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ADQ : Une révolution du “ sur-bon sens ”

Un texte de Jean-Philippe Warren
Dossier : L'ADQ dans l'horizon québécois et au-delà, L'ADQ: la nouvelle donne politique
Thèmes : Mouvements sociaux, Politique, Québec
Numéro : vol. 5 no. 2 Printemps-été 2003

J’aimerais commencer cet essai par une constatation banale et néanmoins troublante. L’Action démocratique du Québec rassemble comme en un condensé une série d’oppositions que l’on s’imaginerait spontanément irréductibles ou, à tout le moins, difficilement conciliables. C’est comme si ce parti politique se faisait un malin plaisir de rassembler en un étrange foutoir des éléments normalement associés à des sphères distinctes, pour mieux confondre les analystes. C’est le propre de toute plate-forme politique, rétorquera-t-on, d’empiler les promesses allant dans tous les sens, même les plus opposés, et de ne parler de changement qu’en ajoutant derechef le mot “ continuité ”, ou de parler de sabrer dans l’État tout en assurant maintenir une panoplie de services. À cet égard, toutefois, l’adq va plus loin que n’importe quelle autre organisation partisane. Elle collectionne les oppositions comme d’autres collectionnent les papillons. L’adq est un vieux jeune parti, un parti des régions ouvert à la mondialisation, un parti de la classe moyenne pour les riches, un parti d’avenir conservateur, un parti moral du gros bon sens, un parti d’idées aux mains de la finance — et j’en passe des meilleurs. L’adq ne semble donner aucune prise, à prime abord, à l’univoque.

            L’autre particularité de l’adq, c’est son habileté, réellement confondante, non plus à accumuler les oppositions, mais à les dépasser par leur résolution sommaire ou, carrément, par leur oubli. L’exemple le plus évident à cet égard demeure son traitement de la question constitutionnelle, devenu soudain un “ vieux débat ” — si vieux, d’ailleurs, qu’il dure depuis au moins 100 ans. Pour Mario Dumont, l’enracinement historique de la question constitutionnelle ne compte pas plus que si cette question venait d’être posée pour la première fois hier par un triste hurluberlu.

            Nous voilà donc avec un constat de l’adq à la fois assez clair et passablement trouble. Ce parti ne craint pas de cumuler les oppositions dans le grand magasin général de son programme, pas plus qu’il n’hésite à se débarrasser de ces oppositions quand la chose lui semble louable. Ce peu de craintes, cette faible hésitation, ils se retrouvent dans une expression que Mario Dumont renie mais qui lui va comme un gant : celle du “ bon sens ”. La raison pour laquelle Dumont refuse de s’approprier cette expression ayant fait la fortune du gouvernement de Mike Harris en route vers sa “ révolution du bon sens ”, ne manque pas de piquant. C’est que, selon lui, elle n’évoque pas assez l’exigence de réalisme. J’imagine donc que la révolution qu’il se propose d’accomplir au Québec sera celle du “ sur-bon sens ”. Il faut, martèle-t-il, aller plus loin encore dans ce repliement sur le principe exclusif et irrécusable du réalisme.

            Nous avons donc ici affaire à un parti qui réalise deux choses très étonnantes. D’un côté, il abolit les principes a priori ou ignore les réalités politiques traditionnelles. De l’autre, il prend pour seul critère de vérité le “ sur-bon sens ”. On expliquera ainsi la conviction, à l’analyse parfaitement ridicule, que l’adq représente un vent d’air frais au Québec, qu’elle apporte des idées neuves, qu’elle est un empêcheur de tourner en rond, qu’elle casse avec la routine des vieux partis. On salue en elle une initiative qui ferait défaut au Parti québécois, de même qu’au Parti libéral. On aime le fait qu’elle parle des vrais problèmes et pose les bonnes questions.

            Cette conviction d’une adq comme cure de rajeunissement de la politique partisane québécoise ne résiste pas à l’examen. Non pas, cependant, parce que l’adq ne représente pas quelque chose de neuf par rapport aux vieux partis, mais, et précisément pour cette raison, parce que l’adq rompt avec la logique même de la politique des vieux partis et ne peut être envisagée seulement comme une radicalisation du programme de Jean Charest ou un virage à droite de l’électorat.



UNE FASCISATION DE L’ESPACE POLITIQUE



            Si l’adq n’était qu’une forme un peu plus à droite de la politique traditionnelle, il ne vaudrait pas la peine que l’on s’y arrête longuement. L’histoire, dit-on, est un balancier qui alterne les moments de révolution et les moments de restauration, les exaltations de gauche et les conservatismes de droite, les périodes de libertarisme et les périodes de communautarisme. Selon cette vue partagée par plusieurs, loin de craindre l’adq, il s’agirait d’être patients et d’attendre le retour de la gauche après un engouement passager pour la droite. Je ne suis pas de cet avis. L’adq n’est pas tendanciellement un parti de la droite. Virtuellement, l’adq n’est pas à proprement parler à droite de l’échiquier politique. Et c’est cela qui est vraiment troublant. C’est cela qui rend la situation présente réellement inquiétante. La montée de l’extrême-droite un peu partout en Occident aujourd’hui est le signe de plus en plus alarmant de cette dérive politique hors du champ régulier de la droite et de la gauche. Car, que l’extrême-droite cherche à frayer avec la droite pour se gagner une légitimité facile, qu’elle emprunte un discours de la responsabilité qui est celle de la droite traditionnelle, qu’elle tente de se glisser dans un libéralisme pour mieux servir ses fins, cela est évident, cela est quelque chose à quoi nous sommes depuis longtemps habitués. Mais que cette extrême-droite n’ait que des rapports lointains, diffus, avec la droite traditionnelle, cela aussi est clair et évident.

            La différence la plus fondamentale, à mon sens, entre l’extrême-droite et la droite traditionnelle, c’est que la droite traditionnelle était d’abord un conservatisme, c’est-à-dire une manière de préserver des valeurs considérées plus morales et plus élevées d’une décadence annoncée par la modernité libérale. Il fallait protéger l’esprit de l’ancienne configuration du monde contre cette course vers l’abolition de toute transcendance. Il fallait assurer la continuité avec un passé moral ou culturel au tréfonds duquel se trouvait la source des significations, des normes et des symboles à investir dans l’avenir. L’extrême-droite reprend en partie cette insistance sur les traditions immémoriales et les valeurs ancestrales, allant jusqu’à prétendre à des puretés de “ races ” ou encore à des inanités nationales. Mais l’extrême-droite demeure tout aussi subjuguée par une fascination de l’innovation technique qui s’élève au pur délire de la puissance. Dans le même temps qu’elle jure ses grands dieux de préserver la nation contre l’envahissement des étrangers ou parle de restaurer la grandeur de la nation contre une évolution qui serait préjudiciable à l’accomplissement de ce qu’elle appelle son destin, cette extrême-droite, dans sa forme réellement extrême (telle qu’elle l’a revêtue dans le fascisme), menace de tout chambouler, de détruire le vieil homme pour le remplacer par l’homme, de se mesurer aux forces techniques en industrialisant à tout crin le pays, de remplacer les vieilles valeurs humanistes par le pur langage de la force, que ce soit celle du marché, du complexe militaire ou de la lutte raciale.

            L’extrême-droite a ceci de fort singulier qu’elle se présente comme un parti de l’ordre sans idéologie, qu’elle se prétend le parti d’un retour aux valeurs sans véritable doctrine, qu’elle se définit comme un parti de la paix sociale basée sur un délire de la force. C’est en ce sens que l’on peut dire que, si le conservatisme cherche à préserver la réalité, l’extrême-droite, elle, l’abolit. Pour l’extrême-droite, il n’est pas important que le réel soit fidèle à la description qu’elle en fait; l’important, c’est qu’un jour cette description soit devenue fidèle par la transformation ou, carrément, par l’abolition du réel.



L’ADQ COMME DÉFAITE DU POLITIQUE



            Pourquoi ce détour par l’extrême-droite, sinon pour bien marquer le contexte politique nouveau dans lequel nous sommes aujourd’hui plongés? Si le spectre de l’extrême-droite hante à nouveau l’Occident, si les “ soleils fascistes ” fascinent encore des populations qui devraient être désillusionnées, sinon horrifiées, depuis longtemps par leur programme, c’est, pour reprendre ici une hypothèse du sociologue Michel Freitag, que les conditions ayant mené à la constitution de régimes fascistes sur la moitié du territoire de l’Europe à partir de 1932 resurgissent avec une force nouvelle. La crise de la modernité ayant mené à la poussée de l’extrême-droite n’a pas encore été résolue. De là la reprise de vieux réflexes qui ne sauraient que nous mener aux mêmes impasses. Nous sommes plongés aujourd’hui dans un moment potentiellement dangereux, celui d’une indétermination, d’un flottement idéologique. Ce qui est véritablement dangereux dans cette indétermination et dans ce flottement, ce n’est pas qu’ils puissent un jour se fixer quelque part, serait-ce à droite, mais c’est qu’ils puissent à jamais ne plus se fixer nulle part. Que 83 % des électeurs québécois avouent dans les sondages ne rien savoir du programme de l’adq et que même le trois-quarts des adéquistes déclarent la même chose, est un signe de ce danger.

Guy Laforest a intitulé un de ses textes, publié dans les pages du Devoir, “ Le courage de transformer ce qui doit l’être ”. C’était reprendre la vieille formule du conservatisme anglais, laquelle s’énonçait, telle que transcrite jadis dans les manuels des collèges classiques ou encore maintenant dans l’injonction des Alcooliques anonymes : “ Dieu, donne-moi la force d’accepter ce qui ne doit pas être changé, le courage de changer ce qui doit l’être et la sagesse de connaître la différence entre les deux. ” Cependant, pour Mario Dumont, il s’agit au contraire de changer tout ce qui peut l’être et d’abandonner en chemin la sagesse dorénavant bien inutile de savoir reconnaître le bon grain de l’ivraie, de savoir séparer le mort du vif. Il y a là, certes, comme l’annonce Dumont, une véritable politique du réel, de l’état de fait, de la fatalité empirique. Non pas d’un réel qui serait a priori quelque chose, comme raison d’être ou comme sédimentation du sens, mais bien d’un réel qui ne serait que mouvement, changement radical, crise en puissance et révolution permanente. De là le rêve prométhéen du “ sur-bon sens ”.

            L’adq n’est pas un parti d’extrême-droite, pas plus qu’elle n’est un parti fasciste. Il n’est pas question de dire de pareilles sornettes dans un dossier de la revue Argument consacré à l’étude sérieuse du phénomène Mario Dumont. L’hypothèse explorée ici est plutôt que l’adq est un parti qui se profile sur l’horizon des conditions sociales et historiques ayant permis jadis la fascisation de l’espace politique européen.

            Pendant 40 ans, disons de 1940 à 1980, les sociétés occidentales ont pu réchapper le projet politique moderne de constitution d’un espace citoyen de liberté et d’égalité dans l’État keynésien. L’État keynésien représentait un projet collectif visant à réaliser un minimum d’égalité des conditions réelles d’existence des individus et des groupes. On sait que les féministes par exemple, ont investi cet État dans les années 1970 avec l’espoir d’en faire un instrument de leurs luttes, non seulement pour l’équité salariale, mais pour leur reconnaissance sur la scène politique. Même lié à des impératifs de régulation économique, l’État conservait toujours une dimension politique en replaçant ajustements et régulations à l’intérieur de l’espace national. L’État keynésien, tout en déplaçant la mission classique de l’État de l’arbitrage des conflits vers l’administration des choses, restait dans la continuité d’un débat collectif global sur la chose publique par la médiation de la démocratie parlementaire. Depuis 1980, les choses ont bien changé.

            Pour le bien de l’exposé, je noterai trois changements qui pointent tous dans le même sens et qui rendent pour ainsi dire normale la montée de l’adq dans les sondages. J’ai nommé : l’ère du vide, l’idéologie du clientélisme et la rationalité opératoire. Ces trois changements, survenus depuis 1980, illustrent la situation présente plus qu’ils n’en rendent compte. Ils nous serviront donc avant tout de balises.

            Les premiers à avoir été attirés par le programme de l’adq ont été les banlieusards, âgés de 20 à 40 ans et vivant en région, c’est-à-dire des gens qui, sociologiquement, semblent éprouver davantage la dérive anomique de la société actuelle. J’en veux pour premier indice la lutte étonnante que l’adq veut officiellement livrer à “ l’individualisme moderne ”, un individualisme moderne qui aurait corrompu depuis 40 ans la société québécoise. D’une part, la banlieue et la région sont deux lieux du Québec qui sont devenus depuis les années 1970 des non-lieux, des endroits sans projet et sans avenir. La ville-dortoir tout autant que le roq (par quoi j’entends ici le Rest of Québec, à savoir tout ce qui n’est pas inclus dans la méga-ville de Montréal) ne sont plus capables de s’imaginer dans le cadre de l’État-nation. Ils ne se sentent pas largués par la société plus large. Ils ne se sentent plus là. Ils n’ont plus la possibilité de se situer dans un projet collectif, car le lieu qu’ils occupent est sans ancrage précis. D’autre part, les jeunes entre 20 et 40 ans ont été socialisés dans une période (les années 1980) que l’on a qualifiée d’“ ère du vide ”. Un individualisme à tout crin venait alors remplacer la célébration d’un projet collectif propre aux années 1960 et 1970. C’était l’époque du confort, du work-out, de l’obsession du corps, des success-stories, de la redécouverte d’une Amérique considérée sans spécificité ni tendance propre, si ce n’est une continuelle dissolution des valeurs et des cultures. Si les gens de la génération de l’ère du vide n’ont pas fait connaître leur sentiment politique plus tôt, cela tient uniquement à la prolongation de l’ancienne configuration politique des années 1970 à la suite de la crise de l’Accord du lac Meech. N’eut été des événements ayant entouré la crise constitutionnelle canadienne, de même que des deux référendums de 1992 et de 1995, l’adq comme phénomène aurait défrayé depuis longtemps la chronique.

            L’autre changement auquel nous pouvons assister depuis quelques années est un passage de la notion de citoyen à celle de clientèle. Ce changement modifie la mission de l’État, lequel est de plus en plus conçu comme un pourvoyeur de services. Ce changement ne serait pas à craindre s’il ne concernait, justement, que les nombreux services que l’État a pris en charge au fil des années, que ce soit les garderies, les hôpitaux, l’arpentage, les routes ou le contrôle de l’hygiène alimentaire dans l’industrie de la restauration. Toutefois, c’est l’ensemble de la relation à l’État qui paraît devenir une relation ponctuelle et intéressée, jusque dans la définition même du rapport au politique. Le nouveau management public est venu légitimer un rabattement des visées politiques sur des visées purement techniques en rapport à ce qui s’offre comme des marchés ou des environnements. La clientèle qui veut s’inscrire dans un marché a besoin de services. L’État devient donc un de ces pourvoyeurs de services en rapport à diverses clientèles (malades, cols-bleus, patronat, étudiants, etc.) en quête de marchés (de la santé, du salariat, du profit, de la formation, etc.) eux-mêmes influencés par divers environnements (psychologique, du travail, de la concurrence, de “ l’employabilité ”, etc.). L’État québécois devient de plus en plus, selon l’expression imagée de Gilles Gagné, une sorte de club Nautilus en quête de satisfaire les bénéficiaires, les clientèles, les intervenants, les agents, les investisseurs, les groupes, les corporations, les instances et les lobbyings qui ont tous droit, affirment-ils joyeusement en chœur, à être reçus dans la technocratie gouvernementale à titre de morceaux objectifs et objectivés du “ réel ”. Les syndicats représentent, et donc ils sont les travailleurs; le Conseil du patronat représente, et par conséquent il est les hommes d’affaires; les groupes écologistes représentent, et ils sont donc les bélugas et la couche d’ozone; l’association des unijambistes représente, et donc elle est l’unijambisme; le club des pompiers de Trois-Rivières représente, et donc il est la pompicité trifluvienne. C’est ce réel, auquel donne voix l’incroyable faune des associations québécoises, que doit servir “ l’État-Nautilus ”.

            Ce qui est perdu ici, c’est l’idée même d’une transcendance politique au profit d’une simple mais proprement effarante, parce qu’envahissante, rationalité opératoire. Cette rationalité opératoire n’affecte pas que l’État, devenu soudain un rassemblement de techniques administratives, de fonctions de gestion et d’ajustements structurels, mais elle tend à se soumettre l’entièreté des discours, serait-ce les plus anodins. Ce qu’on applique à l’État, c’est la logique voulant que l’on crée des cochons transgéniques aveugles et culs-de-jatte afin de faciliter leur élevage, qu’on bourre leur nourriture d’hormones et qu’on les parque dans des cages afin de rendre l’industrie porcine plus productive. Dans un tel élevage, le rapport au cochon est non seulement transformé, le cochon lui-même est aboli en tant que tel. Le cochon n’existe plus mais ce qui existe à travers lui, c’est uniquement le profit. Or le profit n’a que faire des cochons. Il pense en terme de calories, de contrôle de qualité, de kilos de viande ou de sacs de moulée. S’il fallait, pour que l’industrie porcine continue à faire des profits, que le cochon disparaisse comme tel et soit remplacé par un tube digestif en plastique branché sur une machine à faire du lard, elle-même composée d’un catalyseur pachydermique autorégulé, certainement que c’est dans ce sens-là que l’industrie évoluerait. L’image vaut pour le politique lorsque celui-ci est tout entier plié à des critères opérationnels. À la lecture du programme de l’adq, on s’aperçoit que, tout devant être rentable, performant, efficace et rationnel, le politique n’existe plus comme lieu en soi, mais seulement comme intermédiaire technocratique par rapport à des besoins, des problèmes et des “ dysfonctionnements ” de la “ société civile ”.



L’INSENSÉ “ SUR-BON SENS ”



            Deux choses frappent l’analyste dans cette dérive du politique à laquelle participe l’adq. D’une part, il y a cette exacerbation du discours de la puissance qui fait partie de l’idéologie néolibérale. Il faut dynamiser, affirment en chœur les adéquistes, chaque secteur d’activité. Il faut mettre en branle chaque institution. Il faut faire de la société une vaste machine en constant changement. Ils exigent du Québec qu’il rejoigne sans plus tarder l’Amérique — mais point n’importe quelle Amérique, car des Amériques, il en est plusieurs. L’Amérique de leurs rêves, c’est l’Amérique de la puissance, de l’opulence matérielle, de la maîtrise et du contrôle de toute réalité jusqu’à abolir la réalité même — comme l’Amérique a été la première à abolir le cochon.

            D’autre part, il y a cette fascination pour le “ sur-bon sens ”. Le bon sens, autrefois, c’était consentir aux valeurs de la culture comme dans l’exclamation “ ça n’a aucun sens ”. C’était la reconnaissance qu’il y avait quelque chose de préexistant dans les rapports des hommes entre hommes et des rapports des hommes aux choses. Un sens, c’est une direction; et aller dans le bon sens, c’est prendre le bon chemin, c’est décider collectivement d’une certaine façon d’être au monde. Au contraire, le “ sur-bon sens ”, c’est la possibilité de renier la réalité au profit de ce “ sur-bon sens ” même.

            L’adq ne constitue pas un danger en soi. Pas plus que l’apparition d’une bosse sur son corps ne représente un danger. Mais l’adq représente le signe d’un danger grave — comme lorsqu’on apprend que la bosse sur le corps est l’annonce d’un cancer généralisé. Le “ sur-bon sens ” de son discours est la porte d’entrée à l’abolition du réel humain au profit de ce qui se veut déjà un système autorégulé, parce qu’arrivé à la fin de l’histoire, et pouvant désormais se dire sans passé comme sans avenir. Le “ sur-bon sens ”, pour le Québec, ce n’est pas le triomphe du politique, mais tout le contraire : c’est la renonciation à saisir le politique dans son sens moderne, c’est-à-dire comme discussion éclairée et démocratique de la chose publique.



Jean-Philippe Warren*



NOTES


* Jean-Philippe Warren est professeur de sociologie et d’anthropologie de l’Université Concordia. Il s’intéresse à l’histoire des idées dans l’histoire québécoise et canadienne et à la question du changement social. Outre ces ouvrages et articles déjà publiés, il s’apprête à faire paraître une histoire de la sociologie québécoise francophone aux Éditions Boréal.



 


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