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Affirmer son existence : l’architecture comme projet politique

Un texte de François Dufaux
Dossier : Le Québec a-t-il mal à son architecture?
Thèmes : Architecture, Culture, Histoire, Identité, Politique, Québec
Numéro : vol. 13 no. 2 Printemps - été 2011

Le Québec est une société riche qui propose une architecture pauvre, et ce constat s’impose davantage devant les paysages contemporains comparativement aux milieux anciens. Nous avons troqué les maisons de pierre et de bois massif pour des pavillons de colombages recouverts de vinyle et d’aluminium prétendant être nobles dans leur dérisoire évocation de manoirs et de matériaux qu’ils ne sont pas. Nous avons remplacé nos écoles et collèges de maçonnerie par des immeubles scolaires de tôles qui s’inspirent des usines. Collectivement, les projets d’architecture publique se discutent essentiellement à l’aune de leur coût, sans réellement poser la question de ce qu’on achète concrètement. Sur le plan personnel, nos intérieurs se remplissent de meubles et accessoires aspirant au luxe et à l’individualité, alors que nos banlieues témoignent d’une banalité et d’un anonymat affligeant.

Et si l’on compare le Québec à d’autres sociétés, il compte peu d’architectes par rapport à sa population, signe qu’il accorde moins d’importance à la gestion optimale de son territoire et de son environnement bâti comparativement à d’autres nations.[1]

Le présent article propose de discuter des prémisses à notre rapport au territoire et à l’architecture dans ses intentions fondatrices et récurrentes. Quelle est notre attitude face aux ressources, dont le territoire entre son exploitation et sa mise en valeur ? Quelles sont les motivations sociales et culturelles qui expliqueraient une relative pauvreté des moyens ou des ambitions en aménagement ?

Il s’agit d’envisager le rapport à l’architecture et l’urbanisme de manière structurelle, c’est-à-dire sur le plan des conditions imposées par la société plutôt que sur le plan des motivations individuelles, au-delà du talent de l’architecte ou de l’intérêt du client. Non pas que ces acteurs soient dépourvus d’initiative, mais il s’agit ici de comprendre comment leurs champs mutuels d’action et d’ambition, en particulier dans le domaine de l’habitat et de l’aménagement du territoire, demeurent définis par le projet social, économique et ultimement culturel qui encadre chaque société.

Le recours à la dynamique coloniale comme cadre théorique peut paraître à première vue sans pertinence ; le Canada et par extension le Québec assument une relative souveraineté politique, intérieure depuis 1867 et extérieure depuis 1931. Toutefois, sur le plan économique, la prospérité et la perspective de développement demeurent largement dictées par les exportations vers d’autres pays dominants, la Grande-Bretagne jadis puis les États-Unis au xxe siècle, pour se demander si l’avenir ne sera pas déterminé par les intérêts chinois. De même, sur le plan culturel, nos références en aménagement et en architecture ont cherché à imiter les modèles britannique et américain comme preuve et garantie de participation au premier monde.

Ces liens économiques et culturels traduisent une relation de dépendance qui perdure, exprimant à la fois notre sujétion aux intérêts et aux images imposés par la puissance tutélaire, mais aussi selon les moyens que celle-ci nous concède.

Anthony D. King dans « Colonial Cities : Global Pivots of Change » aborde la relation entre territoire et bâti, à partir d’une réflexion sur la nature du développement urbain selon la logique du développement colonial.[2] King propose d’identifier les conditions initiales qui guident le développement d’un territoire, notamment celui des villes et de leur architecture, en particulier lorsque celui-ci s’inscrit dans une logique d’exploitation et d’échange coloniaux, c’est-à-dire entre un centre dominant et une périphérie dépendante.

Intégré à un essai collectif sur les villes coloniales, ce texte de King traite directement des relations entre l’Europe et les actuels pays en voie de développement au cours des cinq siècles qui séparent l’âge des découvertes, au début du xvie siècle, et celui de la décolonisation politique après 1945. King propose une sorte de typologie des établissements coloniaux en fonction des conditions rencontrées par les Européens en Afrique, en Asie et aux Amériques. Ce cadre théorique peut s’appliquer aux pays neufs du premier monde comme le Canada et l’Australie, ainsi qu’aux mouvements de colonisation intérieure à diverses périodes historiques. On pensera ainsi à l’Europe au cours du Moyen-Âge, avec la reconquête de l’Espagne ou l’expansion vers la Baltique ou la Russie; on pensera encore à l’Amérique, avec la conquête de nouveaux territoires depuis l’ouverture de l’Ouest au xixe siècle ou, plus récemment, avec l’Abitibi entre les deux guerres ou le Nunavut aujourd’hui.

King remarque d’emblée que toutes les villes sont « coloniales » dans la mesure où elles dépendent des ressources exploitées dans les territoires moins urbanisés, un hinterland agricole voisin ou des établissements éloignés d’extraction des matières premières.[3] L’importance du caractère colonial d’une ville s’établirait, notamment, en fonction de l’échelle de ces dépendances et de l’état des relations entre ses immigrants et ses indigènes.

King poursuit ainsi son analyse en distinguant deux types de projet colonial. Lorsque le territoire colonisé est déjà relativement densément peuplé par une population socialement et culturellement organisée, le colonisateur privilégie un modèle de colonie commerciale. L’Inde pour la Grande-Bretagne et le Maroc pour la France présentent deux exemples de colonies commerciales. Au contraire, lorsque le territoire est peu peuplé, l’immigration est encouragée pour permettre l’exploitation des ressources mettant ainsi en place une colonie de peuplement. C’est le cas de l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Argentine.

 

LA COLONIE COMMERCIALE ET LA COLONIE DE PEUPLEMENT

 

Sur le plan architectural, la distinction entre la colonie commerciale et la colonie de peuplement est importante.

La première vise à extraire la ressource et à réduire l’investissement immobilier à l’essentiel. King souligne la contradiction fondamentale entre l’intention de saisir ou d’échanger les ressources pour maximiser le profit commercial et la nécessité d’investir les lieux pour en assurer le contrôle et l’expédition des produits. Dans la colonie commerciale, la fondation d’une ville et l’architecture des bâtiments sont une sorte de « mal nécessaire » lié à l’exploitation des ressources. Elle abrite les commerçants, premier maillon des échanges économiques, les administrateurs qui gèrent l’ordre social et politique et les militaires qui défendent les intérêts du colonisateur.

Le développement des villes s’appuie sur trois programmes immobiliers complémentaires. Les infrastructures de transport, incluant celles portuaires, relèvent des intérêts commerciaux et permettent de drainer les ressources ; la nécessité de performance de ces infrastructures favorise leur mise à jour technique régulière. L’autorité coloniale s’affirme aussi à travers la présence militaire et l’imposition d’un nouveau cadre administratif et légal ; ce besoin d’affirmation se traduit par un certain monumentalisme, pour asseoir le prestige du colonisateur, concilié avec un fonctionnalisme parcimonieux. Enfin, les commerçants, les administrateurs, les militaires et leurs personnels subalternes s’établissent dans un quartier réservé où l’architecture résidentielle et communautaire des églises, des écoles et des autres services reproduit les modèles métropolitains.

La forme urbaine et architecturale d’une colonie commerciale pose la nécessité en effet d’établir une distinction spatiale et architecturale pour affirmer l’autorité du colonisateur. Cette supériorité peut s’appuyer sur une ségrégation spatiale à l’échelle urbaine et une architecture distincte, sur le plan formel et technique, qui symbolise et justifie l’autorité coloniale.

Un rapport dialectique se pose désormais fondé sur la supériorité assumée de la nouveauté venue de l’extérieur par rapport au caractère désuet du patrimoine bâti présent. Implicitement, et souvent explicitement, les traditions locales sont ignorées ou dévaluées en soulignant sans cesse leur retard technique ou stylistique. Albert Memmi a éloquemment décrit les effets pervers de ce sentiment d’infériorisation culturelle transmis aux colonisés qui intériorisent l’inégalité sociale et économique imposée par les colonisateurs.[4]

Pour structurer cette inégalité politique et sociale, la modestie des moyens laissés à la ville indigène est également un phénomène notable. Le niveau d’investissement consenti est un compromis entre la volonté de prévenir que l’investissement local affecte la rentabilité coloniale et le souci de maintenir un contrôle social des colonisés et d’assurer la sécurité physique et sanitaire des colonisateurs. Les infrastructures destinées aux besoins locaux sont rarement suffisantes, les institutions sont sous-financées et le développement immobilier dépend de l’épargne locale limitée tant dans l’accès au capital pour se construire qu’au niveau des ressources fiscales pour s’aménager.

Bien que l’ascension sociale passe par une imitation et une assimilation des goûts et usages du colonisateur, les maisons sont construites avec des moyens modestes ou dérisoires, confirmant de manière tangible l’infériorité économique et culturelle des colonisés. Dans ce contexte, la planification cherche à maintenir la cohabitation de cadres légaux et financiers parallèles – ville blanche et ville indigène. La sauvegarde des intérêts impériaux s’appuie sur un discours économique et moral afin de discréditer les initiatives de planification collective envisagées par le milieu local et majoritaire.

L’autre colonie, celle de peuplement, part du constat que l’extraction des ressources n’est possible qu’à travers un projet d’établissement de colons. Ceux-ci permettront à la fois d’extraire des matières premières pour la métropole et d’offrir un marché à ses produits manufacturés.

Ici encore, la logique coloniale favorise un investissement substantiel dans les infrastructures afin de soutenir les échanges économiques entre le pays neuf et la métropole; de même, la mise à jour technique de ces infrastructures reste prioritaire. Toutefois, l’aménagement urbain et architectural ne sert plus de faire-valoir à l’autorité coloniale sur la majorité indigène. Il devient l’occasion de reproduire une vision idéalisée de la métropole pour ses immigrants de l’intérieur. La colonie de peuplement propose un rapport d’imitation des valeurs et des modèles de la mère patrie ou de la puissance tutélaire.

Formellement, l’aménagement urbain et architectural navigue entre une reproduction nostalgique de l’ancienne patrie – de la toponymie jusqu’à l’architecture institutionnelle et résidentielle – et la projection d’une utopie contemporaine d’un monde meilleur dans son ordre urbain et bâti. La dimension utopique d’une société nouvelle libérée des imperfections du vieux monde se traduit par une volonté de rupture tandis que la nostalgie et le prestige de la métropole favorisent la reproduction des modèles anciens. La logique économique du projet colonial s’élargit avec un nouveau volet associé à l’aménagement du territoire rural et urbain comme une deuxième phase de mise en valeur coloniale. Les investissements métropolitains trouvent dans ces projets immobiliers des rendements supérieurs à la métropole encourageant les mouvements de capitaux entre l’Ancien et le Nouveau Monde.

Dans un sens, les formes de l’architecture publique et institutionnelle, dont celle des bâtiments religieux et scolaires, peuvent être sensiblement les mêmes dans une colonie de peuplement et une colonie commerciale, surtout dans leur reproduction des modèles métropolitains. Sur le plan architectural, la différence entre les deux types de colonies se situerait davantage dans l’aménagement du territoire et la construction résidentielle. D’une part, la ségrégation spatiale et la distinction entre l’habitat du colonisateur et du colonisé ne sont plus des enjeux formels et sociaux. L’urbanisme et l’architecture reflètent simplement les distinctions de classes sociales par la superficie et les ressources allouées entre les colons. D’autre part, l’unité culturelle et sociale de la colonie de peuplement encourage une définition commune de l’espace public et par extension de l’espace politique. La planification demeure un enjeu politique collectif comme en métropole.

 

PEUPLER LA NOUVELLE-FRANCE

 

Les deux cadres politiques du projet colonial, entre commerce et peuplement, permettent de concevoir le développement du Québec dans une position particulière de cohabitation et de concurrence. En 1608, avec la fondation de Québec, le régime français envisage initialement un projet commercial et missionnaire reposant sur l’initiative privée. Le premier demi-siècle du projet colonial français confirme sa précarité devant le potentiel restreint du négoce colonial, l’effondrement démographique des alliés autochtones avec le cas exemplaire des Hurons, et les menaces commerciales et militaires des colonies anglaises. La réorganisation de la Nouvelle-France à partir de 1663 comme province royale et le début d’une politique d’immigration annoncent la mise en place d’un projet de colonie de peuplement.

La colonie royale pose les bases d’une économie agricole complémentaire au commerce colonial. On procède à l’aménagement du territoire par le découpage de concessions aux formes généralement rectangulaires, longues et étroites. Cet aménagement est implanté en fonction des bassins versants des rivières de manière à drainer les exploitations agricoles; il répartit équitablement les terres basses et les coteaux entre les concessions; il structure une égalité d’accès et favorise une solidarité spatiale entre les colons le long des axes de déplacements formés par les rivières et les rangs.

Le pays voit grandir trois villes – Québec, Trois-Rivières et Montréal – et quelques villages. Malgré la faiblesse des populations en cause, on investit dans l’urbanisme et l’architecture de façon significative sur les plans culturel et structurel. La ville française propose des places publiques de rassemblement pour ses sujets, les institutions religieuses et royales s’affirment dans une architecture monumentale bien que d’échelle modeste. L’habitat vise la permanence et la solidité en encourageant la construction massive, en maçonnerie de pierres aussi bien qu’en madriers de bois.

L’abondante cartographie urbaine, mise à jour régulièrement, illustre à la fois le niveau de développement et à la fois la planification de la croissance.[5] Au-delà de la fidélité des représentations graphiques, le souci de rapporter et de projeter témoigne d’un projet culturel qui tente une médiation de l’espace entre intérêts et ressources de l’autorité royale, communautés religieuses et laïcs, commerçants et artisans.

Les plans d’architecture des institutions illustrent une architecture d’ordre et de représentation tout en se réalisant de façon progressive dans une colonie peu peuplée et d’une rentabilité modeste. L’analyse architecturale du couvent de l’Hôtel-Dieu de Québec, dont les ailes les plus anciennes furent conçues en 1690 et reconstruites en 1755, révèle l’application d’une rigoureuse géométrie des proportions dans les façades originales, aujourd’hui partiellement obstruées par les modifications du xixe et xxe siècle.[6]

Enfin, les conditions légale et économique associées aux développements immobiliers sont les mêmes qu’en France et assurent un rendement modeste de 6 % mais stable et sécuritaire qui favorise une construction sobre, mais solide.[7] L’ordre légal et économique suppose une mise en valeur à long terme du territoire. Il favorise un marché immobilier souple par la place accordée à la tenure locative et la variété des dimensions de lots et de logements destinés tout autant aux officiers en mission qu’aux artisans attirés par le développement des petits marchés de Québec et Montréal.[8]

 

FAIRE SON PROFIT AU BAS-CANADA

 

Les intentions du conquérant britannique pour cette colonie peuplée entre 1760 et 1770 varient selon les témoignages contemporains. La déportation comme en Acadie est complexe devant une population plus nombreuse, mais surtout inutile si d’autres colons loyaux à la Couronne britannique ne se présentent pas. L’historienne Louise Dechêne conclut que les limites du négoce colonial de la vallée du Saint-Laurent demeurent les mêmes sans égard au pouvoir colonial européen, qu’il soit français ou britannique. Dans ce sens l’Acte de Québec de 1774, indépendamment qu’il soit interprété comme un acte bienveillant ou de « realpolitik » de la part de la Couronne britannique, marque l’implantation d’un projet de colonie commerciale pour le Canada avec la reconnaissance des lois et coutumes françaises.

L’effort de contrôle exercé par les Britanniques se traduit initialement par le remplacement de l’élite commerciale qui gère le commerce colonial, la présence des militaires et d’un personnel administratif limité. Sur le plan urbain et architectural, l’investissement est minimal jusqu’à la fin du xviiie siècle. Les nouveaux maîtres s’installent dans les lieux hérités de l’Ancien Régime. Lorsque les Britanniques décident d’affirmer leur présence, ils procèdent tardivement par la modification puis le remplacement de la résidence du gouverneur, l’érection d’une cathédrale anglicane adaptant un célèbre modèle londonien, et un palais de justice qui confirment leur nouvel ordre légal et social. Le goût néoclassique apporté par les Britanniques, par son usage de la symétrie dans la disposition des pièces et la composition des façades, propose la façon moderne d’habiter comparée à la tradition vernaculaire locale.

Les descriptions de voyageurs révèlent l’implantation de la dialectique entre colonisateurs et colonisés. Là où un visiteur américain en 1812 découvre avec ravissement que Montréal est une ville construite en pierre contrastant avec les villes de bois et de briques de la Nouvelle-Angleterre, un voyageur britannique rapporte la description sinistre d’une ville aux matériaux uniformes et dont l’architecture est retardataire face aux usages métropolitains.[9] La disparition souhaitée de ce patrimoine dévalorisé contribue à la supériorité sociale et culturelle du colonisateur.

Les mêmes débats se posent pour l’ouverture à la colonisation des nouveaux territoires au-delà des seigneuries reconnues en 1774. L’implantation du système orthogonal des cantons, derrière sa simplicité formelle, se révèle insensible à la nature du territoire dans son relief, son réseau de drainage et son potentiel agricole. Mais cela importe peu puisqu’il s’agit de favoriser la spéculation immobilière et l’extraction de capital à court terme plutôt qu’une mise en valeur à long terme. Ces terres sont d’ailleurs initialement réservées aux colons britanniques ou américains instaurant une ségrégation spatiale à l’échelle du territoire, délimitant par le fait même le territoire laissé aux intérêts et pratiques des francophones devenus les nouveaux indigènes.

Dans les villes, la stratégie de remplacement et de ségrégation s’organise avec la croissance du commerce et de l’immigration après 1810. Très symptomatique, un premier plan urbain précis de Montréal est publié en 1825, soit 65 ans après la Conquête, et pose à nouveau la question de l’expansion urbaine. Mais là encore, il est moins question d’un projet collectif que d’encourager la spéculation privée dans l’ouverture des rues et de nouveaux lotissements.

De même, l’espace urbain structure les distinctions sociales et ethniques. La cité est définie par le territoire de la ville française qui est progressivement occupée par les classes bourgeoises, particulièrement anglophones et protestantes dans son quartier Ouest. Les milieux populaires émigrent vers les faubourgs peu réglementés, mais aussi peu protégés contre le feu. L’historien Robert Sweeney rapporte les débats soulevés dans les années 1830 par la mixité des faubourgs. On déplore l’irrégularité du lotissement, les valeurs inégales des bâtiments qui abritent un voisinage socialement très varié. Il faut lire que l’ordre urbain et architectural souhaité, en étant plus homogène, structure la ségrégation spatiale et sociale entre la ville blanche et la ville indigène.[10]

Cette stratégie de distinction urbaine et architecturale s’affirme davantage après l’Acte d’Union comme en témoigne un plan de 1846. La construction du « New Town » à Montréal, décrite par le géographe David Hanna, vise l’implantation d’un nouveau quartier dont le lotissement et l’unité architecturale, avec le recours à la maison en rangée s’inspirent directement de l’urbanisme britannique de la seconde moitié du xviiie siècle. Non seulement ce quartier tente de reproduire un nouvel espace urbain soulignant les modèles de la minorité dominante, mais il est aussi une opération commerciale dont l’échelle, par les entrepreneurs, les capitaux engagés et les rendements financiers perçus, est nettement plus élevée que dans les autres quartiers de la ville.[11]

Ce développement urbain distinct se poursuit dans l’urbanisation du xixe et xxe siècle. Une ville industrielle comme Shawinigan, planifiée depuis New York, en reprend une partie de la toponymie des rues et on distingue un secteur réservé aux cadres anglo-protestants où sont reproduits des éléments de la cité-jardin anglaise, avec une architecture conforme aux modèles de l’Empire. Le reste de la ville est laissé à l’initiative des intérêts indigènes qui reproduisent les bâtiments en formule « plex » comme à Montréal. De même, le découpage d’une banlieue résidentielle comme Westmount à partir de l’ancienne paroisse Côte-Saint-Antoine puis l’interdiction du logement en formule « plex » après 1909 témoignent tout autant d’une volonté de ségrégation sociale associée à la logique de la colonie commerciale.

Par ses objectifs d’aménagement, l’urbanisme révèle aussi la marginalisation du concept de la place publique comme lieu de rassemblement au profit d’espaces de détente favorables aux pratiques sociales individuelles. La ville coloniale britannique réserve des squares et des parcs destinés aux loisirs de la bourgeoisie. L’expropriation du parc du Mont-Royal s’inscrit dans un mouvement international d’aménagement de grand parc urbain, mais celui-ci est initialement destiné à offrir un arrière-plan bucolique aux villas de la bourgeoisie montréalaise.

La colonie commerciale se traduit par un urbanisme et une architecture à deux vitesses, où la minorité colonisatrice a recours aux conventions internationales de priorité et de goût pour affirmer son appartenance au premier monde. Elle laisse la ville indigène s’urbaniser entre l’imitation à coût moindre et les solutions à court terme. Par ailleurs, ce développement séparé signifie que ce qui est important est moins les intentions architecturales ou urbaines comme projet collectif, mais l’occasion d’affaire de quelques acteurs qui parient sur l’investissement immobilier à court terme, déjouant ainsi la mise en place d’une planification à long terme. L’aventure de la ville de Maisonneuve, et sa faillite programmée par ses principaux promoteurs, illustre les limites des ambitions privées et des moyens des élites foncières et industrielles, sur les plans économique, social, culturel et politique.[12]

 

COHABITATION ET COMPROMIS

 

Cette illustration du développement du Québec entre le modèle de colonie de peuplement et commercial est sommaire. Toutefois, elle permet de distinguer deux perspectives sur la nature de la planification du territoire, les enjeux du développement urbain et les conditions de production du patrimoine bâti institutionnel, commercial et résidentiel. L’ordre politique de la colonie commerciale en limitant son emprise, mais aussi son engagement économique, assure une certaine autonomie à l’ordre social indigène tout en limitant ses moyens d’agir et de se développer.

Ce cadre théorique appliqué sur la réalité tangible de l’environnement bâti renouvelle l’interprétation que l’on fait des conséquences de la Conquête pour la majorité francophone. D’une part, les usages de l’Ancien Régime ne disparaissent pas immédiatement, mais ils s’effacent selon les exigences de la colonie commerciale. D’autre part, les flux variés de l’immigration britannique et leur importance démographique relative influencent la perspective coloniale d’une période à l’autre. Ainsi, lorsque Montréal est majoritairement anglophone entre 1830 et 1860, la mise en place du régime municipal et la planification témoignent-elles des tentatives de nommer et façonner les lieux à l’image de la métropole comme dans une colonie de peuplement. Après 1860, l’immigration rurale attirée par l’industrialisation renverse l’équilibre démographique et l’on revient au développement séparé d’une colonie commerciale.

Ces conditions historiques demeurent en vigueur aujourd'hui, car elles balisent nos pratiques immobilières. Elles soulignent combien la dimension politique de l’architecture et de l’aménagement est sous-estimée dans la production de l’espace. Pourtant, ce rapport demeure fondamental sur trois plans : dans la médiation entre l’intérêt public et privé sur le territoire, dans l’encadrement légal et normatif qui traduit les ambitions sociales et techniques associées à la production de l’environnement bâti, dans l’adjudication du rôle de médiateur à un technicien ou un professionnel – architecte ou avocat – et dans la nature du développement des solutions d’aménagement, entre conformité normative et performance.

Ce cadre idéologique permet aussi de poursuivre la réflexion de Melvin Charney publié en 1971. Toujours pertinent et lucide, Charney, dans son texte Pour une définition de l’architecture au Québec, expose l’ambiguïté entre l’importance marginale d’une architecture élitiste conforme aux idéaux étrangers, et une pratique vernaculaire traditionnelle, définissant l’essentiel de nos paysages urbains et villageois. Ce patrimoine bâti populaire propose une rationalité dans le choix des formes et l’usage des matériaux en contraste avec l’imitation servile de l’architecture savante.[13] Elle permet aussi d’éclairer le rapport au patrimoine tel que décrit par Gérard Beaudet dans Le pays réel sacrifié qui énumère trente ans plus tard une série d’exemples de destruction ou d’aménagements maladroits.[14]

 

PRATIQUES DE L’ESPACE

 

Le cadre constitutionnel actuel maintient l’extension de la logique coloniale commerciale au Québec. En effet, la subordination des différentes administrations publiques depuis les municipalités jusqu’à l’État fédéral, signifie qu’un échelon supérieur n’a pas à rendre des comptes aux administrations inférieures, assurant ainsi une ségrégation et supériorité aux intérêts impériaux par rapport aux enjeux locaux.

On constate une planification partielle de l’aménagement du territoire, bornée par les conflits des compétences. Chaque niveau de gouvernement gère des enjeux associés à des intérêts économiques et sociaux distincts, sans que les niveaux supérieurs aient à négocier avec les échelons subalternes. La difficile concertation est politique et démontre les limites concrètes d’une démocratie qui se révèle soudainement opaque. Elle traduit une équité variable des obligations civiques selon que l’on relève d’une administration ou d’une autre.

Par exemple, les projets immobiliers sous compétence fédérale, tels les aéroports ou l’aménagement des ports de Québec ou Montréal, montrent une collaboration ombrageuse avec les autorités municipales ou du Québec; les projets concurrents de lien ferroviaire pour l’aéroport de Dorval proposés par l’administration portuaire et l’agence métropolitaine de transport de compétence provinciale sont un exemple symptomatique. Cette dépendance au bon plaisir de chaque Couronne favorise le clientélisme et les réseaux d’influence sans que l’espace public puisse être abordé dans sa réalité politique et matérielle. Elle explique aussi l’importance accordée à l’obtention du contrat plutôt qu’à la qualité de l’aménagement, préoccupation spéculative récurrente d‘une colonie commerciale. Le choix du gouvernement du Québec pour la nouvelle salle de l’Orchestre symphonique de Montréal reposait sur l’évaluation contractuelle en partenariat public-privé, reléguant les questions d’architecture à un aspect technique d’un bâtiment qui doit pourtant incarner un maillon fort d’un futur quartier des spectacles à Montréal.

James Lorimer explique dans After the Developers combien l’intervention du gouvernement fédéral dans le domaine du développement urbain, en dehors de sa compétence constitutionnelle, a favorisé au Canada un ensemble de conglomérats immobiliers prenant en charge le développement résidentiel, commercial, industriel.[15] L’ensemble des mesures financières et normatives, directes et indirectes, vise à moderniser la société canadienne en cherchant à consolider un seul marché au service d’un groupe restreint d’industriels et de financiers.

Au niveau du Québec, le bilan est aussi contrasté. La commande « publique » a longtemps été essentiellement liée à l’Église catholique à travers ses paroisses et ses communautés religieuses. Elle maintient jusqu’aux années 1950 un projet monumental qui se distingue par la qualité des matériaux, la robustesse de la construction et la perspective d’une contribution à long terme, en tant qu’investissement économique et identitaire façonnant le paysage culturel du Québec. Elle poursuit le rêve d’une colonie de peuplement. L’héritage du patrimoine bâti d’origine catholique définit les noyaux symboliques de nos villages et paroisses. Ce domaine bâti constitue, par conséquent, le principal patrimoine historique et architectural éloquent sur le plan collectif au Québec.

Une rupture apparaît lorsque ces objectifs sont oubliés avec la Révolution tranquille. L’ambitieux programme de construction de l’État laïc sur l’ensemble du territoire entraîne l’édification d’une variété de bâtiments administratifs et spécialisés (bureaux, bâtiments scolaires et hospitaliers). Ces bâtiments se veulent modernes dans leur programmation, leur construction et leur style en devant incarner la démocratisation de la société québécoise. Pourtant, on constate que ces bâtiments ne concourent plus à la définition de l’espace public comme le faisaient les institutions fondées par le clergé.

Les polyvalentes sont des bâtiments introvertis, implantés au milieu d’un îlot comme une usine sans lien avec son quartier. L’entrée des élèves est aménagée pour les autobus qui les déposent, sans l’ombre d’une place publique qui pourrait structurer leur nouvelle citoyenneté. L’architecture proposée applique des images de modernité, interprétation superficielle face aux principes du mouvement moderne en architecture. Ces apparences de modernité sont adoptées avec bien peu de discernement. Jacques Dufresne, dans un court essai sans complaisance sur l’architecture au Québec, estimait « que l’échec de la réforme scolaire au Québec a été avant tout architectural ».[16]

L’analyse architecturale du patrimoine bâti public construit depuis 1960 par le gouvernement du Québec révèle des écarts entre le discours politique de démocratisation et les pratiques incarnées par l’urbanisme et l’architecture des bâtiments. La colline Parlementaire se transforme, d’un quartier populaire entourant l’Assemblée nationale en une acropole technocratique isolée de la vie quotidienne. Ces médiocres résultats, de l’échelle urbaine jusqu’au détail intérieur, illustrent maintes contradictions dans les enjeux du programme, de la composition, de la tectonique et sans doute aussi dans leur financement. Ces faiblesses interpellent les solutions conçues par les architectes, mais aussi les préférences et préconceptions de leurs clients qui reconduisent les anciennes pratiques de colonisés demeurées agissantes.

 

UN DOMAINE À INVESTIR

 

Évoquer le modèle de développement colonial permet de revoir les conditions et la nature des projets construits au Québec depuis quatre siècles. Par exemple, cela donne un nouveau sens au patrimoine historique religieux érigé dans les deux siècles suivant la Conquête. Ces églises, couvents, écoles et hôpitaux sont l’expression collective de la volonté de poursuivre le projet d’un Nouveau Monde. Elle montre aussi que les moyens modestes laissés aux indigènes, conformes aux restrictions économiques d’une colonie commerciale, ont fini par être interprétés comme le fait de les mériter ainsi. Elles illustrent combien le départ des maîtres ne conduit pas nécessairement les indigènes à prendre leur place. Le colonisé ne sait pas imaginer un monde sans référer aux modèles du maître, qui sont pour nous, le plus souvent, ceux d’un continent qui nous ignore.

Reconnaître l’interdépendance entre les domaines de l’architecture et celui de la politique, c’est comprendre que les formes de l’architecture et de l’environnement bâti sont l’incarnation des processus collectifs déterminés par les politiques qui régissent la société. En effet, comment ne pas convenir que la politique vise à établir les rapports sociaux, collectifs et individuels, qui se concrétisent notamment dans l’aménagement du territoire, l’urbanisme et les bâtiments ?

L’importance des architectes, comme groupe professionnel, et la place structurelle accordée à leur discipline trouvent leur sens dans les ambitions sociales, économiques et culturelles qui composent le projet politique, tel que défini notamment par le projet colonial commercial ou de peuplement. Celui-ci traduit un rapport avec le territoire et l’environnement naturel et bâti dans une perspective allant de l’exploitation à sa mise en valeur. Le parti de la performance favorise un usage raisonné de l’espace. À l’échelle du territoire et de l’urbanisme, ceci influence la sauvegarde des espaces naturels et agricoles aussi bien qu’une certaine concentration des zones urbaines et des infrastructures. À l’échelle des bâtiments, cela consiste à concevoir des immeubles qui tirent parti des contraintes de site, du programme, des matériaux et de la main-d'œuvre qualifiée disponibles.

Le parti n’est pas anodin, il témoigne du passage d’une société où les ressources abondent pour le bénéfice d’autrui à une économie du savoir où la connaissance prime pour le bénéfice des nôtres. C’est le passage d’une définition quantitative du développement social, culturel et économique à une appréciation de ses contributions qualitatives. C’est aussi un acte de foi envers le futur, car construire, c'est transmettre, durablement, pour les générations à venir.

Enfin, une architecture politique, aussi bien qu’une politique de l’architecture, ne peut rechercher l’unité improbable d’un style. L’architecture doit se reconnaître comme un projet politique pour l’ensemble des citoyens et ses professionnels ; une manière de structurer d’une part les rapports sociaux et économiques et, d’autre part, de traduire une identité culturelle. L’architecture concrétise et affirme notre existence sur un territoire, demeurant ainsi le projet de construire ce que nous voulons devenir.

 

François Dufaux*



NOTES

*      François Dufaux est architecte et professeur à l’École d’architecture de l’Université Laval.

[1]       Le rôle de l’architecte est de développer une solution performante - sachant tirer partie des conditions particulières d’un site, d’un programme, des systèmes constructifs, des conditions légales et financières - et d’exprimer des valeurs culturelles. Ce travail sur mesure distingue les professionnels des techniciens qui appliquent des solutions standardisées, en architecture comme dans d’autres domaines. Le nombre d’architectes par habitants donne une première mesure de l’importance accordée à l’optimisation des ressources, incluant le territoire, dans chaque société. En tête de liste, pour 10 000 habitants on trouve le Japon (22,8 architectes), l’Italie et la Grèce (17,3 et 14,9 architectes respectivement), mais aussi Israël (9,9) et l’Islande (11,3). Le Canada compte 2,6 architectes pour 10 000 habitants tandis qu’au Québec on soutient 3,6 architectes pour 10 000 habitants. Ces moyennes sont nettement inférieures aux pays latino-américains, démontrant qu’il n’y a pas de corrélation entre la richesse d’un pays et le recours à des architectes. Les ambitions culturelles collectives semblent plus déterminantes. Source : Col-legi d'Arquitectes de Catalunya (coac), Architectural Practice Around the World, translation : Elaine Fradley, Barcelona, Espana.

[2]       A. D. King, « Colonial Cities : Global Pivots of Change », dans R. Ross et G. J. Telkamp, Colonial Cities, Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, 1985.

[3]       La thèse proposée par King rejoint celle avancée par Jane Jacobs (dans The Economy of Cities, New York, Random House, 1969) où elle décrit l’urbanisation moins comme le résultat d’un surplus agricole, mais comme l’établissement d’une forme d’autorité dans un lieu qui favorise la production agricole et les échanges.

[4]       Albert Memmi, Portrait du colonisé, Paris, Gallimard, 2002, 161 p.

[5]       Les archives françaises et canadiennes, aujourd’hui numérisées et accessibles sur internet, permettent de découvrir l’étonnante documentation urbaine et architecturale réalisée principalement entre 1660 et 1760 : <http://bd.archivescanadafrance.org>. L’œuvre de l’ingénieur du Roy, Chaussegros de Léry, est remarquable et son influence est considérée comme déterminante par l’historien de l’architecture Luc Noppen dans la codification de l’adaptation des traditions françaises de construction en Amérique du Nord.

[7]       Jean-Pierre Bardet, Rouen aux XVIIe et XVIIIe siècles, les mutations d'un espace social, Paris, Société d'éd. d'enseignement supérieur, 1983. François Dufaux et Sherry Olson, « Reconstruire Montréal, rebâtir sa fortune », Revue de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, (01) 2009, p. 44-57.

[8]       Yvon Desloges, Une ville de locataires : Québec au XVIII siècle, Ottawa, Service des parcs, Environnement Canada, 1991, p. 299.

[9]       Voir les citations dans Jean Claude Marsan, Montréal en évolution, Laval, Méridien, 1994, p. 490.

[10]     Robert Sweeny, « Land and People: Property Investment in Late Pre-Industrial Montreal », Urban History Review, Toronto, vol. 24, no 1, 1998, p. 42-51.

[11]     David Hanna, The New Town of Montreal: Creation of an Upper Middle Class Suburb on the Slope of Mount Royal in the Mid-Nineteenth Century, mémoire de maîtrise, Département de Géographie, Université of Toronto, Montréal, 1977, p. 191. David Hanna, Montreal: A City Built by Small Builders, 1867-1880, Département de Géographie, Université McGill, Montréal, 1986, p. 303.

[12]     Paul-André Linteau, Maisonneuve ou comment des promoteurs fabriquent une ville. 1883-1918, Montréal, Éd. Boréal, 1981, p. 280.

[13]     Melvin Charney, Pour une définition de l’architecture au Québec, Conférences J. A. de Sève, 13-14, Montréal, Les presses de l’Université de Montréal, 1971, p. 11-42.

[14]     Gérard Beaudet, Le pays réel sacrifié. La mise en tutelle de l'urbanisme au Québec, Québec, Éd. Nota bene, 2000, p. 358.

[15]     James Lorimer, Carolyn MacGregor, After the Developers, Toronto, J. Lorimer, 1981, 136 p. (Trad. en français J. Lorimer, La cité des promoteurs, Montréal, Boréal Express, 1981, 276 p.) On notera d’ailleurs que le gouvernement fédéral à travers la Société canadienne d’hypothèque et de logement (schl) intervient directement dans le domaine de l’habitation en principe de compétence provinciale et déléguée aux municipalités, de même dans l’encadrement de la construction à travers la Code national du bâtiment. Les agences québécoises telles la Société d’habitation du Québec ou la Régie du bâtiment se préoccupent davantage de voir à la conformité aux règles émises par le gouvernement fédéral que de développer une analyse critique et une contre proposition. S’agit-il d’un manque de ressource ou de capacité critique ? La question est posée.

[16]     Jacques Dufresne, « Architecture et archétypes », Liberté, vol. 29, n° 5, Montréal, (173) 1987, p. 31-35.




 


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