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Présentation du dossier Demain, le post-humain?

Un texte de Daniel Tanguay
Dossier : Demain, le post-humain?
Thèmes : Mouvements sociaux, Revue d'idées, Science, Société
Numéro : vol. 3 no. 1 Automne 2000 - Hiver 2001

Les utopies techniques sont-elles devenues nos derniers rêves?



            Notre époque semble avoir fait le deuil des utopies. Après avoir péniblement survécu à elle-même pendant quelques décennies, la dernière grande utopie des XIXe et XXe siècles s’est finalement effondrée à Berlin en 1989. Depuis lors, la majorité des rêveurs de la fraternité universelle sont devenues pragmatiques et réalistes et proposent maintenant une troisième voie à la gauche qui n’a qu’une parenté fort lointaine avec l’ancien rêve. D’autres encore sont à la recherche d’un nouveau principe espérance dans les ruines de leurs rêves perdus. Ils s’époumonent à souffler sur une braise en apparence bien éteinte, espérant faire revivre de ces cendres l’utopie carbonisée. Plusieurs enfin proclament la « fin de l’histoire », estimant que pour le meilleur et pour le pire l’utopie s’est réalisée.

On aurait cependant peut-être tort de prononcer aussi rapidement la mort de l’utopie. À y regarder de plus près, l’horizon utopique ne s’est pas évanoui, il s’est tout simplement métamorphosé. De sociale et politique, l’utopie principale de l’Occident est devenue une utopie technique. Pour être plus précis, nous devrions dire que l’utopie technique toujours présente depuis l’origine de la modernité — pensons ici à la Nouvelle Atlantide de Francis Bacon — est redevenue l’utopie majeure du nouveau siècle. L’utopie technique ne fut certes pas absente au XXe siècle, mais elle était intégrée dans un projet politique et social plus large. À la faveur de l’abandon des grands récits politiques, elle est retournée à son intuition première : l’acteur principal de la transformation du monde est non pas la volonté collective des hommes, mais bien la science et la technique.

L’expression de cet imaginaire utopique est aujourd’hui plurielle. De l’utopie biogénétique à l’utopie cybernétique, en passant par l’utopie du village informatique planétaire, les utopies techniques présentent en effet une large variété de projections futurologiques visant à alimenter et à orienter l’action présente. Ce surgissement des utopies techniques soulève de nombreuses questions : quelle est l’image du bonheur humain transmise par celles-ci? Quel est l’impact politique et social de ce surinvestissement imaginaire dans le domaine de la technique? Les utopies techniques sont-elles l’annonce d’une humanité nouvelle et émancipée ou seulement la préfiguration d’un cauchemar climatisé?

Un terme est venu cristalliser récemment les rêves les plus fous des nouveaux utopistes : celui de « post-humain ». Stimulés par les récentes découvertes en biogénétique et en informatique, certains se prennent à rêver à un dépassement radical de l’humanité sous sa forme présente. Ils en appellent à une prise en main consciente par l’humanité de son évolution biologique en vue de faire advenir un nouveau type d’homme. Les différentes contributions de ce dossier thématique abordent sous divers angles ce nouveau rêve. Je cherche ainsi pour ma part à montrer le lien entre l’utopie du « post-humain » et l’analyse que font certains penseurs et écrivains de l’état présent de la civilisation. L’utopie biogénétique serait ainsi, pour ces auteurs, la réponse donnée à une « impasse nihiliste » dans laquelle se trouverait notre civilisation. Christian Vandendorpe fait aussi allusion dans son essai à un autre débat récent qui a opposé deux importants acteurs de la révolution technologique : Bill Joy et Ray Kurzweil. Ce débat lui fournit l’occasion d’une réflexion sur le contrôle démocratique, à son avis nécessaire, de la technologie. Dans un essai aux accents lyriques, Ollivier Dyens, quant à lui, veut substituer à l’enferment utopique les dynamismes de l’» entretopie ». L’entretopie est ce lieu où se manifeste le vivant dans son équilibre instable entre l’ordre et le chaos. Dyens défend la thèse surprenante que cette entretopie, autrefois limitée aux vivants, est en passe de se transférer aux machines. Autrement dit, la frontière tracée entre les machines et l’être humain n’existerait plus dans les faits. Le post-humain serait ainsi déjà parmi nous.



Daniel Tanguay

 

 


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