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Radio-Canada et la démocratie à venir

Un texte de Greg M. Nielsen
Dossier : La démission de Radio-Canada
Thèmes : Canada, Culture, Revue d'idées, Société
Numéro : vol. 10 no. 2 Printemps-été 2008

Est-ce que Radio-Canada accomplit son mandat ? Les recommandations des analystes politiques et des experts sur les médias qui se penchent sur la question sont le plus souvent fondées sur des comparaisons entre la performance de la SRC en termes d’audimat, par rapport à la définition officielle de son mandat selon la Loi canadienne sur la radiodiffusion. D’autres intervenants, tels les cadres de la radio et de la télévision de la SRC, tergiversent sur les compromis et cherchent un équilibre entre augmenter la part d’auditoire tout en tentant de promouvoir la diffusion de contenu plus pointu, comme la culture et les arts. Ces deux approches ont le défaut de tenir pour acquis le rôle que joue la radiodiffusion publique en démocratie, puisqu’elles esquivent la question plus épineuse de son rôle de contre-pouvoir face aux élites politiques, économiques et militaires. Pour ma part, je crois que l’on doit s’interroger sur le mandat même de Radio-Canada qui n’est pas à la hauteur de la démocratie dont nous avons besoin, c’est-à-dire de la démocratie qui serait souhaitable.

Mon évaluation du « mandat » est donc basée sur une série de questions adaptées des paroles d’Amy Goodman, coanimatrice de Democracy Now, une émission indépendante d’une durée d’une heure, diffusée par la station WBAI de Radio Pacifica à New York et financée par les auditeurs. Les questions sont les suivantes : est-ce que Radio-Canada confronte le pouvoir, est-ce qu’elle l’interpelle franchement pour bâtir une démocratie plus juste ?  Est-ce qu’elle cherche à faire la lumière sur ce qui resterait dans l’ombre sans son intervention ? Est-ce qu’elle critique, s’interpose et s’oppose ?  Ou est-ce que le mandat trop vague qui est le sien amène plutôt Radio-Canada à taire la vérité pour ne pas déplaire au pouvoir ou y gagner un accès privilégié, comme c’est le cas pour tous les médias privés ? 

C’est peut-être la raison pour laquelle nous ne voyons jamais au Téléjournal les corps démembrés et ensanglantés des Afghans ou des soldats canadiens. Malgré le fait que nous ayons maintenant plus d’émissions d’affaires publiques et de journalistes se penchant sur le sujet que jamais, qui peut sérieusement affirmer se souvenir d’avoir été bouleversé par un reportage émotionnellement ou politiquement dérangeant au sujet de la guerre sur les chaînes de la CBC ou de la SRC ? De son côté, RDI débute la diffusion d’informations à 5 h pour ne conclure qu’en toute fin de soirée, et ce, sept jours par semaine. À l’affiche, des animateurs charismatiques et  chevronnés tels Michel Viens, Simon Durivage, et Dominique Poirier interviewent les personnalités marquantes de la semaine ou d’anciens politiciens qui présentent points de vue, analyses spéciales ou opinions sur l’actualité. Or, comme les réseaux doivent remplir l’antenne tous les jours à longueur d’année, peuvent-ils vraiment se permettre de poser les questions qui dérangent ?  En effet, si les entrevues s’inscrivaient dans une tradition de journalisme percutant et incisif, où la recherche est privilégiée à la finesse et au style, qui accepterait d’y participer ? Bref, comme il faut bien mettre quelque chose en ondes 20 heures par jour, 365 jours par année, il importe de ne pas trop froisser les politiciens que l’on interroge, de peur qu’ils n’acceptent plus de nous accorder d’entrevues. La complaisance ne fait peut-être pas de la bonne télévision, mais elle assure qu’on aura au moins quelque chose en ondes !

Plus que jamais, nous avons besoin de médias publics qui se fassent le contrepoids du pouvoir, qui cherchent à combler les silences et à faire interférence, mais pour y arriver nous devons examiner les paradoxes internes et externes de l’actuel mandat de Radio-Canada. Le premier paradoxe est que la radiodiffusion publique au Canada est en quelque sorte en difficulté permanente, mais ces difficultés sont relatives si on les compare à ce qui se fait ailleurs. Selon plusieurs intervenants sur la radiodiffusion publique en Europe, la privatisation de la propriété publique et la perte d’auditoire dans plusieurs pays au cours des 20 dernières années sont catastrophiques. Aux États-Unis et au Canada, il serait inouï pour les médias publics de remporter régulièrement une part d’auditoire de 25 % (le Mexique, quant à lui, a tout emballé et vendu son système public dans les années 1990). Ceux qui, au sein de Radio-Canada, veulent à tout prix accroître la part de marché de Radio-Canada s’intéressent bien peu à ce qu’elle remette en cause le pouvoir. Certains déplorent que le contenu de Radio-Canada s’apparente de plus en plus à celui des réseaux privés, surtout depuis que la chaîne télé obtient des cotes d’écoute pouvant atteindre des millions de personnes pour certaines émissions. Le besoin d’accroître le nombre de téléspectateurs pour assurer les revenus publicitaires impose une limite au type d’interférence qu’un réseau peut produire. À la radio, surtout en ce qui a trait aux émissions culturelles, c’est une tout autre histoire. Le médium s’efforce de maintenir un certain niveau de qualité et de tradition, tout en demeurant judicieux et en attirant de nouveaux publics. Si le public ne rajeunit pas, la pertinence du médium est remise en question. Les créateurs – journalistes, acteurs, écrivains et animateurs – circulent entre les médias publics et les médias privés. De ce fait, les personnalités, le type de divertissement et le format musical ressemblent de plus en plus à ceux du paysage médiatique privé, avec ses animateurs très soignés, sa musique programmée et sa télé-réalité.

Dans ce contexte, pouvons-nous vraiment affirmer que Radio-Canada réussit « à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada », tel qu’énoncé dans les premières lignes de la Loi sur la radiodiffusion?  Comme vous pouvez certainement le deviner, je soupçonne que la force première de Radio-Canada – la qualité de son journalisme – est en déclin. Le journalisme public est soumis à plusieurs pressions qui affectent l’industrie de l’information en général : la concentration des entreprises, la convergence des plateformes médiatiques, les blogueurs sans contrôle éditorial, la fragmentation croissante du public, la migration des annonceurs vers les nouveaux médias, et surtout la confusion des genres entre les nouvelles et le divertissement. Toutes ces forces influencent non seulement le secteur privé, mais tout le système d’information. De plus, les pressions musclées sur l’industrie menacent d’affaiblir les qualités traditionnelles du journalisme telles qu’énoncées par Robert Entman, chercheur en communication : « exactitude, impartialité, équité, indépendance éditoriale, et contrepoids à la poursuite des cotes d’écoute et du profit ». Il y a un mince espoir, il est vrai, du côté de l’UNESCO qui mène des démarches à l’échelle internationale pour établir une nouvelle déontologie en matière de production culturelle et pour assurer que la diversité culturelle soit reflétée par des histoires, des images et des voix diversifiées et inclusives. Mais ne doit-on pas voir comme le comble de l’ironie que ce que l’on présente comme une « nouvelle » éthique pour une démocratie à venir corresponde à peu près exactement aux qualités traditionnellement associées aux médias publics ? Des qualités qui, malgré des modes de diffusion très variés, se retrouvent au cœur de leur mandat dans la plupart des pays du monde.

Soyons clairs : je ne veux pas suggérer que le déclin du journalisme chez Radio-Canada se situe au niveau des propos des commentateurs ou du nombre de journalistes qui rapportent l’actualité. Si les journalistes se trouvent à l’arrière-plan ou se transforment de plus en plus en annonceurs, commentateurs ou animateurs d'infovariétés, c’est dû en grande partie à l’omniprésence vertigineuse des « relations publiques ». Un journaliste doit composer avec quatre publicistes en moyenne avant d’obtenir une entrevue avec une personnalité publique importante. Cela peut expliquer l’émergence d’émissions telles Le Club des ex, où d’anciens politiciens offrent une interprétation plutôt partisane des actualités de la semaine, ou Le Match des élus, où les politiciens au pouvoir sont invités à jouer le rôle de publiciste pour leur propre parti. Ces émissions offrent une solution au problème d’accès, mais la quête de la vérité est laissée aux mains des politiciens eux-mêmes – cherchez l’erreur !

Les problèmes d’accès et les stratégies communicationnelles des élus n’expliquent qu’en partie l’érosion de la philosophie qui soutenait le reportage éducatif et informatif et les éditoriaux sérieux. C’est pourquoi les actualités découlent souvent d’incidents impliquant les médias ; par exemple, un cadre supérieur de la SRC a dû donner sa démission après avoir fait quelques commentaires à Tout le monde en parle concernant son affinité pour une certaine fonction  biologique et quelques pratiques sexuelles courantes au Moyen-Orient. Même le scandale des commandites exposé en primeur par Norman Lester s’est terminé en exercice de relations publiques, comme l’indiquent les mémoires de Jean Chrétien et la survie du Parti libéral. Où en sommes-nous lorsqu’une émission comme The Rick Mercer Report sur le réseau CBC ouvre sa nouvelle saison avec une entrevue fantaisiste et enjouée avec Conrad Black à Chicago à la veille de sa condamnation par la justice américaine pour obstruction et fraude postale, infractions dissimulant d’autres crimes à la Enron commis par l’entreprise contre l’industrie de la presse ?  Il ne s’agit pas d’affirmer que l’amalgame de l’actualité et du divertissement soit distrayant ou même drôle, mais plutôt qu’il implique une complicité qui menace de compromettre la relation critique entre les médias et leur sujet, les élites au pouvoir.

Se pourrait-il que d’autres éléments  du mandat officiel contribuent à cette descente vers la complicité ? Radio-Canada doit par exemple desservir les deux communautés linguistiques officielles et « chercher à être de qualité équivalente en français et en anglais ». Dans les soixante dernières années, la SRC a reçu une part du budget un peu plus élevée que CBC en fonction de son auditoire défini sur le plan linguistique. Par contre, la SRC n’a jamais reçu 50 % des fonds. Autrement dit, la SRC reçoit du gouvernement canadien un pourcentage plus élevé de revenus que ce que représente démographiquement le poids des francophones à l’échelle du pays, mais jamais une part égale. Depuis 1936, pour la première, et 1938, pour la seconde, CBC et la SRC ont produit des milliers d’heures de contenu dramatique pour la radio et la télévision. Pendant longtemps, les émissions les plus coûteuses de CBC ont attiré moins d’auditeurs que les émissions les plus populaires de Radio-Canada. Comment peut-on mesurer la qualité du contenu en fonction de la langue ? Est-ce que le mandat contribue à l’intégrité du quatrième palier démocratique, ou est-ce simplement une diversion causée par un compromis louche entre Ottawa et Québec au nom de l’unité canadienne ? 

Cela me mène directement à ma question finale, ma favorite, touchant l’aspect le plus alambiqué du mandat officiel : est-ce que Radio-Canada « rend compte de la diversité régionale du pays, tant au plan national qu'au niveau régional, tout en répondant aux besoins particuliers des régions » ? Le sacrifice de la vérité en faveur de l’accès n’est pas le seul compromis douteux de l’histoire de la radiodiffusion publique. Il serait trop long de retracer l’origine du virage dans la radiodiffusion publique, qui est passée d’un monopole public considéré comme essentiel à la société civile vers un système hybride semi-privé. J’aimerais plutôt explorer en détail le phénomène historique plus dérangeant ayant mené à l’absorption graduelle des régions dans un système bicentral et biurbain et à la perte de certaines voix provenant d’endroits dont nous n’entendons que trop rarement parler. Pourquoi si peu d’émissions dramatiques ont-elles été produites en région dans les soixante dernières années ? Il est vrai que la centralisation de la production télévisuelle était jadis une nécessité économique à cause de la masse critique et des limites techniques. Par contre, ce n’est plus vrai depuis un certain temps. On continue tout de même à admettre que la programmation soit produite, à quelques exceptions près, à Montréal en français ou à Toronto en anglais. Nous avons eu pendant quelques années l’émission Francoeur, produite en Ontario, mais pourriez-vous nommer un téléroman populaire produit à Hearst, Sudbury, ou Moncton ? Les émissions humoristiques présentées à Radio-Canada se sont constamment améliorées au cours des décennies, mais elles sont presque exclusivement situées dans un contexte urbain. Les Bougons et La Petite Vie sont de récents exemples d’émissions ayant connu un succès populaire et créatif, et elles se comparent avantageusement à d’autres divertissements populaires dans le monde. Pourquoi alors insiste-t-on tant sur la programmation régionale dans le mandat ? L’autonomie nationale et régionale a une autre connotation dans une société multinationale  comme la nôtre, et pour la majeure partie de son histoire, Radio-Canada a peiné à en prendre acte.

 

LE CARAMEL DANS LA CARAMILK

 

Pour comprendre quels intérêts nationaux sont servis par le mandat officiel, il est important de connaître qui en est exclu, où se situent les silences. Pour éviter la question, la Société Radio-Canada utilise les termes « Canada » et « Québec » à double sens, autrement dit les mêmes noms sont utilisés de différentes façons dépendamment de l’auditoire. Par exemple, on fait allusion aux chaînes en termes linguistiques – en tant que réseau anglais de la SRC ou de réseau français de CBC – afin de regrouper les deux réseaux dans un discours commun. Il s’agit d’une référence implicite au Québec comme région canadienne, car il est clair que la majorité francophone au Québec ne s’identifie pas facilement comme province ou région canadienne parmi d’autres. En revanche, CBC évite d’invoquer une nation canadienne anglophone puisque la culture n’a pas développé la capacité de s’imaginer comme une nation parmi d’autres. Bien que Radio-Canada offre des services aux quelques minorités francophones à travers le pays, sa programmation et ses politiques, presque exclusivement élaborées à Montréal, s’adressent à un public francophone québécois qui peut s’imaginer comme un peuple indépendant du reste du Canada. La coutume à la SRC de ne pas désigner les Québécois en tant que peuple accuserait-elle un certain retard, compte tenu de sa reconnaissance par le Parlement du Canada ? CBC s’adresse pour sa part à un public canadien anglophone, et bien que cette nation n’ait pas été nommée par le Parlement. Le réseau a insisté, pour la forme peut-être, sur l’importance des auditoires régionaux, autochtones et multiculturels, alors que ses produits, créés en grande partie à Toronto, ne représentent même pas la diversité émergente de la ville.

Pour aborder la question autrement : qu’est-ce que le Canada, et comment est-il incorporé à Radio-Canada ? Imaginez que la programmation est du caramel, et Radio-Canada du chocolat ; le mandat de Radio-Canada n’aurait jamais dû être de refléter la culture canadienne par le biais de ses émissions, mais bien d’exposer les secrets, le comment et le pourquoi derrière la décision de mettre certaines émissions en ondes ! Pour le moment, notre seule option semble être de continuer à l’aveuglette, avec l’autonomie culturelle des régions et l’équilibre entre les champs multiples de programmations à l’intérieur des sociétés distinctes (y compris au moins une autre nation) parfois présents dans plusieurs régions à la fois – tout ça sous une seule autorité étatique.

Je veux conclure avec deux exemples anglophones de l’ouest du Canada qui illustrent bien la tension paradoxale entre les actions de la Société en rapport avec l’autonomie régionale et mon interprétation des exigences du mandat. Mon exemple concerne un succès de la comédie de situation au Canada, une des rares émissions ayant survécu dans sa même plage horaire au cours de la dernière décennie. L’émission est produite à l’extérieur de Toronto par un réseau privé ayant loué une unité de production subventionnée par la province – en région ! Je parle ici d’une comédie plutôt banale présentée hebdomadairement par CTV intitulée Corner Gas, émission similaire à La Petite Vie (avec l’esthétique transgenre en moins) produite par la Saskatchewan Production Sound Stage à Regina et filmée dans la petite ville de Rolo, tout près de la ville où j’ai grandi.

La série se moque des gens « pas trop vites » des Prairies canadiennes dans leur propre milieu et époque. Elle est implicitement destinée à un public « canadien », et quoiqu’elle emploie quelques scénaristes et talents locaux, la plupart des créateurs et acteurs sont importés de Toronto ou de Vancouver et œuvrent sur place. Contrairement à d’autres émissions produites dans les Maritimes qui utilisent le milieu, l’écriture et le jeu des acteurs pour exprimer la culture locale dans toute sa splendeur (Codco et les premières saisons de This Hour Has Twenty-Two Minutes), la fusion du régional et du national dans cette production privée fait en sorte que la série sonne faux à mon oreille de natif des Prairies. Comment se fait-il que notre accent soit mieux représenté dans un film comme Fargo des frères Cohen ?

Cela pourrait laisser penser que si CBC s’y prenait de la même façon, le résultat s’en verrait amélioré par son mandat et son expérience de coproduction dans les Maritimes. C’est faux, en fait CBC réussit beaucoup moins bien. Je fais ici référence à une comédie tout aussi banale qui a connu un succès presque accidentel l’année dernière, Little Mosque on the Prairies. Après une courte première saison, le réseau a longuement hésité avant de décider de prolonger la série et de déménager l’unité de production du jeune studio de Regina à Toronto, loin de la ville fictive de la Saskatchewan où l’action de l’émission est située. Cette décision hâtive a été prise lorsque la série a commencé à attirer l’intérêt des États-Unis – une attention presque inédite dans le monde de la télévision canadienne anglophone. L’émission n’est maintenant filmée presque entièrement qu’aux studios de CBC à Toronto, avec aucun acteur des Prairies. L’émission se paie la tête de ces mêmes gens simples des Prairies – qui n’ont bizarrement pas d’accent – ainsi que d’une famille musulmane qui ressemble à des gens de l’Ontario du Sud. Malgré le fait que son créateur ait vécu à Regina et soit lui-même musulman, la série n’emploie aucun acteur de la région et les scénaristes viennent principalement de Toronto ou de Vancouver. Le personnel créatif comprend aussi plusieurs gens en provenance de ces villes ayant participé à la série Corner Gas à Regina à l’emploi du réseau privé CTV. Qu’en est-il des producteurs, acteurs et scénaristes des Prairies ? Que fait-on du mandat de représenter les régions et leurs « besoins particuliers » ? Ironiquement, lorsqu’il a été nommé chef de Radio-Canada, l’avocat de Montréal Hubert Lacroix a cité la série comme un bel exemple de programmation qui correspond au mandat !

À son lancement, la série humoristique a suscité beaucoup d’attention médiatique du côté des Américains, qui sont paralysés par cet objet comique en ce moment. Au Canada anglophone, ce genre d’attention est signe d’un grand succès. Étrange, car la culture canadienne anglophone se perçoit souvent comme une nation absente, qui se définit en relation avec les États-Unis plus que toute autre culture au monde. Je doute que la SRC déménage une comédie portant sur un dépanneur géré par un marocain sans papiers de Drummondville à ses studios de Montréal par inquiétude que les talents locaux fassent une bourde devant un public français captivé et plein de culpabilité face au traitement des immigrants en France !  Est-ce que je me trompe ? 

Si le mandat de Radio-Canada ne correspond pas à nos besoins démocratiques, comment peut-on en tirer la démocratie dont nous voulons, la démocratie à venir ? Premièrement, Radio-Canada doit s’adresser à son auditoire de manière authentique. Pour ce faire, on doit  envoyer des unités de production en région où se forment les identités et ainsi développer le milieu créatif avec les gens de la place. Il est impératif pour Radio-Canada de nous rappeler qui nous sommes, et de nous représenter dans le monde avec tous nos accents et toutes nos différences. Deuxièmement, Radio-Canada doit se rendre où la culture humoristique est la plus riche et où se trouvent les questions les plus tordues, car nous avons désespérément besoin de rire et de nous confronter à travers toutes sortes d’interférences. Troisièmement, Radio-Canada doit intervenir pour que les autres nous reconnaissent et comprennent que nous ne leur voulons pas de mal même quand nos gouvernements et nos armées leur en causent. Finalement, et avant tout, Radio-Canada doit résister à la tentation de sacrifier la vérité en faveur d’une réconciliation  facile de nos différences et de nos  inégalités ou en échange de l’accès au pouvoir, et arrêter de nous fournir des informations dont nous n’avons nullement besoin.

 

Greg M. Nielsen*

 

NOTES

* Greg M. Nielsen est professeur de sociologie à l'Université Concordia.

[1] Ce texte a été traduit par Valérie Boudreau et révisé par l’auteur.

 


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