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Présentation du dossier Devons-nous en finir avec l'indépendance?

Un texte de Daniel Jacques
Dossier : Devons-nous en finir avec l'indépendance?
Thèmes : Canada, Nation, Nationalisme, Québec
Numéro : vol. 10 no. 1 Automne 2007 - Hiver 2008

Devons-nous en finir avec l’indépendance ? Telle est la question que nous avons choisi de poser à Argument, avant même que le paysage politique ne soit métamorphosé par les gains et les pertes des divers partis durant les dernières élections provinciales québécoises. Il nous a semblé que cette question s’impose aujourd’hui et qu’il nous appartient, en tant que revue d’idées et de débats, de la faire émerger dans la discussion publique. On conviendra aisément qu’un tel choix éditorial nécessite quelques explications.

Plusieurs nous feront sans doute remarquer qu’il existe aujourd’hui bien d’autres questions tout aussi importantes, voire beaucoup plus fondamentales. On mentionnera la recherche d’une plus grande justice dans un monde en mutation rapide du fait de la mondialisation, ou bien encore celle de la paix, pour nous qui sommes engagés en Afghanistan, alors que nos voisins s’enlisent en Irak ; d’autres souligneront, enfin, que nous avons d’urgentes décisions à prendre ne serait-ce que pour assurer la survie de notre planète menacée par notre délire productiviste et notre appétit, apparemment sans fin, pour tous ces objets de consommation qui emplissent désormais nos vies. Hubert Aquin, dans sa célèbre réponse à Pierre Trudeau, faisait pourtant remarquer, il y a bien longtemps, que la tentation est grande, si séduisante, de nous abolir en quelque sorte comme sujet de l’histoire, comme singularité collective, devant tous ces défis planétaires. À mesurer notre destinée à l’échelle de ces immenses secousses qui traversent notre époque, tout en nous devient si petit, si insignifiant, si passager, même nos inquiétudes les plus persistantes. Que répondre devant tant de bonne volonté, si ce n’est que nous sommes les seuls responsables de cette fragile et incertaine portion de l’humanité et que, pour cette unique raison, cette responsabilité constitue un devoir à tout le moins égal aux autres ? Ne serait-il pas regrettable que nous ayons contribué si résolument à notre propre effacement par pur idéalisme ?

D’autres allégueront, autrement, que la question choisie possède bien sûr une certaine pertinence, et qu’il nous appartient d’y apporter une réponse satisfaisante, mais qu’en revanche aucune urgence ne s’y rattache. Nous réfléchissons à notre destin politique depuis plus de 40 ans et aucun événement notable ne nous presse de clore ce débat, redondant et répétitif à souhait, mais toujours nécessaire, hier, aujourd’hui et, pourquoi pas, demain. En effet, si l’on considère l’humeur générale qui règne dans la société québécoise, apparemment rien ne permet de conclure à l’existence d’une telle volonté d’en finir avec ce legs de la Révolution tranquille, si intimement imbriquée à notre identité collective, si ce n’est peut-être le sentiment d’une immense lassitude. Si nous avons choisi, à l’encontre de cette disposition générale, de poser la question sous une forme aussi tranchante, c’est qu’il existe un coût à l’ambivalence politique que nous semblons résolus à ignorer.

À cela s’ajoute que la question qui nous intéresse aujourd’hui est dans l’air depuis le référendum de 1995. Toutefois, la dernière élection québécoise l’a rendue plus pertinente que jamais. Porteur de l’idée d’indépendance depuis la fin des années 1960, le Parti québécois a obtenu ses pires résultats depuis l’élection de 1970. Le seul véritable parti souverainiste est désormais un tiers parti. Depuis l’élection de 2003, c’est tout un pan du Québec français qui est passé à l’Action démocratique du Québec. Sans présumer que tous ces Québécois n’adhèrent plus à l’idéal indépendantiste, il y a tout lieu de penser que nous vivons une profonde remise en question du clivage politique traditionnel qui oppose, depuis bientôt 40 ans, « fédéralistes » et « souverainistes ». En plus de prendre acte de cette remise en question, il faut dès maintenant commencer à en analyser les conséquences pour le Québec.

La formulation de la question n’est pas sans avoir suscité d’importants débats au sein du comité éditorial. S’agit-il de nous préparer à un long deuil symbolique, qu’il conviendrait de mûrir doucement ? Ou bien doit-on prendre acte maintenant, avec une résolution renouvelée, des périls que comporte notre indétermination sur l’avenir de cette « nation » qui, sur le plan politique, n’a pour toute demeure qu’une province? Si, après bien des tergiversations, le choix fut fait d’une formulation de la question aussi polémique, c’est qu’il s’est agi, par ce dossier, que susciter une autre forme de lucidité devant l’état d’inachèvement du projet qu’a représenté et que représente toujours l’indépendance du Québec, à tout le moins pour certains d’entre nous. Du reste, si notre ambivalence a ses bienfaits, comme l’ont souligné de sagaces observateurs, elle comporte aussi une part importante de périls, qu’ils ont choisi d’ignorer. Il nous appartient, c’est même notre devoir, de prendre acte de notre situation au regard de cette problématique de manière à assumer par la suite les tâches qui nous incombent aujourd’hui, tâches qui ne sont plus celles formulées hier, alors que nous avions à nous déprendre d’une part, devenue encombrante, de notre passé.

Enfin, inutile de chercher à dissimuler les difficultés rencontrées dans la constitution de ce dossier litigieux. Plusieurs, parmi nos collaborateurs assidus, se sont refusés à prendre position sur une pareille question. Les réponses offertes à cette difficile interrogation sur nous-mêmes sont de natures diverses. Certains, comme Jacques Beauchemin, ont cherché une réponse dans l’examen de notre rapport problématique à la modernité, et notamment à l’individualisme moral qui accompagne son déploiement dans l’histoire. Pour sa part, Mathieu Bock-Côté a choisi d’expliquer les difficultés que rencontre aujourd’hui le projet d’indépendance en explorant la relation de nos élites, et de ceux qui les conseillent, au conservatisme. Autrement, usant de son humour habituel, François Charbonneau a tenté de rappeler la nécessité de la souveraineté, quand bien même les raisons devant nous y conduire se révéleraient incertaines. Pour ma part, j’ai choisi, poursuivant ici une réflexion sur notre fatigue politique, de souligner les risques que comporte notre indétermination en regard de l’idéal politique que représente l’indépendance.

Nous avons cherché, avec ce dossier, à imposer un travail de réflexion qui rebute aux instances des partis et des mouvements politiques : ceux qui ont foi dans le fédéralisme ne se soucieront pas outre mesure de la vérité historique impliquée par la question et préféreront sans doute ne voir dans ce débat qu’une confirmation tardive de leur ancienne conviction, ajoutant ainsi ce corps étranger à leur arsenal rhétorique en vue des prochaines élections; ceux qui ont foi ou ont eu foi dans l’indépendance se refuseront à envisager un avenir privé du sens défini par un tel idéal, préférant conserver pour eux-mêmes, dans le silence qui emporte les générations vieillissantes, de tels soupçons. Il s’est agi, tout autrement, dans cet exercice de responsabilité intellectuelle, de demander à des auteurs diversement engagés dans cette cause de se prononcer sur les conséquences prévisibles de la poursuite de ce qui fut, pour une part importante de la société québécoise, un rêve d’accomplissement, qui semble aujourd’hui s’effacer, comme tant d’autres songes avant lui, de la conscience de nombre de nos concitoyens.



Daniel Jacques

 



 


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