite ou grande politique, du caprice de foule ou du symptôme culturel.

N’est-il pas « parlant » que l’un des seuls vrais discours, d’allure un peu solennelle, que le premier ministre a fait dans cette crise fut pour annoncer l’adoption de la loi 78, soit la loi autoritaire qui a compromis la légitimité qu’il lui restait et à partir de laquelle il aurait pu parler au peuple, et être écouté de lui ?




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