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Une relève pour les universités du Québec

Un texte de Guy Laforest
Thèmes : Éducation, Québec
Numéro : vol. 1 no. 2 Printemps-été 1999

Guy Laforest est directeur du département de science politique de l'Université Laval et coordonnateur du secteur des sciences sociales pour le Congrès de l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences (ACFAS), lequel se tient du 11 au 15 mai 1998 dans cette université. 


Beau métier que celui de professeur d'université au Québec en 1998.  On y rencontre des gens immanquablement sérieux, tout aussi bons voire même meilleurs que nos étudiants du début de la décennie.  Brillants, fréquemment polyglottes, méthodologiquement mieux équipés et plus articulés que nous ne l'étions il y a vingt ans, nos étudiants font notre fierté.  Pourtant, je me dis souvent qu'il leur manque quelque chose.  Quoi, au juste ?  Peut-être tout simplement un éclair dans le regard. Ce manque, il nous importe de le comprendre, en cette année où nous célébrons le 75e anniversaire de la fondation de l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences (ACFAS) par la tenue d'un imposant rassemblement de chercheurs, de professeurs et d'étudiants à l'Université Laval.

Les sociétés bloquées, celles dont les institutions paraissent sclérosées, n'inspirent pas.  Elles rebutent les nouveaux arrivants et découragent les jeunes générations.  Un Québec qui tourne en rond depuis trop longtemps, qui ne renouvelle pas ses élites et ses équipes dirigeantes, à l'université comme ailleurs, n'incite pas au dépassement.  Le Premier Ministre du Québec, M. Lucien Bouchard, est sûrement sensible à cet état de choses.  J'ai souvenance d'une allocution qu'il avait livrée devant les étudiants de la Faculté de droit de l'Université Laval en 1992, quelques mois avant le référendum sur l'entente de Charlottetown.  Je cite, de mémoire, les propos qu'il avait alors tenus : 

"Vous êtes jeunes, pleins d'avenir.  Comme le Québec.  À l'échelle de la planète, le Québec est une société jeune et pleine d'avenir.  Notre société de demain, c'est à vous qu'il appartiendra de la construire".

Prononcées sur le ton de la confidence, dans l'alma mater même de M. Bouchard, devant un auditoire aussi fier que réceptif, ces paroles avaient valeur de symbole. Les jeunes femmes et les jeunes hommes qui ont écouté de tels propos en cette soirée, j'en ai l'intime conviction, croyaient en la sincérité de M. Bouchard comme ils étaient sûrs qu'il avait raison.  Ils avaient de l'avenir, toute leur vie devant eux, et ils représentaient en somme, avec beaucoup d'autres, de leur génération, l'avenir du Québec.  Dans le milieu que je connais le mieux, celui des universités, celle belle jeunesse déchante en 1998 et cela n'augure rien de bon pour l'avenir du Québec.

Les membres de la génération montante, dans le champ des sciences sociales qui est le mien, sont nés quelque part entre 1960 et 1970.  Ces femmes et ces hommes ont complété leurs études doctorales.  La plupart d'entre eux ont aussi effectué un stage postdoctoral d'une durée d'un ou deux ans.  Ils ont publié des articles dans des revues scientifiques, participé à des congrès internationaux et fait leurs premières armes en enseignement.  Toutes et tous actifs en recherche, ils ont l'âge scientifique de l'aurore.  Ils attendent tout simplement que notre réseau universitaire fasse appel à deux.  Cela n'est pas près d'arriver.

Le sous-financement chronique est la caractéristique fondamentale du réseau universitaire québécois.  Les subventions de fonctionnement stagnent dans un contexte de réduction des déficits gouvernementaux.  Quant aux frais de scolarité, ils sont très inférieurs à la moyenne canadienne.  Dans ce contexte difficile, le réseau a amorcé un douloureux travail de rationalisation (Commission des universités sur les programmes).  Un tel exercice est sans doute nécessaire pour que le Québec reste compétitif à l'échelle nord-américaine.  À court terme, cela ne favorisera toutefois pas l'émergence d'une relève.

Partout, l'heure est aux coupures de postes et aux compressions budgétaires.  À la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval, au cours des cinq prochaines années, quelque 25 professeurs (la Faculté en compte 210 répartis dans 7 départements et écoles) devraient prendre leur retraite.  Dans la meilleure des hypothèses, 10 nouveaux postes seront octroyés à la Faculté au cours de la même période.

Ce scénario, assez représentatif de la situation de l'ensemble du réseau, annonce donc que le personnel des universités, comme celui du gouvernement par ailleurs, va continuer de vieillir.  La moyenne d'âge du corps professoral basculera dans la cinquantaine.  La génération qui s'approche de la quarantaine va rester cantonnée dans des emplois précaires.  Dans les universités québécoises du temps de la Révolution tranquille, Fernand Dumont et Vincent Lemieux avaient dirigé des départements, fondé des revues scientifiques et des instituts de recherche avant même d'avoir quarante ans.  Au même âge, sur la scène politique, Pierre-Marc Johnson et Bernard Landry avaient déjà exercé de lourdes responsabilités.  Les Dumont et les Lemieux qui font la fierté du milieu universitaire ont travaillé avec acharnement.  Il est vrai que le Québec ne leur a pas coupé les ailes avant même qu'ils n'aient pu les déployer.

Les universités québécoises ont besoin d'une relève.  Le dialogue entre les générations scientifiques est absolument nécessaire au progrès de la recherche et de la réflexion critique dans tous les domaines.  Le rétablissement d'un âge obligatoire pour la retraite serait un premier pas dans la bonne direction.  Il y a des façons de procéder en la matière qui ne pénalisent pas les personnes entrées plus tardivement dans la carrière.  Au temps des pionniers, qui fut souvent celui des âmes nobles et des cœurs généreux, les professeurs se serraient parfois la ceinture pour permettre l'entrée d'un nouveau collègue.  Ne pourrait-on pas demander la même chose à nos contemporains ?  Si les professeurs de l'Université Laval acceptaient une réduction de salaire de 2%, l'institution pourrait embaucher quarante-cinq nouveaux collègues.  Si un geste semblable se répercutait dans l'ensemble du réseau, le gouvernement québécois prendrait peut-être davantage au sérieux l'idée de la création d'un Fonds de la relève, consacrant 100 millions de dollars au renouvellement du corps professoral des universités.  Je suis convaincu que c'est maintenant qu'il faut agir, pas dans cinq ans.

Nous, les professeurs réguliers des universités québécoises, pouvons choisir de ne rien faire, de regimber devant toute réduction de nos salaires et de nos privilèges. Bien sûr, nous vivrons assez vieux pour profiter de tout cela.  Nous laisserons toutefois dernière nous une société appauvrie et intellectuellement exsangue.  Et nous mourrons tristes, sans éclair dans le regard.

Guy Laforest


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