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Présentation du dossier Qu'est-ce qu'être conservateur?

Un texte de Éric Bédard
Dossier : Qu'est-ce qu'être conservateur?
Thèmes : Conservatisme, Mouvements sociaux, Société
Numéro : vol. 14 no. 1 Automne 2011 - Hiver 2012

Le 18 mars dernier se tenait à l’UQAM un colloque intitulé la « Réaction tranquille » qui portait sur la « recomposition du conservatisme au Québec ». La salle était bondée, l’ambiance partisane, on se serait cru à un rassemblement de Québec solidaire. Si les communications étaient présentées par des universitaires patentés, professeurs subventionnés par l’État bourgeois, l’objectif était moins de comprendre et d’analyser le conservatisme que de mettre en lumière sa sombre histoire, ses idées rétrogrades, ses réseaux d’influence et, surtout, ses intérêts inavouables, car, c’est bien connu, les critiques du progressisme ne peuvent avoir d’idéaux, ils ont seulement des intérêts. Dans cette salle agitée, on trouvait des étudiants, des militants et des curieux à qui certains professeurs expliquaient qu’une peste brune était en train de se répandre dans le monde des idées au Québec, l’un d’eux, le subtil Jean-Pierre Couture, allant jusqu’à comparer le Québec d’aujourd’hui à la « république de Weimar »… Rien de moins!

Cette fascisation du conservatisme est fréquente, presque banale dans certains milieux culturels et intellectuels dits de gauche. Cette rhétorique militante brouille cependant les cartes et polarise inutilement le débat. Pour rendre l’atmosphère moins viciée, nous avons cru pertinent de poser une question toute simple à quelques analystes de divers horizons : mais qu’est-ce donc qu’être conservateur aujourd’hui ?

Une question plus complexe qu’elle n’en a l’air lorsqu’on y regarde de plus près.

C’est qu’au cours des deux derniers siècles les « progressistes », convaincus que leurs idées allaient dans le sens de l’histoire, ont souvent été plus prompts à fournir des balises théoriques à leur pensée (parfois libertarienne, souvent marxiste). Réactive sans être nécessairement réactionnaire, la sensibilité conservatrice s’est rarement laissé encapsuler dans une idéologie. Le plus souvent, c’est en situation qu’elle a pris forme lorsque les défenseurs d’un progrès bienfaisant cherchaient à imposer leurs idées et leurs réformes les plus saugrenues à coups de discours tonitruants. Si le conservatisme ne fut pas une doctrine, c’est précisément parce que les tempéraments conservateurs préférèrent généralement l’expérience aux idées abstraites et firent davantage confiance à la sagesse de la tradition qu’aux tables rases pleines de promesses.

Avant d’être des « conservateurs » déclarés, ils furent d’abord des sceptiques qui demandaient à voir et à réfléchir lorsqu’on leur disait qu’un avenir radieux se présenterait à la suite de « changements nécessaires ». Le siècle précédent nous enseigne en effet que les prophètes du progressisme avancèrent souvent masqués. Leurs beaux discours sur le bien commun étaient parfois un paravent qui cachait une volonté de puissance, un désir de dominer une nature humaine imparfaite qui ne peut cadrer dans leurs schémas théoriques prédéterminés, parfaits dans les livres mais évidemment irréalistes lorsque confrontés au réel.

Les tempéraments conservateurs ont de l’homme et de l’histoire une conception généralement tragique. Le mal et le bien coexistent en chacun de nous ; chaque jour, il nous faut choisir ; la vertu ou le mal radical ne sont la propriété d’aucun groupe social, d’aucune communauté ethnique, d’aucun genre. Nous sommes des êtres libres, mais cette liberté est lourde à porter, car nous sommes en grande partie responsables de notre destin. Quant à l’histoire, elle serait malheureusement une suite ininterrompue de progrès et de malheurs, de grandeur et de décadence. L’optimisme lyrique de ceux qui annoncent des lendemains qui chantent et qui prédisent que, grâce à leur programme, on arrivera à une sorte de fin de l’histoire, à une grande communion fraternelle et définitive, n’ont le plus souvent que mépris pour cette nature imparfaite qui fait de l’homme cet être imprévisible, tantôt généreux, tantôt mesquin, capable du meilleur et du pire.

Cinquante ans après la Révolution tranquille, quarante ans après la grande révolution culturelle des sixties, vingt ans après la chute du mur de Berlin, dix ans après les attentats du 11 septembre, les promesses du progrès sont-elles toujours crédibles ? La volonté politique et militante suffira-t-elle pour faire advenir cette société du bonheur éternel ? Pour les animateurs du colloque sur la « Réaction tranquille », les réponses semblaient aller de soi. Ayant un accès privilégié au bien et au vrai, leurs fauteuils confortables d’idéologues subventionnés placés dans le sens de l’histoire, ils péroraient sur ces conservateurs qui osent critiquer certains aspects du progressisme. Grand bien leur fasse ! Dans le dossier que suit, nous tenterons d’aller plus loin.

Chacun à leur façon, dans des optiques souvent sympathiques au conservatisme tout en restant critiques, Jacques Beauchemin, Christian Nadeau, Danic Parenteau, Mathieu Bock-Côté, Frédéric Têtu et Carl Bergeron tenteront de cerner ce qu’être conservateur aujourd’hui veut dire, dans ce Québec et ce Canada du début du XXIe siècle. Qu’ils soient remerciés pour ces précisions qui nous aideront peut-être à y voir plus clair.



Éric Bédard


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