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Je préfèrerais ne pas

Un texte de Marie-Andrée Lamontagne
Dossier : Essayistes oubliés : Joseph Joubert
Thèmes : Littérature
Numéro : vol. 12 no. 2 Printemps-été 2010

Présentation du dossier "Essayistes oubliés: Joubert". 

Ce qui console de tant de médiocrité imprimée, c’est que la littérature est souveraine. Comble d’insolence, elle n’a que faire de l’histoire littéraire. L’histoire littéraire s’attache aux dates, aux régimes, aux sociétés et aux formes qu’ils engendrent. La littérature va son chemin, qui n’est pas toujours un grand boulevard. Les chemins de Joseph Joubert, qui furent plus nombreux que son goût de la discrétion donne envie de le croire, semblent tous mener à cette phrase que Melville, séparé de Joubert par la langue, la culture, une quarantaine d’années et quelques océans, met dans la bouche de Bartleby : I would prefer not to.

On vous dit que pour être écrivain il faut beaucoup publier : I would prefer not to. On vous dit qu’un écrivain sans honneurs, prix, éloges, tirages imposants, traductions, invitations, en clair : sans réputation, est un écrivain raté, et qu’une réputation se bâtit à la force du poignet par le principal intéressé : I would prefer not to. On vous dit qu’il faut savoir plaire à ses contemporains sous peine d’être considéré comme un ours : I would prefer not to.

Décidément, Joseph Joubert aurait aimé le scribe Bartleby. Sans doute lui aurait-il rendu visite à l’asile d’aliénés où Melville le fait mourir, sourire aux lèvres, puisque Joubert était fidèle à ses amis : Pauline de Beaumont, broyée par la Révolution et d’ingrates amours ; ou encore Chateaubriand, son exact opposé, dont il constatait, amusé, un peu inquiet, le goût du paraître et des grands échafaudages. Aux œuvres ambitieuses, Joubert préféra la forme du fragment, forme cultivée, comme l’amitié, en privé, dans une communauté d’esprits avec ceux des écrivains du passé qu’il faisait siens. En outre, le monde s’observe mieux depuis le for intérieur. C’est la « pensée de derrière » de Pascal. Elle n’a plus aucune chance avec Twitter.

L’essai qu’Étienne Beaulieu consacre aux Carnets de Joubert, pour la chronique « Essayistes oubliés », est tout frémissant d’intelligence et de sensibilité. Avec bonheur, il mêle les fils de la réflexion et de l’histoire personnelle pour s’inscrire dans une chaîne fraternelle de lecteurs et redire, à ceux qui l’ignoreraient encore, que la littérature ne saurait avoir d’autre humus que ces fils-là.

Marie-Andrée Lamontagne




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